- Il faut que tu arrêtes ça, mon vieux. Toute cette aventure ça me dépassait, mais maintenant c'est toi que ça dépasse. Tu as rêvé, Arthur, tu es parti en vrille dans une histoire de dingues. Tu dois reprendre pied avec la réalité, tu es en train de bousiller ta vie. Tu ne travailles plus, tu as l'air d'un SDF un soir de grande forme, tu es maigre comme un clou, tu as une mine de documentaire d'avant-guerre. On ne t'a pas vu au bureau depuis des semaines, les gens se demandent si tu existes encore. Tu es tombé amoureux d'une femme dans le coma, tu t'es inventé une histoire hallucinante, tu as piqué son corps et maintenant tu es en deuil d'un fantôme.
Mais tu te rends compte qu'il y a dans cette ville un psy qui est millionnaire et qui ne le sait pas encore. Tu as besoin de te faire soigner, mon vieux.
Tu n'as pas le choix, je ne peux pas te laisser dans cet état. Tout ça n'a été qu'un rêve qui vire au cauchemar.
Il fut interrompu par la sonnerie du téléphone, qu'il alla décrocher. Il tendit le combiné à Arthur.
- C'est le flic, il est en pétard. Lui aussi il essaie d'appeler depuis dix jours, il veut te parler tout de suite.
- Je n'ai rien à lui dire.
Paul avait posé sa main sur le combiné : « Tu lui parles ou je te fais bouffer l'appareil. » Il lui colla l'écouteur sur l'oreille. Arthur écouta et se leva d'un bond. Il remercia son interlocuteur et se mit à chercher frénétiquement ses clés dans le capharnaum qui régnait.
- Je peux savoir ce qui se passe ? demanda son associé.
- Pas le temps, il faut que je trouve mes clés.
- Ils viennent t'arrêter ?
- Mais non ! Aide-moi au lieu de dire des conneries.
- Il va mieux, il recommence à m'engueuler.
Arthur retrouva son trousseau, il s'excusa auprès de Paul, lui dit qu'il n'avait pas le temps de lui expliquer, que le temps pressait mais qu'il le rap-pellerait ce soir. Ce dernier resta les yeux grands écarquillés.
- Je ne sais pas où tu vas, mais si c'est dans un lieu public je te conseille vivement de changer de fringues et de te passer un gant sur le visage.
Arthur hésita puis jeta un œil sur son reflet dans le miroir du salon, courut vers la salle de bains, détourna ses yeux de la penderie, il y a des lieux qui ravivent la mémoire de façon douloureuse. En quelques minutes, il fut lavé, rasé et changé, il ressortit en trombe et sans même dire au revoir dévala les marches de l'escalier jusqu'au garage.
La voiture traversa la ville à toute allure jusqu'à ce qu'il se gare sur le parking du San Francisco Mémorial Hospital. Il ne prit pas le temps de fermer sa portière à clé, et courut jusque dans le hall d'accueil. Lorsqu'il arriva essoufflé, Pilguez l'attendait déjà, assis dans un fauteuil de la salle d'attente.
L'inspecteur se leva et le prit par l'épaule, l'invitant à se calmer. La mère de Lauren était dans l'hôpital.
Compte tenu des circonstances Pilguez lui avait tout expliqué, enfin presque tout. Elle l'attendait au cinquième étage, dans le couloir.
La mère de Lauren était assise sur une chaise, à l'entrée d'une salle de réanimation. Quand elle le vit, elle se leva et se dirigea vers lui. Elle le prit dans ses bras et l'embrassa sur la joue.
- Je ne vous connais pas, nous ne nous sommes croisés qu'une seule fois, vous vous souvenez, c'était à la Marina. La chienne vous avait reconnu, elle ! Je ne sais pas pourquoi, je ne comprends pas tout mais je vous dois tant que je ne saurai jamais comment vous dire merci.
Puis elle lui expliqua la situation. Lauren était sortie du coma depuis dix jours, pour une raison que tout le monde ignorait. Un petit matin, son électro-encéphalogramme, plat depuis tant de mois, s'était agité, manifestant une activité électrique intense. C'est une infirmière de garde qui avait perçu le signal. Elle avait alerté immédiatement l'interne de service, et en quelques heures la chambre s'était transformée en une ruche de médecins qui se succédaient les uns les autres pour donner leur avis ou simplement pour voir la patiente qui était sortie d'un coma profond. Les premiers jours elle était restée inconsciente. Puis, progressivement, elle avait commencé à bouger ses doigts et ses mains. Depuis hier elle ouvrait ses yeux pendant de longues heures, scrutant tout ce qui se passait autour d'elle mais encore incapable de parler ou d'émettre un son quelconque. Certains professeurs pensaient qu'il faudrait peut-être lui réapprendre la parole, d'autres étaient certains que cela reviendrait, comme le reste, à un moment donné ! Hier soir, elle avait répondu à une question par un clignement des yeux.
Elle était très faible, et soulever son bras semblait lui demander un effort important. Les docteurs expliquaient ceci par l'atrophie des muscles due à la position allongée et à son inertie pendant si longtemps. Cela aussi, avec du temps et de la rééducation, se rétablirait. Enfin les diagnostics des IRM et scanners pratiqués sur le cerveau étaient optimistes, le temps confirmerait cet optimisme.
Arthur n'écouta pas la fin du compte rendu et entra dans la pièce. Le cardiographe émettait un bip régulier et rassurant. Lauren dormait, les paupières fermées. Son teint était pâle mais sa beauté intacte.
En la voyant, il fut saisi par l'émotion. Il s'assit au bord de son lit et prit sa main dans la sienne, y déposant un baiser au creux de la paume. Il s'installa sur une chaise et resta ainsi de longues heures à la regarder.
Au début de la soirée elle ouvrit les yeux, le regarda fixement, et lui sourit.
- Tout va bien, je suis là, lui dit-il à voix basse.
Ne te fatigue pas, tu parleras bientôt.
Elle fronça les sourcils, hésita et lui sourit à nouveau, puis elle se rendormit.
Arthur vint tous les jours à l'hôpital. Il s'asseyait face à elle et attendait qu'elle s'éveille. Chaque fois il lui parlait, lui racontait ce qui se passait au-dehors.
Elle ne pouvait pas parler mais elle le regardait toujours fixement quand il s'adressait à elle et puis se rendormait.
Dix autres jours passèrent ainsi. La mère de Lauren et lui alternaient les tours de garde. Deux semaines plus tard, alors qu'il arrivait dans le couloir, elle sortit sur le palier pour lui annoncer que depuis la veille au soir, Lauren avait retrouvé l'usage de la parole. Elle avait prononcé quelques mots d'une voix éraillée et engourdie. Arthur entra dans la chambre et s'assit tout près d'elle. Elle dormait, il passa sa main dans ses cheveux et lui caressa doucement le front.
- Le son de ta voix m'a tellement manqué, lui dit-il.
Elle ouvrit les yeux, prit sa main dans la sienne, le fixa d'un regard incertain et lui demanda :
- Mais qui êtes-vous ? Pourquoi êtes-vous là tous les jours ?
Arthur comprit immédiatement. Son cœur se pinça, il sourit avec beaucoup de tendresse et d'amour et lui répondit :
- Ce que je vais vous dire n'est pas facile à entendre, impossible à admettre, mais si vous voulez bien écouter notre histoire, si vous voulez bien me faire confiance, alors peut-être que vous finirez par me croire et c'est très important car vous êtes, sans le savoir, la seule personne au monde avec qui je puisse partager ce secret.
Merci à :
Nathalie André, Paul Boujenah, Bernard Fixot, Phi-lippe Guez, Rébecca Hayat, Raymond et Danièle Levy, Lorraine Levy, Rérni Mangin, Coco Miller, Julie du Page, Anne-Marie Périer, Jean-Marie Périer, Manon Sbaïz et Aline Souliers et
à Bernard Barrault et Susanna Lea.
CROUPE CPI
14030 - La Flèche (Sarthe), le 01-08-2002
Dépôt légal : mai 2001
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