Выбрать главу

« Après avoir dépassé un tournant en angle aigu, j’aperçus, au coin suivant, un rayon de lumière, vers lequel la rue montait doucement. J’avançai très lentement, mon cœur battant à tout rompre, répugnant à me laisser voir dans cette lumière.

« Hésitant, je m’arrêtai juste avant le coin. Il y eut un fracas au-dessus de moi, comme si le toit de la maison la plus proche était en train de s’écrouler. Je sautai en arrière juste à temps, juste avant qu’une pile de tuiles ne s’écrase dans la rue, là où je me trouvais précédemment. L’une d’elles effleura même mon épaule. Puis tout redevint tranquille. Je regardai les tuiles brisées, écoutai, attendis. Puis, lentement, je contournai le virage et entrai dans la zone de lumière, pour découvrir, en haut de la rue, sous le réverbère, la silhouette indubitable d’un autre vampire.

« Il était d’une taille immense, quoique aussi maigre que moi. Son long visage blanc brillait fortement sous la lumière et ses grands yeux noirs m’observaient, chargés d’une interrogation non déguisée. Sa jambe droite était légèrement fléchie, comme s’il s’était brusquement arrêté au milieu d’un pas. Soudain, je me rendis compte que non seulement il portait ses longs cheveux noirs peignés précisément comme les miens, non seulement il était vêtu d’une cape et d’un habit identiques, mais qu’il imitait aussi mon maintien et l’expression de mon visage à la perfection. J’avalai ma salive et le parcourus des yeux lentement, tout en m’efforçant de lui cacher le pouls trop rapide de mon cœur. Ses yeux me parcoururent de même. A le voir ciller, je me rendis compte que je venais de ciller moi-même, et quand je ramenai mes bras, croisés sur ma poitrine, il imita lentement mon geste. C’était à rendre fou, pire que fou. Car, comme j’esquissais un mouvement des lèvres pour parler, il remua lui-même à peine les siennes, et je ne trouvai sur ma bouche que des mots morts, incapable d’imaginer les paroles susceptibles de briser ce jeu insupportable. Sa taille immense, ses yeux noirs et pénétrants, sa concentration attentive — qui, bien sûr, n’était qu’imitation parfaite — me subjuguaient totalement. C’était lui le vampire ; moi je n’étais que son reflet.

« — Intelligent, réussis-je à glisser, poussé à bout.

« Évidemment, il fit écho à ce mot, aussi vite que je l’avais prononcé. Plus affolé encore par cette imitation verbale que par tout le reste, je me surpris à étirer mes lèvres en un lent sourire, comme pour défier la sueur qui suintait de chacun de mes pores et le violent tremblement qui agitait mes jambes. Il sourit lui aussi, mais ses yeux exprimaient une férocité animale qui me faisait défaut, et son sourire était sinistre, de par sa seule qualité mécanique.

« Je fis un pas en avant, ainsi fit-il; je m’immobilisai brusquement, lui aussi. Mais il leva alors, lentement, très lentement, son bras droit, bien que je n’aie pas bougé le mien, et, faisant un poing de sa main, se frappa la poitrine sur un rythme accéléré pour se moquer des battements trop rapides de mon cœur. Puis son rire éclata. Il rejeta en arrière la tête, découvrant ses canines, et son rire parut emplir la ruelle. Je le haïssais. De toute ma puissance de haine.

« — Vous me voulez du mal? demandai-je.

« Mais je n’eus pour toute réponse que l’écho destructeur de mes paroles.

« — Tricheur! jetai-je, furieux. Bouffon!

« Ce dernier mot l’arrêta. Mourut sur ses lèvres au moment où il allait le prononcer; son visage se durcit.

« J’agis ensuite par pure impulsion. Je lui tournai le dos pour m’en aller, peut-être pour l’obliger à me suivre et à chercher à savoir qui j’étais. Mais, d’un mouvement si prompt que je ne le vis même pas, il se retrouva soudain devant moi, comme s’il s’y était subitement matérialisé. Je fis de nouveau demi-tour — mais pour seulement le retrouver sous le réverbère face à moi; seul le désordre de sa chevelure noire et ondoyante révélait qu’il avait bien bougé.

« — C’est vous que je cherche! C’est pour vous chercher que je suis venu à Paris! me forçai-je à dire, constatant qu’il ne me faisait pas écho, mais restait immobile à me regarder.

« Puis il s’avança vers moi, lentement, élégamment, et je vis qu’il avait repris possession de son corps et de ses manières. Il tendit la main, comme pour solliciter la mienne, mais me poussa soudain en arrière, me faisant perdre mon équilibre. En me redressant, je sentis que ma chemise était trempée et collait à ma peau. Je m’étais sali la main au contact du mur humide.

« Comme je me retournais pour lui faire face, il me projeta complètement à terre.

« Je voudrais être en mesure de vous faire sentir la puissance de ce vampire. Il faudrait que je vous attaque, ou que je vous porte un coup sans que vous voyiez mon bras bouger…

« Quelque chose en moi me dit : « Montre-lui ta force à ton tour! » Aussi me relevai-je rapidement, pour le frapper de mes deux bras tendus. Mais je ne heurtai que la nuit, la nuit vide qui tourbillonnait sous le réverbère. Me faisant l’effet d’un parfait idiot, je me retrouvai là, tout seul, à regarder tout autour de moi. C’était une espèce de test, je le savais, mais je continuai néanmoins de fixer mon attention sur la rue sombre, sur les portes en retrait, sur tous les endroits où il avait pu se cacher. Je n’avais vraiment pas souhaité ce genre d’épreuve, mais je ne voyais comment m’y soustraire. Je méditais quelque façon de dédaigneusement le lui faire comprendre lorsqu’il reparut soudain, se mit à me harceler de toutes parts, et finalement me renvoya à terre, sur le pavé en pente, à l’endroit précis où j’étais précédemment tombé. Je sentis sa botte sur mes côtes. Fou de rage, j’attrapai sa jambe, en sentis, sans pouvoir y croire, le vêtement et l’os dans l’étreinte de ma paume. Il tomba sur le mur de pierre voisin et émit un grognement de colère non déguisée.

« La suite fut pure confusion. Je pus maintenir un moment ma prise sur sa jambe, bien qu’il s’efforçât de m’atteindre de sa botte. Puis, après qu’il eut dégringolé sur moi et se fut libéré, je me retrouvai soudain suspendu en l’air au bout de deux mains puissantes. J’imagine bien ce qui aurait pu se passer ensuite : il aurait pu me projeter à plusieurs mètres de là, il en avait la force, et alors, choqué, blessé, j’aurais peut-être perdu conscience. Même au beau milieu de la mêlée, la question de savoir s’il m’était possible de perdre conscience m’inquiétait énormément. Mais je n’eus pas l’occasion de le vérifier, car mon adversaire relâcha sa prise. Malgré la confusion du combat, je compris que quelqu’un d’autre s’était interposé pour me libérer.

« Quand je levai le regard, je vis que j’étais au milieu de la rue, et l’espace d’un instant j’entr’aperçus deux silhouettes, impression aussi fugitive que l’image qui persiste après qu’on a fermé les yeux. Puis il y eut un tourbillon de vêtements noirs, un bruit de bottes sur le pavé, et la nuit fut de nouveau vide. Je m’assis, pantelant, le visage inondé de sueur, et observai les environs, puis levai les yeux sur le ruban de ciel pâle. Lentement, et seulement à cause de la concentration de mon regard, une silhouette émergea de l’obscurité du mur qui me surplombait. Accroupie sur la saillie de pierre du linteau d’une porte, elle se tourna de telle façon qu’un infime rayon de lumière tombât sur ses cheveux, puis sur son visage blanc et rigide. Un étrange visage, plus large et moins décharné que celui de l’autre, troué d’un grand œil noir fixé résolument sur moi. Un murmure tomba de ses lèvres, qui pourtant n’avaient pas paru bouger :