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- Tu crois que c'est un flic ?

- Non, je crois que nous sommes paranoïaques, je ne vois pas comment on aurait retrouvé notre trace. Je pense que c'est juste un promoteur ou un agent immobilier qui tâtait le terrain. Ne t'inquiète pas, tu restes ou tu viens ?

- Je viens ! dit-elle.

Vingt minutes après qu'ils furent partis, Pilguez redescendit le jardin à pied.

De retour devant la maison, il vérifia que la porte d'entrée était verrouillée, et entreprit de faire le tour du rez-de-chaussée. Aucune fenêtre n'était ouverte mais seul un volet était clos. Une seule pièce fermée, c'était suffisant pour que le vieux policier en tire des conclusions. Il ne s'attarda pas plus longtemps sur les lieux, et retourna promptement à sa voiture. Il décrocha son portable et composa le numéro de Nathalia. La conversation fut fournie, Pilguez lui expliqua qu'il n'avait toujours ni preuve ni indice, mais que d'instinct il savait Arthur coupable. Nathalia ne douta pas de sa perspicacité, seulement Pilguez ne jouissait pas d'une autorisation d'enquête lui permettant de harceler un homme sans un mobile crédible. Il était sûr que la clé de son énigme résidait dans le motif. Et ce dernier devait être important pour qu'un homme en apparence équilibré, sans besoin d'argent particulier, prenne un risque de cette envergure. Mais Pilguez ne trouvait pas le chemin d'accès à la solution. Tous les motifs classiques avaient été envisagés, aucun d'entre eux ne tenait la route. Lui vint alors l'idée d'un bluff : prêcher le faux pour découvrir le vrai, prendre son suspect de vitesse et tenter de surpren-dre une réaction, une attitude qui confirmerait ou infirmerait ses doutes. Il mit son moteur en marche, entra dans la propriété et vint se garer devant le porche.

Arthur et Lauren arrivèrent une heure plus tard.

Lorsqu'il sortit de la Ford, il fixa Pilguez droit dans les yeux, ce dernier se dirigea vers lui.

- Deux choses ! dit Arthur, la première, elle n'est pas et ne sera pas à vendre, la seconde, c'est une propriété privée !

- Je le sais, et je me fous complètement qu'elle soit à vendre ou pas, il est temps que je me présente.

Tout en parlant, il exhiba son insigne. Il s'approcha d'Arthur, et plaquant son visage tout près du sien il enchaîna :

- J'ai besoin de vous parler.

- Je crois que c'est ce que vous êtes en train de faire !

- Longuement.

- J'ai le temps !

- On peut entrer ?

- Non, pas sans mandat !

- Vous avez tort de la jouer comme ça !

- Vous avez eu tort de me mentir, je vous ai accueilli et servi à boire !

- Peut-on au moins s'asseoir sous le porche ?

- On le peut, passez devant !

Ils s'assirent tous les deux sur la balancelle.

Debout devant les marches Lauren était terrorisée.

Arthur lui fit un signe de l'œil pour la rassurer, lui faire comprendre qu'il maîtrisait la situation, et qu'il ne fallait pas s'inquiéter.

- Que puis-je faire pour vous ? demanda-t-il au policier.

- M'expliquer votre motif, c'est là-dessus que je bloque.

- Mon motif de quoi ?

- Je vais être très franc avec vous, je sais que c'est vous.

- Au risque de vous paraître un peu simple, c'est vrai, c'est moi, je suis moi depuis ma naissance, je n'ai jamais souffert de schizophrénie. De quoi parlez-vous ?

Il voulait lui parler du corps de Lauren Kline, qu'il l'accusa d'avoir dérobé avec l'aide d'un complice et d'une vieille ambulance au Mémorial Hospital dans la nuit de dimanche à lundi. Il lui fit savoir que l'ambulance avait été retrouvée chez un carrossier. Poursuivant sa tactique, il prétendait être convaincu que le corps était ici, dans cette maison, plus précisément à l'intérieur de la seule pièce au volet fermé. « Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi et cela me travaille. » Il était près de sa retraite et estimait ne pas mériter d'achever sa carrière sur une énigme. Il voulait découvrir les tenants et les aboutissants de cette affaire. La seule chose qui l'intéressait, c'était de comprendre ce qui avait motivé Arthur. « Je me moque foutrement de vous mettre derrière des barreaux. J'ai fait cela toute ma vie de mettre des gens en taule, pour qu'ils en ressortent quelques années plus tard, et recommencent.

Pour un délit pareil vous auriez cinq ans au plus, alors je m'en cogne, mais je veux comprendre. »

Arthur fit mine de ne pas saisir un mot de ce que le policier racontait.

- C'est quoi cette histoire de corps et d'ambulance ?

- Je vais essayer de vous prendre le moins de temps possible, acceptez-vous de me faire visiter la pièce aux volets fermés, sans mandat de perquisition ?

- Non!

- Et pourquoi, si vous n'avez rien à cacher ?

- Parce que cette pièce, comme vous dites, était la chambre et le bureau de ma mère, et que depuis sa mort elle est verrouillée. C'est l'unique endroit que je n'ai pas eu la force de rouvrir, et c'est pour cela que les volets y sont clos. Cela fait plus de vingt ans que ce lieu est fermé, et je ne franchirai le seuil de cette porte que seul et lorsque je serai prêt, même pour vous éviter d'imaginer une solution à votre histoire rocambolesque. J'espère que j'ai été clair.

- Cela se tient, je n'ai plus qu'à vous laisser.

- Eh bien, c'est cela, laissez-moi, il faut que je vide mon coffre.

Pilguez se leva et se dirigea vers sa voiture, en ouvrant la portière il se retourna et fixa Arthur droit dans les yeux, il hésita un instant et décida de bluffer jusqu'au bout.

- Si vous voulez visiter ce lieu dans la plus stricte intimité, ce que je comprends, faites-le ce soir. Parce que je suis têtu, demain je reviendrai en fin de journée avec un mandat, et vous ne pourrez plus être seul. Bien sûr vous pouvez décider de déplacer le corps pendant la nuit, mais au jeu du chat et de la souris je serai plus fort que vous, j'ai trente ans de carrière, et votre vie deviendrait un cauchemar. Je pose ma carte sur la balustrade, avec le numéro de mon portable, juste au cas où vous ayez quelque chose à me dire.

- Vous n'aurez pas de mandat !

- À chacun son métier, bonne soirée.

Et il quitta les lieux en trombe. Arthur resta ainsi quelques minutes, les mains sur les hanches, le cœur battant la chamade. Lauren ne tarda pas à l'interrompre dans ses pensées.

- Il faut lui avouer la vérité et négocier avec lui!

- Il faut que l'on se dépêche de planquer ton corps ailleurs.

- Non, je ne veux pas, ça suffit comme ça ! Il doit être en planque quelque part, il te prendra en flagrant délit. Arrête, Arthur, c'est ta vie ; tu l'as entendu, tu risques cinq ans de prison !

Il le sentait, le flic bluffait, il n'avait rien, il n'aurait jamais son mandat. Arthur expliqua son plan de sauvetage : à la tombée de la nuit, ils sor-tiraient par le devant de la maison, et mettraient le corps dans la barque. « Nous longerons la côte et on te cachera dans une grotte, pour deux ou trois jours. » Si le policier perquisitionnait, il ferait chou blanc, s'excuserait et serait obligé de laisser tomber.

- Il te suivra, parce que c'est un policier, et qu'il est têtu, rétorqua-t-elle. Tu as encore une chance de te sortir de cette histoire si tu lui fais gagner du temps dans son enquête, si tu négocies la clé de son énigme contre un arrangement. Fais-le maintenant, après il sera trop tard.

- C'est ta vie qui est enjeu, alors on va déplacer ton corps cette nuit.

- Arthur, tu dois être raisonnable, c'est une fuite en avant, et c'est trop dangereux.

Arthur lui tourna le dos, en répétant : « Nous prendrons la mer ce soir. » Puis il déchargea le coffre du break. Le reste de la journée fut pesant. Ils se parlèrent peu, échangèrent à peine quelques regards. En fin d'après-midi, elle se posta devant lui et le prit dans ses bras. Il l'embrassa avec douceur : « Je ne peux pas les laisser t'enlever, tu comprends ? » Elle comprenait mais ne pouvait se résoudre à le laisser compromettre sa vie.