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— Alors ? Ils font la tronche ?

— Le couple a l’air très énervé. Je ne pense pas qu’ils fassent d’offre.

Soudain, Manon se baisse brutalement sous la fenêtre.

— La femme m’a vue !

— Tant pis pour elle. Elle va en plus croire que ta baraque est hantée par les gens qui s’y sont fait tuer !

30

J’ai dormi la moitié du trajet et somnolé le reste du temps. Lorsque j’émerge, la voiture roule dans un paysage de montagne et la neige est partout. Je me sens comme Flocon devant sa baie vitrée. C’est beau. On traverse un dernier village, on monte une route sinueuse et nous sommes arrivés.

J’ignore qui sont les amis des parents de Léa, mais ils doivent être riches. Leur chalet est magnifique. Large, posé dans son écrin de neige et de sapins, construit en gros rondins, avec des recoins, des fenêtres à volets ouvragés, des balcons et de larges cheminées, il semble tout droit sorti d’un conte nordique. À l’intérieur, entre le sol de pierre brute et les meubles de bois aux teintes chaudes, on se croirait dans une revue pour milliardaires. Léa et moi retirons nos chaussures et on se dépêche de tout visiter en poussant des exclamations à chaque porte ouverte. J’ai toujours aimé découvrir d’autres lieux. C’est comme déballer un cadeau.

Le salon ouvert donne par toute une série de fenêtres sur une belle forêt de pins, au-dessus de laquelle émergent les sommets enneigés. Ce décor perdu a quelque chose de tout de suite apaisant et, d’après ce que dit Élodie, le village n’est qu’à quelques minutes en coupant par les bois.

Le voyage a fatigué Léa. Elle monte se reposer à l’étage dans ce qui sera notre chambre sous les toits. J’aide Christophe et Élodie à nous installer. Julien doit arriver le lendemain par le train et le bus, avec un copain.

Je range les provisions dans les placards pendant qu’Élodie suspend les combinaisons de ski dans l’entrée. Christophe est allé chercher les forfaits à la station.

— Vous ne partez pas souvent en vacances de neige, remarque Élodie.

— Nous, c’est plutôt l’océan. Maman et papa se sont rencontrés dans un club de voile.

— Ils nous avaient caché ça ! La mer, c’est bien aussi. Il fait moins froid.

J’empile les paquets de biscuits au bout du plan de travail. Je n’en vois aucun de ceux qui me dégoûtent tant. Il n’y a même que ceux que j’aime.

Élodie revient dans la cuisine.

— Je me prépare un thé, tu en veux un ?

— Peut-être tout à l’heure. Je vais attendre Léa.

Ça me fait drôle d’être à la montagne, dans cette maison que je ne connais pas. Ça me fait aussi drôle d’être seule avec Élodie. Cela n’arrive jamais. La bouilloire siffle. Elle verse l’eau chaude et s’assoit à la table aux formes massives. S’abandonnant à la quiétude du lieu, elle soupire et place ses mains autour de la tasse fumante.

— Viens un peu près de moi, me dit-elle.

Je m’installe face à elle, sagement. D’une voix douce, elle me confie :

— Tu sais, la période est compliquée pour nous en ce moment.

— Je m’en doute.

— Merci d’être venue. Tu comptes énormément pour Léa et je pense qu’elle irait beaucoup plus mal si elle ne t’avait pas comme amie.

Trop de questions me viennent. Je voudrais lui demander si elle croit que Léa va s’en sortir, si elle a aussi peur que moi, si elle arrive à en parler avec sa fille. Je n’ose pas.

Du bruit dans l’entrée. Christophe est rentré.

— J’ai pris des forfaits VIP pour tout le monde ! annonce-t-il. On va pouvoir en profiter. Léa dort encore ?

Élodie confirme d’un hochement de tête.

— Tu veux du thé ? Je viens d’en faire.

— Bonne idée, ça me réchauffera.

— Je ne sais pas si Léa se servira beaucoup de son forfait, commente Élodie. Le professeur Nguyen dit qu’elle doit éviter les efforts.

— Je préfère qu’elle l’ait et ne s’en serve pas plutôt que de me résoudre à ne pas lui en prendre.

Il embrasse sa femme. J’ose m’immiscer :

— Je ne vais sûrement pas me servir du mien non plus. Je ne suis pas douée pour le ski, et je préfère rester avec Léa.

Christophe me sourit. Léa apparaît au pied de l’escalier. Elle s’étire.

— Coucou tout le monde !

— Tu as dormi ? demande sa mère.

— Comme une masse. Mais on n’est pas là pour dormir !

Elle s’approche des fenêtres et admire la vue.

— C’est vraiment magnifique. Camille, que dirais-tu d’aller faire un tour au village ?

31

Bien que nous ne fassions pas grand-chose, les journées défilent à toute allure. Julien et son pote passent leur temps à s’étourdir de snowboard sur les pistes noires. On ne les voit quasiment pas. Au petit dèj, ils avalent deux baguettes et une plaquette de beurre à eux deux, rejoignent la station, enchaînent descentes et remontées, reviennent le soir, se douchent, dorment, et c’est reparti pour un tour. Élodie et Christophe skient le matin et se baladent l’après-midi. Léa et moi naviguons entre le pied des pistes pour prendre le soleil, le grand balcon du chalet au chaud sous des couvertures en admirant la vue, et la taverne du village qui sert de repaire aux jeunes de la station. Il nous arrive aussi de réviser, mais sans grand enthousiasme. Il y a toujours quelque chose pour nous distraire, le plus souvent une conversation sur des sujets aussi essentiels que les cheveux qui frisent avec l’humidité ou les vêtements qui se déforment au fil des lavages. Du lourd, donc. Il nous arrive aussi, à partir d’un détail, de finir par discuter de ce que serait le bonheur ou de ce qui fait l’intérêt d’une vie.

Hier, nous avons passé une bonne partie de la journée au pied des pistes. Nous n’étions venues que pour accompagner Julien, mais Léa a souhaité s’asseoir sur un banc près du loueur de matériel. À force de regarder les gens, de rire de leurs comportements, de s’émouvoir parfois, nous n’avons pas vu le temps passer. L’arrivée des pistes est un spectacle à lui tout seul. Quel que soit leur niveau, qu’ils déboulent d’une piste rouge, d’une bleue ou d’une verte, tous les skieurs finissent par déboucher sur cette immense espace blanc dans un étonnant chassé-croisé. Les jeunes — surtout les garçons — stressent tout le monde avec leurs surfs, fonçant pour aller reprendre les tire-fesses ou les télésièges. Les skieurs aux tempes grises rouspètent et s’indignent. Les enfants ne font attention ni aux uns ni aux autres et se faufilent partout avec une aisance fascinante. On ne prend jamais le temps d’observer tout cela. Encore une fois, tout le monde dans le même décor, mais chacun dans son histoire. Quelque chose me frappe : les tout jeunes enfants bénéficient d’une grâce, d’un instinct que les plus grands semblent avoir perdu. Dans leurs trajectoires improbables, on les croit souvent perdus à cause d’un virage trop serré, et ils parviennent pourtant à se récupérer. On les voit déjà par terre à cause d’un ski mal placé et ils réussissent à se redresser, triomphant des lois de la physique qui nous coûteraient une jambe. Ils éclatent de rire quand n’importe qui hurlerait de peur. Ils se jouent de tout et s’ils tombent, les voilà aussitôt repartis. Bien que plus petits, ils arrivent à prendre de vitesse même les jeunes mâles qui se la racontent. D’où leur vient ce talent ? Est-ce la combinaison de l’inconscience et de l’envie qui leur confère ce miraculeux statut ? Quelle est leur recette ? Ne s’évanouit-elle pas dès que l’on en connaît les ingrédients ? Peut-être qu’en sachant trop de choses, on ne tente plus rien… Léa croit que, pour oser, il ne faut rien savoir. Je suis d’accord, mais si l’on ose trop sans en savoir assez, on peut aussi se détruire.