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— Elle va encore me baratiner qu’elle a besoin de temps…

— Ne lui laisse pas le choix. On ne repart pas sans ton dossier.

— Et si elle refuse ?

— Tu veux la faire cette école, oui ou non ?

— J’en rêve.

— Tant mieux, parce que c’est pour ça qu’on est là. C’est pas le moment de te dégonfler.

Pauline a l’air d’être au fond du trou, et on est au fond de l’impasse. Léo désigne la plaque émaillée marquée « 13 ». Il lève les bras bien haut en faisant le zombie :

— Elle va vous bouffer, et avec votre sang elle peindra des culottes !

— Pas de sonnette, constate Axel.

— Elle ne veut pas être dérangée par ses nombreux admirateurs pendant qu’elle crée ses chefs-d’œuvre…, ironise Léo.

Axel désigne l’étiquette de la boîte aux lettres :

— « J. Mauretta et Jean-Marc ». Je croyais qu’elle vivait seule…

— Comme quoi tout le monde a sa chance, note Marie.

À travers la grille, dans l’obscurité cotonneuse, je tente de distinguer le jardin. Je trouve toujours étonnant de découvrir l’endroit où vivent des gens que l’on ne connaît que par leur travail. On passe alors au-delà de l’image publique. On ne les voit plus pareil après. J’aperçois un nain de jardin au coin d’un massif. Je ne sais pas exactement ce que je dois en conclure. J’espère simplement que cette petite horreur joufflue au regard vaguement pervers n’est pas sa prochaine source d’inspiration.

Pas la moindre lumière dans la maison. Paradoxalement, Pauline semble soulagée.

— Vous voyez, elle n’est pas là. Merci quand même de m’avoir accompagnée. Et maintenant, rentrons chez nous, on a un DST à bosser.

Léo sort une lampe de son blouson et ouvre la grille. Je proteste :

— Tu es malade ! On va se faire tirer dessus comme des voleurs ! Ressors tout de suite !

Axel intervient :

— C’est trop bête d’être venus pour rien. Si on avait son numéro de téléphone, on pourrait essayer d’appeler, mais là… Il faut au moins aller frapper à la porte.

Je grogne :

— Léo, reviens !

— Cool, Camille, me fait-il, détends-toi, juste un petit tour pour voir…

Il a déjà disparu dans la nuit. Pour bien comprendre Léo, il faut savoir qu’il se prend pour un espion au service de Sa Gracieuse Majesté. Depuis qu’il est gamin, il en a les gestes, le regard, le flegme et l’outillage. Il ne sort jamais sans son couteau, sa lampe et différents bidules qui doivent certainement servir à effondrer les ponts de chemin de fer. Avec les années, il est complètement entré dans son personnage. Résultat, aujourd’hui, même lorsqu’il s’appuie sur l’embrasure d’une porte ou marche dans un couloir, il ressemble à une affiche de film.

Tout le monde reste à la grille en scrutant la nuit. De temps en temps, on aperçoit le faisceau de la lampe qui danse.

— Je le sens pas bien, gémit Pauline. Si elle nous trouve, elle sera furieuse. Elle va déchirer mon dossier et, pour le coup, ce sera vraiment foutu.

Je lui frictionne l’épaule pour la réconforter.

— Ce n’est pas le moment de paniquer. Léo va revenir. Et comme nous avons de la chance, Mauretta arrivera pile à ce moment-là ! On lui demandera poliment de nous rendre tes papiers, elle nous les donnera en te souhaitant bonne chance et tout finira bien !

Un léger craquement venu du jardin attire notre attention. C’est Léo qui glisse furtivement d’un bosquet à l’autre. Il revient à la grille.

— Personne. Par contre, je crois que j’ai vu le dossier sur sa table de cuisine…

— Quoi ? s’exclame Marie. C’est pas possible… Quel manque de bol !

— Je n’en suis pas sûr à 100 %, mais ça y ressemble. Techniquement, il n’y a pas d’alarme et la fenêtre de la salle de bains est entrebâillée. Il y a des barreaux mais toi, Camille, tu pourrais passer…

Je m’étrangle :

— Aller cambrioler cette vieille folle ? Hors de question. Jamais ! Tu es un vrai dingue.

Axel interroge Léo :

— Tu es certain que c’est sans risque ?

— Si je pouvais me faufiler, j’irais moi-même…

Tous les regards sont braqués sur moi. Même Pauline, qui jusque-là n’avait regardé que ses pieds, me fixe.

— Vous vous rendez compte de ce que vous me demandez ?

— C’est l’affaire de quelques minutes. Ni vu ni connu. On n’aura même plus à argumenter avec elle, et tu sauves Pauline.

Marie est de ma taille, je suis certaine que si je passe, elle passe aussi. Mais si je le fais remarquer, tout le monde va dire que je me débarrasse du problème. Or j’ai du mal à me débarrasser des problèmes. Je dirais même que c’est mon problème. Je prends tout à cœur, je me sens toujours concernée. Trop. Je suis certaine que c’est pour cela que c’est à moi qu’ils demandent de se jeter dans leur plan foireux. Faux frères ! Traîtres ! Abuseurs de mauvaise conscience ! Regardez-les tous… Pour un peu, Pauline, avec son regard de chiot orphelin, serait prête à faire trembler son menton pour m’apitoyer davantage et me précipiter encore plus vite dans ce traquenard…

— Et si elle arrive pendant que je suis chez elle ?

— On la retient ! répond Marie du tac au tac.

— On trouvera n’importe quoi, renchérit Axel. Je lui parlerai de ses tableaux. Je lui raconterai que je suis venu lui en acheter un parce que je suis fan !

— Vous êtes des grands malades.

Léo me désigne le chemin :

— Allez, viens, tu n’as qu’à te dire que c’est une mission qui peut sauver le monde…

Dans le noir, à travers le jardin, je m’efforce de suivre Léo. Il se déplace comme un félin. Je me prends les pieds dans chaque arbuste alors que lui semble surfer dessus. Ses mouvements sont incroyablement maîtrisés. Je ne l’avais jamais vu comme ça. Il a vraiment de l’allure. Pas de doute, il est dans son élément. Il longe les murs de la maison. Tout à coup, il s’immobilise au ras d’une fenêtre à petits carreaux et me fait signe de le rejoindre. Il allume sa lampe en limitant la largeur du faisceau entre ses doigts et me désigne l’intérieur :

— Là, tu le vois ? Sur la table, avec les revues…

Ça ne m’arrange pas mais je crois qu’il a raison. Le document ressemble bougrement à un dossier de candidature. Léo reprend sa progression et s’arrête à nouveau plus loin, sous une petite fenêtre. Il se colle dos au mur.

— Je te fais la courte échelle. Prends ma lampe. N’éclaire pas en direction des fenêtres, tu risquerais de te faire repérer de l’extérieur. Et puis enlève tes chaussures pour ne pas laisser de traces.

Il joint ses mains et me fait signe d’escalader. Qu’est-ce qu’on fait là ? Je devrais réviser mes maths, jouer avec mon chat et mon chien, surveiller mon petit frère et envoyer un texto à Léa pour savoir si ses vertiges et ses nausées se sont calmés. En plus, ce soir, c’est à mon tour de préparer le repas à la maison.

Je place mon pied en chaussette au creux de ses mains et Léo me soulève. Je me hisse et je repousse doucement le battant de la fenêtre. Accroupie sur le rebord, j’allume la lampe et j’inspecte la pièce. C’est bien la salle de bains. Surtout ne pas réfléchir, surtout ne pas prendre de recul. La mission, seulement la mission. Non mais je rêve, ou Léo m’a poussée sur les fesses ?

J’arrive à descendre sans rien renverser de la petite étagère que j’enjambe. C’est certain, je devrais faire plus de sport. C’est super glauque de me retrouver là. Au-dessus du lavabo, je vois tous les produits de beauté de Mlle Mauretta. Flacons, tubes et pots recouvrent aussi tout un meuble blanc. Je sais désormais que sur sa figure comme sur ses toiles, elle met trop de peinture. Accroché à la porte, un vieux peignoir informe pend tristement. Le bout des manches est effiloché. Certainement un prochain sommet de l’art pictural de notre siècle…