- À celle de l'hôpital, oui.
- Pas dans une pharmacie publique ?
Elle réfléchit quelques secondes et acquiesça, on pouvait reconstituer la perfusion en achetant le glu-cose, les anticoagulants, le sérum physiologique et en les mélangeant. C'était donc possible. D'ailleurs, les personnes hospitalisées à domicile le faisaient faire par leurs infirmières qui commandaient les produits dans une pharmacie centrale.
- Il faut que j'appelle Paul maintenant, dit-il.
- Pourquoi ?
- Pour l'ambulance.
- Quelle ambulance ? Quelle est ton idée ? Je peux en savoir plus ?
- On va t'enlever !
Elle ne comprit pas du tout où il voulait en venir, mais elle commençait à être inquiète.
- On va t'enlever. Pas de corps, pas d'euthanasie !
- Tu es complètement dingue.
- Pas tant que ça.
- Comment va-t-on m'enlever ? Où cacherons-nous le corps ? Qui veillera dessus ?
- Une question à la fois !
Elle s'occuperait de son corps, elle avait l'expé-
rience requise. Il fallait juste trouver le moyen de se procurer un stock de liquide de perfusion, mais à l'entendre cela ne semblait pas impossible. Il faudrait peut-être changer de pharmacie de temps à autre pour ne pas trop attirer l'attention.
- Avec quelles ordonnances ? demanda-t-elle.
- Ça fait partie de ta première question, comment ?
- Alors ?
Le beau-père de Paul était carrossier, spécialisé dans la réparation de véhicules de secours : pom-piers, police, EMU. Ils « emprunteraient » une ambulance, piqueraient des blouses, et ils iraient la chercher pour la transférer d'hôpital. Lauren se mit à rire nerveusement. « Mais cela ne se passe pas comme ça ! »
Elle lui rappela qu'on n'entrait pas dans un établissement hospitalier comme dans un supermarché.
Pour effectuer un transfert, un secondaire comme on disait dans son jargon, il y avait des tas de démarches administratives. Il fallait un certificat de prise en charge du service d'arrivée, une autorisation de sortie, signée par le médecin traitant, un bon de transfert de la compagnie d'ambulance, accompagnée d'une lettre de voyage qui devait décrire les modalités du transport.
- C'est là que tu entres en jeu, Lauren, tu vas m'aider à me procurer ces documents.
- Mais je ne peux pas, comment veux-tu que je fasse, je ne peux rien saisir, rien déplacer.
- Mais tu sais où ils se trouvent ?
- Oui, et alors ?
- Alors c'est moi qui vais les subtiliser. Tu connais ces formulaires ?
- Oui, bien sûr, j'en signais tous les jours, surtout dans mon service.
Elle les lui décrivit. Il s'agissait de bordereaux types, sur des papiers blancs, roses, bleus, avec l'en-tête et le logo des hôpitaux ou de la compagnie d'ambulance.
- Alors on va les reproduire, conclut-il. Accompagne-moi.
Arthur prit son blouson, ses clés, il était comme dans un état second, d'une détermination qui laissait peu le loisir à Lauren de contre-argumenter ce projet irréaliste. Ils s'installèrent dans la voiture, il actionna la télécommande de la porte du garage, et s'engagea dans Green Street. Il faisait nuit. Si la ville était calme, lui ne l'était pas, il roula à vive allure jusqu'au Mémorial Hospital. Il se rendit directement sur le parking du service des urgences.
Lauren l'interrogea sur ce qu'il était en train de faire, il répondit d'un simple sourire au coin des lèvres : « Suis-moi et ne ris pas ! »
Au moment où il franchit la première porte du sas des urgences, il se plia en deux et se dirigea ainsi courbé jusqu'au comptoir d'accueil. L'employée de garde lui demanda ce qu'il avait. Il décrivit les crampes violentes qui s'étaient déclarées deux heures après son repas, précisa par deux fois qu'il avait déjà été opéré de l'appendicite, mais qu'il avait déjà eu, depuis, ce type de douleurs insupportables. L'aide-soignante l'invita à s'allonger sur un brancard en attendant qu'un interne s'occupe de lui.
Assise sur l'accoudoir d'une chaise roulante, Lauren commençait, elle aussi, à sourire. Arthur jouait parfaitement bien la comédie, elle-même avait été inquiète lorsqu'il s'était presque effondré dans la salle d'attente.
- Tu ne sais pas ce que tu es en train de faire, lui avait-elle murmuré au moment même où un médecin venait le prendre en charge.
Le Dr Spacek s'était présenté et l'avait invité à le suivre dans une des salles que longeait le couloir, occultée des autres par un simple rideau. Il le fit s'allonger sur le lit d'examen et l'interrogea sur ses maux, tout en lisant la fiche où figuraient toutes les informations demandées à l'accueil. À part l'âge où il était devenu un homme, presque tout sur lui devait y être inscrit, tant cela avait relevé de l'interrogatoire policier. Il déclara avoir des crampes terribles.
« Où avez-vous ces crampes terribles ? » questionna le docteur. « Partout dans le ventre », cela lui faisait un mal de chien. « N'en rajoute pas, souffla Lauren, tu vas avoir le droit à une piqûre de calmants, à passer la nuit ici, et demain matin, à un lavement radio baryté suivi d'une fibroscopie et d'une colos-copie. »
- Pas de piqûre ! laissa-t-il échapper malgré lui.
- Mais je n'ai pas parlé de piqûre, dit Spacek en relevant la tête de son dossier.
- Non, mais je préfère en parler tout de suite parce que je déteste les piqûres.
L'interne lui demanda s'il était d'une nature nerveuse et Arthur confirma d'un signe de tête. Il allait le palper et il devrait lui indiquer où la douleur était plus vive. Arthur hocha la tête à nouveau. Le médecin posa ses deux mains, l'une sur l'autre, sur le ventre d'Arthur, et commença son travail d'auscultation.
- Avez-vous mal là ?
- Oui, dit-il hésitant.
- Et ici ?
- Non, tu ne veux pas avoir mal à cet endroit, lui souffla Lauren en souriant.
Arthur nia aussitôt l'existence de toute douleur à l'endroit où l'interne était en train de le palper.
Elle le guida ainsi dans ses réponses tout au long de la consultation. Le médecin conclut à des colites d'origine nerveuse nécessitant la prise d'un anti-spasmodique que la pharmacie de l'hôpital lui délivrerait contre remise de l'ordonnance qu'il achevait de lui rédiger. Deux poignées de mains et trois
« Merci docteur » plus tard, il parcourait d'un pas léger le long corridor qui menait à l'officine. Il avait dans sa main trois documents différents, tous à en-tête et logo du Mémorial Hospital. L'un bleu, l'autre rose, le troisième vert. L'un étant une ordonnance, le second un reçu de facture, et le dernier une décharge de sortie, portant la mention en grosses lettres : « Bon de Transfert / Bon de sortie », et en caractères italiques : « Rayez la mention inutile ». Il avait un large sourire au visage, très content de lui.
Lauren marchait à ses côtés. Il la prit sous son bras.
« On forme une bonne équipe quand même ! »
De retour à l'appartement, il glissa les trois documents dans le scanner de son ordinateur et les copia.
Il disposait dès lors d'une source intarissable d'imprimés de toutes les couleurs et de toutes les formes, aux lettres officielles du Mémorial.
- Tu es très fort, lui dit Lauren lorsqu'elle vit sortir de l'imprimante couleurs les premiers papiers à en-tête.
- Dans une heure, j'appelle Paul, lui répondit-il.
- On va d'abord parler un peu de ton projet, mon Arthur.
Elle avait raison, dit-il, il lui fallait la questionner sur tout ce qui concernait le fonctionnement d'une procédure de transfert. Mais ce n'était pas de cela dont elle voulait discuter.
- De quoi alors ?
- Arthur, ton projet me touche, mais pardon, il est irréaliste, fou, et beaucoup trop dangereux pour toi. Tu iras en prison si tu te fais piquer, au nom de quoi, bon sang ?
- Parce que ce n'est pas beaucoup plus risqué pour toi si on ne tente rien ? Nous n'avons que quatre jours, Lauren !