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« — Vous m’aviez promis! répéta Lestat.

« — Je ne vous ai rien promis du tout, répliqua Santiago.

« — Ils se sont moqués de vous, dis-je à Lestat d’une voix amère, alors qu’on procédait à l’ouverture du cercueil. Ils se sont moqués de vous! C’est à Armand que vous devez vous adresser, c’est Armand qui est le chef ici!

« Il ne parut pas comprendre. Ensuite, ce ne fut plus que confusion. Impuissant, misérable, tout en me débattant, donnant des coups de pied, essayant de dégager mes bras, je leur criai, rageur, qu’Armand ne les aurait jamais laissés faire, et qu’ils ne s’avisent surtout pas de faire quoi que ce soit à Claudia. Mais ils m’introduisirent de force dans le cercueil, tandis que mes efforts furieux n’avaient d’autre effet que de me faire oublier les pleurs de Madeleine, ses atroces gémissements et ma crainte de leur entendre superposés ceux de Claudia. Je tentai de soulever le poids du couvercle, réussis à le maintenir un instant entrouvert, avant qu’ils le rabattent et en verrouillent les serrures dans un grand ferraillement de clefs. Des paroles prononcées bien longtemps auparavant, dans ce havre de paix devenu le théâtre de nos querelles, par un Lestat au sourire grinçant, me revinrent en mémoire : « Un enfant affamé, c’est un spectacle effrayant…, un vampire affamé, c’est pire encore… On entendrait ses cris jusqu’à Paris… » Mon corps moite et tremblant s’affaissa dans l’atmosphère étouffante du cercueil, et je me répétai : « Armand ne les laissera pas faire, et il n’y a pas d’endroit assez sûr où ils puissent nous cacher. »

« On souleva le cercueil et, dans un grand piétinement de bottes, on l’emporta. Je résistai au tangage qui lui était imprimé en m’arc-boutant des deux bras contre ses côtés. Peut-être fermai-je un instant les yeux. Je ne cédai pas à la tentation de reconnaître à tâtons l’étroitesse de ma prison, de mesurer la faible épaisseur de la couche d’air qui s’interposait entre mon visage et le couvercle. Le cercueil bascula lorsqu’on atteignit l’escalier. J’essayai vainement de distinguer les pleurs de Madeleine, car il m’avait semblé qu’elle appelait Claudia, comme si elle avait pu nous être d’aucun secours. Mais toi, appelle donc Armand, me disais-je, il faut absolument qu’il rentre cette nuit! Cependant la seule idée d’entendre mon propre cri hurler à mes oreilles, prisonnier comme moi de cette boîte, était suffisamment humiliante pour m’empêcher d’appeler.

« Et s’il ne venait pas? pensai-je. S’il avait un cercueil, caché quelque part dans sa tour, où il peut s’abriter pendant le jour?… Soudain, sans avertissement, mon corps échappa au contrôle de mon esprit. Je frappai du bras le bois du cercueil, cherchai à me retourner pour exercer la pression de mon dos sur le couvercle. Mais c’était impossible, l’espace était trop restreint. Ma tête retomba sur la planche et la sueur coula le long de mon dos et de mes flancs.

« Je n’entendais plus Madeleine pleurer. Il n’y avait plus que le bruit des bottes et celui de ma respiration. Alors, c’est demain qu’il viendra — oui, demain soir — et ils lui raconteront, il nous trouvera et nous libérera. Le cercueil s’inclina. L’odeur de l’eau emplit mes narines. Sa fraîcheur était sensible au travers de la chaleur qui régnait dans le cercueil clos. Puis l’odeur de la terre se mêla à celle de l’eau. Le cercueil fut rudement posé au sol, me meurtrissant les membres. Je me frottai les coudes, m’efforçant de ne pas toucher le couvercle, pour ne pas en sentir la proximité. Ma peur se muait en panique, en terreur.

« Je crus qu’ils allaient maintenant me laisser, mais ils se mirent à s’affairer près de moi, et une nouvelle odeur, une odeur crue et inconnue, parvint à mes narines. Je compris tout à coup qu’ils étaient en train de monter un mur de brique et que l’odeur était celle du mortier. Je portai lentement, précautionneusement la main à mon visage pour en essuyer la sueur. « Très bien, alors, il n’y a qu’à attendre demain, me raisonnai-je, bien que j’eusse l’impression que le cercueil s’était encore rétréci ; très bien, c’est demain qu’il viendra; ceci n’est que ma prison provisoire, la peine que je purge pour le mal que j’ai fait, nuit après nuit, après nuit… »

« Cependant mes yeux se gonflaient de larmes, et de nouveau mes bras se mirent à battre les parois du cercueil, tandis que je secouais la tête de droite et de gauche. Je me transportai en esprit jusqu’au lendemain, jusqu’à la nuit prochaine, jusqu’à celle d’après. Puis, comme pour échapper à la démence, je pensai à Claudia — je me rappelai l’étreinte de ses bras sous la faible lumière qui régnait dans notre appartement de l’hôtel Saint-Gabriel, je revis l’arrondi de sa joue, les battements doux et langoureux de ses cils, je sentis le contact soyeux de ses lèvres. Mon corps se raidit, je donnai des coups de pied aux planches. Il n’y avait plus ni bruit de maçonnerie ni pas étouffés. J’appelai Claudia. A force de secouer la tête, j’en tordis mon cou de douleur; je serrai le poing jusqu’à en enfoncer les ongles dans ma paume. Lentement, comme un courant glacé, la paralysie du sommeil me saisit. J’essayai d’appeler Armand — stupide réaction de désespoir -, oubliant presque, alors que mes paupières s’alourdissaient et que mes mains s’affaissaient, presque que lui aussi était, quelque part, sous l’empire du sommeil et qu’il s’était déjà réfugié dans son abri diurne. J’eus une dernière convulsion, sentis une dernière fois le contact du bois, scrutai des yeux les ténèbres. Mais je m’affaiblissais. Puis ce fut le néant.

— Je m’éveillai au son d’une voix. Une voix lointaine, mais distincte, qui dit deux fois mon nom. Je ne savais plus où j’étais. J’avais fait un rêve, un rêve atroce qui menaçait de s’évanouir sans le moindre indice permettant de le reconstituer, un rêve où je souhaitais impatiemment que se produise un événement terrible. J’ouvris les yeux et touchai le couvercle du cercueil. Je me rappelai où je me trouvais au même instant où, par bonheur, je reconnaissais la voix d’Armand. Je lui répondis, mais mes cris m’assourdirent, enfermés qu’ils étaient en ma compagnie dans cette boîte. Pris d’une terreur soudaine, je pensai : « Il me cherche, et je ne peux pas lui faire savoir que je suis ici! » Mais je l’entendis me parler, me dire de ne pas avoir peur. Il y eut un premier choc violent, puis un second, suivi d’un craquement et du bruit de tonnerre produit par l’écroulement du mur de briques. Plusieurs d’entre elles, me sembla-t-il, heurtèrent le cercueil. Il les débarrassa une par une, et j’eus l’impression qu’il arrachait les serrures à l’aide de ses ongles.

« Le bois dur du couvercle craqua. Un point de lumière brilla devant mes yeux. Je respirai l’air qui s’était infiltré par la fente, le cercueil s’ouvrit. Aveuglé par la vive lumière d’une lampe, je me redressai et m’assis, me cachant les yeux derrière les doigts.

« — Dépêchez-vous, me dit-il. Et ne faites aucun bruit.

« — Où allons-nous donc? demandai-je.

« Grâce à la brèche ouverte par Armand, j’aperçus un long passage de brique grossière, dans lequel s’ouvraient de nombreuses portes, qui étaient toutes murées, à l’égal de celle de ma prison. J’imaginai aussitôt des cercueils derrière chacun de ces scellements, des cercueils contenant les cadavres pourris de vampires morts de faim. Armand me tira par le bras en me répétant d’être silencieux. Nous descendîmes furtivement le couloir, jusqu’à une porte de bois où il s’arrêta, et éteignit la lampe, nous plongeant ainsi dans la plus totale obscurité. Puis je m’aperçus qu’un rai de lumière passait sous la porte, qu’il ouvrit alors si doucement que les gonds n’en émirent pas le moindre grincement. Je pris conscience du bruit que faisait ma respiration haletante et tentai de la calmer. Nous étions maintenant dans ce passage secret qui menait à sa cellule. Mais, tandis que je courais sur ses pas, une horrible constatation s’imposa à mon esprit : il me secourait, mais il me secourait moi seul. Je posai ma main sur son épaule pour le faire s’arrêter, mais il m’obligea à continuer. Je dus attendre que nous soyons sortis dans la ruelle qui longeait le Théâtre des Vampires pour qu’il consentît à faire halte un instant; et encore le sentais-je prêt à s’élancer de nouveau. Avant même que j’ouvre la bouche, il secoua la tête en disant :