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Le hall était désert lorsqu'ils sortirent du monte-malades. Ils le traversèrent d'un pas rapide. Le corps de Lauren fut chargé à l'arrière de l'ambulance. Puis ils prirent leur place respective.

Sur celle d'Arthur il y avait les documents de transfert, et un post-it : « Téléphonez-moi demain, il manque deux informations sur le dossier de transfert, Karen (415) 725 00 00-poste 2154. PS : Bonne continuation. »

L'ambulance quitta le Mémorial Hospital.

- Finalement, c'est assez facile de piquer un malade, dit Paul.

- C'est parce que ça n'intéresse pas beaucoup de gens, répondit Arthur.

- Je les comprends. Où va-t-on ?

- D'abord à l'appartement puis dans un endroit qui est aussi dans le coma et que nous allons réveiller tous les trois.

L'ambulance remonta Market Street et bifurqua dans Van Ness. L'habitacle était silencieux.

Conformément au plan établi par Arthur, il leur fallait encore retourner chez lui transférer le corps dans sa voiture. Tandis que Paul rapporterait le véhicule emprunté au garage de son père, Arthur des-cendrait toutes les affaires préparées pour le voyage et le séjour à Carmel. Le matériel de pharmacie avait été soigneusement emballé et stocké dans le grand frigo General Electric.

En arrivant devant le garage, Paul actionna la télé-

commande de la porte coulissante, rien ne se produisit.

- C'est toujours comme ça dans les mauvais polars, dit-il.

- Que se passe-t-il ? questionna Arthur.

- Non, dans les mauvais polars, le voisin prend un air plus macho et moins maniéré et dit : « C'est quoi ce bordel ? » Là, en l'occurrence, c'est ta porte télécommandée qui ne s'ouvre pas, et c'est une ambulance du garage de mon père, avec un corps dedans, qui est garée devant ton immeuble à l'heure où tous tes voisins vont aller faire pisser leur chien.

- Merde alors !

- C'est à peu de chose près ce que je disais, Arthur.

- Passe-moi la télécommande !

Paul s'exécuta en haussant les épaules. Arthur appuya nerveusement sur le bouton, sans que rien se produise.

- Et en plus il me prend pour un débile.

- La pile est morte, enchaîna Arthur.

- C'est la pile bien sûr, argua Paul sarcastique, tous les génies se font piquer à cause d'un détail comme ça.

- Je cours en chercher une, fais le tour du pâté de maisons.

- Tu peux prier pour en avoir une dans tes tiroirs, génie !

- Ne réponds pas et monte, enchaîna Lauren.

Arthur descendit de l'ambulance et gravit l'escalier à toute hâte, il entra en trombe dans l'appartement, et commença à fouiller tous les tiroirs.

Aucune pile en vue. Il vida celui du secrétaire, ceux de la commode, ceux de la cuisine, pendant que Paul enchaînait son cinquième tour de pâté de maisons.

- Là, si je ne me fais pas repérer par une patrouille, je suis le mec le plus cocu de la ville, maugréa Paul en entamant son sixième tour, juste au moment où il croisait une voiture de police. « Ben non, je ne suis pas cocu et là pourtant ça m'aurait bien arrangé ! »

La voiture s'arrêta à sa hauteur, le policier lui fit signe de baisser sa vitre, il s'exécuta.

- Vous êtes perdu ?

- Non, j'attends un collègue qui est monté chercher des affaires et on ramène Daisy au garage.

- Qui est Daisy ? demanda le policier.

- L'ambulance, c'est son dernier jour, elle a fait son temps, dix ans qu'on tourne ensemble, elle et moi, c'est dur de se séparer, vous comprenez ? Des tas de souvenirs, tout un pan de vie.

Le policier hocha la tête. Il comprenait, il lui demanda de ne pas trop traîner. Ils allaient générer des appels au central. Les gens étaient d'une nature curieuse et inquiète dans ce quartier. « Je sais, j'y habite, monsieur l'agent, je prends mon collègue et on rentre. Bonne nuit ! » L'agent lui souhaita également bonne nuit et la voiture de patrouille s'éloigna. À l'intérieur le conducteur paria dix dollars avec son coéquipier qu'il n'attendait personne.

- Il ne doit pas se résoudre à ramener sa guim-barde. Dix ans dedans, ça doit faire de la peine quand même.

- Ouais ! Et d'un autre côté ce sont les mêmes qui manifestent parce que la mairie ne leur donne pas de fric pour changer de matériel.

- Mais quand même dix ans, ça crée des liens.

- Ça crée des liens, oui...

L'appartement était presque aussi sens dessus dessous qu'Arthur. Soudain il se figea au milieu du salon en quête d'une idée qui les sauverait.

- La télécommande de la télévision, murmura Lauren.

Stupéfait, il se retourna vers elle et se jeta sur le boîtier noir. Il arracha littéralement la trappe à l'arrière et en retira la pile carrée qu'il mit rapidement dans la commande du garage. Il courut à la fenêtre et appuya sur le bouton.

Paul fulminant entamait son neuvième passage quand il vit la porte s'ouvrir. Il s'engouffra en priant pour qu'elle se referme plus vite qu'elle ne s'était ouverte. « C'était vraiment la pile, mais qu'il est con ! »

Pendant ce temps, Arthur redescendait les escaliers jusqu'au garage.

- Ça a été ?

- Pour moi ou pour toi maintenant ? Je vais t'étriper !

- Aide-moi plutôt, on a encore du boulot.

- Mais je ne fais que ça de t'aider !

Ils transportèrent le corps de Lauren avec beaucoup de délicatesse. Ils l'assirent à l'arrière, le bocal de la perfusion coincé entre les deux accoudoirs et l'emmitouflèrent dans une couverture. Sa tête reposait contre la portière, de l'extérieur tout le monde aurait cru qu'elle dormait.

- J'ai l'impression d'être dans un film de Taran-tino, pesta Paul. Tu sais, le truand qui se débarrasse...

- Tais-toi ! Tu vas dire une connerie.

- Pourquoi, on en est à une connerie près ce soir ? C'est toi qui vas ramener l'ambulance ?

- Non, mais c'est parce qu'elle est à côté de toi et tu allais être blessant, voilà tout.

Lauren mit la main sur son épaule.

- Ne vous engueulez pas, vous avez eu une dure journée tous les deux, dit-elle d'une voix apaisante.

- Tu as raison, continuons.

- J'ai raison quand je ne dis rien ? maugréa Paul.

Arthur enchaîna :

- Va au garage de ton père, je passe te prendre dans dix minutes, je monte chercher les équipe-ments.

Paul monta dans l'ambulance, la porte du garage s'ouvrit cette fois sans caprice, et il sortit sans dire un mot. Au croisement d'Union Street il ne vit pas la voiture de patrouille qui l'avait interpellé tout à l'heure.

- Laisse passer une voiture et suis-le ! dit le policier.

L'ambulance tourna dans Van Ness, suivie de près par le véhicule 627 de la police municipale.

Lorsqu'elle entra dix minutes plus tard dans la cour du garage, les policiers ralentirent, et reprirent leur ronde normale. Paul ne sut jamais qu'il avait été filé.

Arthur arriva un quart d'heure plus tard. Paul sortait dans la rue et monta à l'avant de la Saab.

- Tu as visité San Francisco ?

- J'ai roulé doucement, à cause d'elle.

- Tu as prévu que l'on arrive à l'aube ?

- Exactement, et détends-toi maintenant, Paul.

Nous avons presque réussi. Tu viens de me rendre un service inestimable, je le sais, ce que je ne sais pas, c'est comment te le dire, et tu as pris des risques, je le sais aussi.

- Allez roule, j'ai horreur des remerciements.

La voiture sortit de la ville par la route 280 sud.

Très vite ils bifurquèrent vers Pacifïca, avant de s'engager sur la route n° 1, celle qui longe les falaises, celle qui mène à la baie de Monterey, vers Carmel, celle qu'aurait dû emprunter Lauren un matin du début de l'été dernier, au volant de sa vieille Triumph.

Le paysage était spectaculaire. Les falaises semblaient se découper dans la nuit, comme une dentelle noire. Une lune inachevée dessinait les contours de la route. Ils roulaient ainsi au son des harmonies du concerto pour violon de Samuel Barber.