ment évolué moi-même depuis hier soir.
- Tu as entendu ton histoire quand même, c'est colossal !
- Oui, tu l'as déjà dit, écoute, ne t'inquiète de rien, puisque tu te proposes d'assumer seul cette signature c'est très bien, j'ai vraiment peu dormi, je vais aller me reposer, je te remercie, je reviendrai demain, ça ira beaucoup mieux.
Paul l'invita à prendre quelques jours de repos, au moins jusqu'à la fin de la semaine ; un emmé-
nagement, c'était toujours épuisant. Il lui offrit ses services pendant le week-end, s'il avait besoin de quoi que ce soit. Arthur le remercia ironiquement, quitta la pièce et dévala l'escalier. Il sortit de l'immeuble et chercha Lauren sur le trottoir.
- Vous êtes là ?
Lauren apparut, assise sur le capot de sa voiture.
- Je vous crée plein de problèmes, je suis vraiment désolée.
- Non, ne le soyez pas. Finalement, je n'ai pas fait cela depuis très longtemps.
- Quoi ça ?
- L'école buissonnière. Toute une journée avec Monsieur Buisson !
Paul à la fenêtre, le front plissé, regardait son associé parler tout seul dans la rue, ouvrir la portière côté passager sans aucune raison et la refermer aussitôt, faire le tour de son cabriolet, et s'installer derrière le volant. Il fut convaincu que son meilleur ami faisait une dépression de surmenage ou qu'il avait eu un accident cérébral. Installé sur son siège Arthur posa ses mains sur le volant et soupira. Il fixait Lauren du regard, souriant en silence. Gênée, elle lui rendit son sourire.
- C'est énervant d'être pris pour un fou, n'est-ce pas ? Et encore il ne vous a pas traité de pute !
- Pourquoi ? Mon explication était confuse ?
- Non, pas le moins du monde. Où va-t-on ?
- Prendre un grand petit déjeuner, et vous allez tout me raconter, dans le détail.
De la fenêtre de son bureau Paul continuait de surveiller son ami garé en bas devant la porte de l'immeuble. Lorsqu'il le vit parler seul dans la voiture, s'adressant à un personnage invisible et imaginaire, il se décida à l'appeler sur son téléphone portable. Dès qu'Arthur décrocha il lui demanda de ne pas démarrer, il descendait sur-le-champ, il fallait qu'il lui parle.
- De quoi ? demanda Arthur.
- C'est pour cela que je descends !
Paul dévala l'escalier, traversa la cour et, arrivé devant la Saab, ouvrit la portière du conducteur et s'assit presque sur les genoux de son meilleur ami.
- Pousse-toi !
- Mais monte de l'autre côté, bon sang !
- Ça ne t'embête pas si c'est moi qui conduis ?
- Je ne comprends pas, on parle ou on roule ?
- Les deux, allez, change de siège !
Paul poussa Arthur et s'installa derrière le volant, il fit tourner la clé de contact et le cabriolet quitta son aire de stationnement. Arrivé au premier carrefour il freina brutalement.
- Juste une question préalable : Ton fantôme est dans la voiture avec nous en ce moment ?
- Oui, elle s'est assise sur la banquette arrière, vu ta façon cavalière d'entrer.
Paul ouvrit alors sa portière, descendit de la voiture, inclina le dossier de son siège, et s'adressant à Arthur :
- Sois gentil, tu demandes à Casper de nous laisser et de descendre. J'ai besoin d'avoir une conversation en privé avec toi. Vous vous retrouverez chez toi !
Lauren apparut à la fenêtre côté passager.
- Retrouve-moi à North-Point, dit-elle, je vais aller me promener là-bas. Tu sais, si c'est trop compliqué, tu n'es pas obligé de lui dire la vérité, je ne veux pas te mettre dans une situation impossible !
- C'est mon associé et mon ami, je ne peux pas lui mentir.
- Tu n'as qu'à parler de moi avec la boîte à gants ! reprit Paul, moi tu vois, hier soir j'ai ouvert le frigo, j'ai vu de la lumière, je suis rentré, et j'ai parlé de toi avec le beurre et une salade pendant une demi-heure.
- Je ne parle pas de toi avec la boîte à gants, mais avec elle !
- Eh bien, tu vas demander à Lady Casper d'aller repasser son drap pour qu'on puisse se parler un peu !
Elle disparut.
- Il est parti ? demanda Paul un peu nerveux.
- C'est Elle, pas Il ! Oui, elle s'est absentée, tu es tellement grossier ! Bon, à quoi joues-tu ?
- À quoi je joue ? interrogea Paul en faisant la moue.
Il redémarra.
- Non, je préférais juste que nous soyons seuls, je voulais te parler de choses personnelles.
- De quoi ?
- Des effets secondaires qui surviennent parfois plusieurs mois après une séparation.
Paul partit sur une grande tirade, Carol-Ann n'était pas faite pour lui, il pensait qu'elle l'avait fait beaucoup souffrir pour rien et qu'elle n'en valait pas la peine. Après tout, cette femme était une infirme du bonheur. Il en appela à son honnêteté, elle ne méritait pas l'état dans lequel il avait vécu après leur séparation. Depuis Karine, il n'avait jamais été détruit comme ça. Et Karine, il comprenait alors que franchement, Carol-Ann...
Arthur lui fit remarquer qu'à l'époque de la fameuse Karine, ils avaient dix-neuf ans, et que de surcroît il n'avait jamais flirté avec elle. Vingt ans que Paul lui en reparlait, simplement parce qu'il l'avait vue en premier ! Paul nia l'avoir même évo-quée. « Au moins deux à trois fois par an !» rétorqua Arthur. «Pouf! elle ressort d'une boîte à souvenirs. Je n'arrive même pas à me rappeler son visage ! » Paul se mit à gesticuler, soudainement excédé.
- Mais pourquoi n'as-tu jamais voulu me dire la vérité à son sujet ? Avoue-le, bon sang, que tu es sorti avec elle, puisque cela fait vingt ans comme tu le dis, il y a prescription maintenant !
- Tu m'emmerdes, Paul, tu n'es pas descendu du bureau en courant, et nous ne sommes pas en train de traverser la ville parce que tout à coup tu voulais me parler de Karine Lowenski ! Où va-t-on, d'ailleurs ?
- Tu ne te souviens pas de sa tête, mais tu n'as pas oublié son nom de famille en tout cas !
- C'était ça ton sujet très important ?
- Non, je te parle de Carol-Ann.
- Pourquoi me parles-tu d'elle ? C'est la troisième fois depuis ce matin. Je ne l'ai pas revue et nous ne nous sommes pas téléphoné. Si tu es sou-cieux à cause de ça, ce n'est pas la peine que nous descendions avec ma voiture jusqu'à Los Angeles, parce que mine de rien, nous venons de traverser le port et nous sommes déjà dans South-Market.
Qu'est-ce qu'il y a, elle t'a invité à dîner ?
- Comment peux-tu imaginer que je veuille dîner avec Carol-Ann ? Du temps où vous étiez ensemble j'avais déjà du mal à le faire, et pourtant tu étais à table.
- Alors de quoi s'agit-il, pourquoi me fais-tu traverser la moitié de la ville ?
- Pour rien, pour te parler, pour que tu me parles.
- De quoi ?
- De toi !
Paul bifurqua sur la gauche et fit pénétrer la Saab sur le parking d'un grand immeuble de quatre étages aux façades recouvertes de faïence blanche.
- Paul, je sais que cela va te paraître dingue, mais j'ai vraiment rencontré un fantôme !
- Arthur, je sais que ça va te paraître dingue, mais je t'emmène vraiment faire un bilan médical !
Arthur qui regardait son ami retourna brusquement la tête, fixant le frontispice qui ornait la devanture de l'immeuble :
- Tu m'as emmené dans une clinique ? Tu es sérieux ? Tu ne me crois pas ?
- Mais si, je te crois ! Et je vais te croire encore plus quand tu auras fait un scanner.
- Tu veux que je fasse un scanner ?
- Écoute-moi bien, grande girafe ! Si j'arrive un jour au bureau avec la tête d'un type qui est resté coincé sur un escalier roulant pendant un mois, que je repars en colère alors que je ne perds jamais mon calme, que de la fenêtre tu me vois marcher sur le trottoir le bras en l'air à quatre-vingt-dix degrés à l'horizontale, puis ouvrir la portière de ma voiture à un passager qui n'existe pas, que non content de l'effet provoqué je continue à parler en gesticulant dans la voiture, comme si je parlais à quelqu'un, mais qu'il n'y a personne, vraiment personne, et que pour seule explication je te dis que je viens de rencontrer un fantôme, j'espère que tu seras aussi inquiet pour moi que je le suis pour toi en ce moment.