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Arthur esquissa un sourire.

- Quand je l'ai rencontrée dans mon placard, j'ai cru que c'était toi qui me faisais une blague.

- Tu vas me suivre, on va aller me rassurer maintenant !

Arthur se laissa tirer par le bras jusque dans le hall d'accueil de la clinique. La réceptionniste les suivit du regard. Paul installa Arthur sur une chaise, en lui donnant l'ordre de ne pas en bouger. Il se comportait avec lui comme on traite un enfant pas très sage dont on redoute à chaque instant qu'il échappe à votre périmètre de vue. Puis il se rendit au comptoir, et héla la jeune femme en scandant :

- C'est une urgence !

- De quel type ? répondit-elle du tac au tac, avec une certaine désinvolture dans sa voix, alors que le ton emprunté par Paul traduisait clairement son impatience et son énervement.

- Du type assis là-bas sur un fauteuil !

- Non, je vous demande de quelle nature est l'urgence ?

- Traumatisme crânien !

- Comment est-ce arrivé ?

- L'amour est aveugle et lui passe son temps à prendre des coups de canne blanche sur la tête, alors à force, ça finit par l'esquinter !

Elle trouva la réplique très drôle, sans être toutefois certaine d'en avoir perçu le sens. Sans rendez-vous et sans prescription elle ne pouvait rien faire pour lui, elle en était désolée ! « Attendez pour être désolée ! » Elle le serait quand il aurait fini de parler, annonça-t-il, demandant d'une voix autoritaire si cette clinique était bien celle du Dr Bresnik ?

L'hôtesse acquiesça de la tête. Il lui expliqua d'un ton tout aussi vif que c'était au sein de cet établissement que les soixante collaborateurs de son cabinet d'architecture venaient faire chaque année leur contrôle médical, mettre leurs bébés au monde, conduire leurs enfants pour les faire vacciner ou soigner rhumes, grippes, angines et autres saloperies.

Il enchaîna sans reprendre son souffle et lui expliqua que tous ces gentils patients, et néanmoins clients de cette institution médicale, étaient sous la responsabilité de l'énergumène qu'elle avait devant elle, mais également du monsieur qui était assis avec son air désemparé sur le fauteuil en face.

- Alors, mademoiselle, ou le Dr Bresmachin s'occupe de mon associé maintenant, ou je vous garantis que plus un seul d'entre eux ne foulera le tapis-brosse de votre somptueuse clinique, pas même pour se faire poser un patch !

Une heure plus tard Arthur, accompagné de Paul, commençait une batterie d'examens en vue d'un check-up complet. Après un électrocardiogramme sous effort (on le fit pédaler vingt minutes sur un vélo d'appartement, des tas d'électrodes collées sur sa poitrine), on lui préleva du sang (Paul ne put rester dans la pièce). Puis un médecin lui fit une série de tests neurologiques (on lui demanda de lever une jambe, yeux ouverts et yeux fermés, on lui tapa à l'aide d'un petit marteau sur les coudes, sur les genoux et sur le menton, on lui gratta même la plante du pied avec une aiguille). Enfin sous la pression de Paul on accepta de lui faire passer un scanner. La salle d'examen était divisée par une grande cloison vitrée. D'un côté trônait l'impres-sionnante machine cylindrique évidée en son centre pour permettre au patient d'y pénétrer de toute la longueur de son corps (c'est pour cela qu'on la comparait souvent à un gigantesque sarcophage), de l'autre côté, une salle technique encombrée de pupitres et de moniteurs reliés par de gros faisceaux de câbles noirs. Arthur fut allongé et sanglé au crâne et aux hanches sur une plate-forme étroite recouverte d'un drap blanc, le docteur appuya sur un bouton le faisant avancer à l'intérieur de l'appareil.

L'espace entre sa peau et les parois du tube n'était pas supérieur à quelques centimètres, il ne pouvait plus effectuer aucun mouvement. On l'avait averti de l'extrême sensation de claustrophobie qu'il pourrait ressentir.

Il allait rester seul tout au long de l'examen, mais il pourrait communiquer à tout moment avec Paul et le médecin, installés de l'autre côté de la paroi de verre. La cavité dans laquelle il était emprisonné était équipée de deux petits haut-parleurs. On pouvait converser avec lui depuis la salle de contrôle.

En appuyant sur la petite poire en plastique qu'on lui avait glissée dans la main il activerait un micro et pourrait s'exprimer. La porte fut refermée et la machine commença à émettre une série de sons per-cutants.

- C'est insupportable ce qu'il subit ? demanda Paul d'un air amusé.

Le manipulateur expliqua que c'était assez désa-gréable. Beaucoup de patients claustrophobes ne supportaient pas cet examen et le contraignaient à interrompre le protocole.

- Ça ne fait pas mal du tout, mais le confine-ment et le bruit rendent la chose nerveusement difficile.

- Et on peut lui parler ? enchaîna Paul.

Il pouvait s'adresser à son ami en appuyant sur le bouton jaune à côté de lui. Le manipulateur pré-

cisa qu'il valait mieux le faire quand le scanner n'émettait pas de sons, sinon les mouvements de la mâchoire d'Arthur pouvaient rendre les clichés flous quand il répondrait.

- Et là vous voyez l'intérieur de son cerveau ?

- Oui.

- Et qu'est-ce qu'on découvre ?

- Toute forme d'anomalie, un anévrisme, par exemple...

Le téléphone retentit et le docteur décrocha.

Après quelques secondes de conversation il s'excusa auprès de Paul. Il lui fallait s'absenter un instant. Il l'invita à ne rien toucher, tout était automatique et il reviendrait dans quelques minutes.

Lorsque le médecin eut quitté les lieux, Paul regarda son ami au travers de la vitre, un étrange sourire lui vint aux lèvres. Ses yeux se portèrent sur le bouton jaune du microphone. Il marqua un temps d'hésitation et appuya :

- Arthur, c'est moi ! Le toubib a dû s'absenter, mais ne t'inquiète pas je suis là pour surveiller que tout se déroule bien. C'est incroyable le nombre de boutons de ce côté. On se croirait dans un cockpit d'avion. Et c'est moi qui conduis, le pilote a sauté en parachute ! Dis donc, mon vieux, tu vas la balancer l'info, maintenant ? Alors, Karine, tu n'es pas sorti avec elle, mais tu as quand même couché avec elle, non ?

Lorsqu'ils sortirent sur le parking de la clinique, Arthur avait sous son bras une dizaine d'enveloppes en kraft contenant des comptes rendus d'examens tous parfaitement normaux.

- Tu me crois maintenant ? demanda Arthur.

- Tu me déposes au bureau et tu vas te reposer chez toi comme prévu.

- Tu éludes ma question. Est-ce que tu me crois maintenant que tu sais que je n'ai pas de tumeur dans la tête ?

- Écoute, va te reposer, tout ça peut venir d'une crise de surmenage.

- Paul, j'ai joué le jeu de ton bilan médical, joue le jeu toi aussi !

- Je ne suis pas sûr qu'il m'amuse, ton jeu ! On en reparlera plus tard, il faut que je file directement au rendez-vous, je vais prendre un taxi. Je te télé-

phonerai plus tard dans la journée.

Paul le laissa seul dans la Saab. Il quitta les lieux et roula vers North-Point. Au fond de lui, Arthur commençait à aimer cette histoire, son héroïne, et les situations qu'elle ne manquerait pas de provoquer.

Le restaurant à touristes était perché sur la falaise et surplombait le Pacifique. La salle était presque pleine et au-dessus du bar deux télévisions permettaient aux convives de suivre deux matches de base-ball. Les paris allaient bon train. Ils étaient attablés derrière la baie vitrée.