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Mme Serben ajoute :

— Nous sommes très en retard sur le programme. Vous passez les épreuves dans moins de quatre mois et cette histoire vous déstabilise complètement. Il faut vous ressaisir.

Je suis en train de passer de la peur à la colère. Je suis outrée. Ils nous demandent ni plus ni moins que de mettre Léa de côté, de l’oublier, pour bosser le bac. Est-ce qu’ils se rendent bien compte de ce que nous ressentons ? Est-ce qu’ils nous prennent pour des machines qui ont des objectifs, des programmes et pas de cœur ?

— Vous ne dites rien ? s’étonne Mme Holm.

Je lâche d’une traite :

— On va avoir du mal à oublier Léa. Elle n’est pas encore morte et elle va peut-être même survivre. Nous savons bien que les examens arrivent mais franchement…

Les mots sont sortis sans que j’aie eu le temps de réfléchir. Mme Shelley soupire bruyamment :

— J’étais certaine qu’ils allaient réagir comme ça. Quel manque de maturité ! Incapables de penser plus loin que le bout de leur nez. Moi, je ne vais pas me compliquer pour aider des gens qui ne le veulent pas. La vie se chargera d’eux…

M. Tonnerieux réagit :

— Lise, s’il vous plaît, évitons ce genre de raccourci.

Tout va trop vite. Le proviseur appelle la prof d’anglais par son prénom et prend notre défense ? La prof d’anglais a un prénom ?

Il se tourne vers moi :

— Camille, il ne s’agit pas d’oublier Léa. Il s’agit de ne pas tout laisser tomber parce que vous en êtes proches. Nous ne savons pas ce qui va lui arriver et malgré ce que tu sembles croire, cela nous importe. Mais vous tous, l’année prochaine, vous serez ailleurs, en train de continuer votre vie…

— Excusez-moi, monsieur, mais rien ne dit que Léa ne fera pas sa vie avec nous l’année prochaine…

— Nous espérons de tout notre cœur que Léa va s’en sortir. Mais quel que soit son avenir à elle, le vôtre va sérieusement se ternir si vous ne réagissez pas. Nous sommes en contact étroit avec ses parents. Il est désormais acquis qu’elle ne reprendra pas une scolarité normale avant des mois. Nous ne savons même pas si elle pourra revenir au lycée dans les prochaines semaines, ce qui serait pourtant bon pour son moral. Ses parents s’organisent pour qu’elle puisse déjà revenir chez elle, ce qui serait un excellent début.

— Je sais tout ça, je la vois tous les jours et nos familles sont amies.

M. Rossi intervient :

— Ce que nous savons, nous, c’est que chacun de ses départs ou de ses retours a un impact réel sur vous tous et que nous voulons vous aider à les encaisser sans ruiner votre scolarité. Nous ne nous battons pas contre Léa — nous ferons même notre possible pour l’aider —, nous nous battons pour vous. Alors si pour une fois les policiers et les voleurs pouvaient s’entendre, parce qu’il y a le feu et que personne n’a intérêt à ce que l’incendie ravage tout…

L’argument me parle. Je me calme. M. Tonnerieux reprend :

— M. Rossi s’est porté volontaire pour piloter votre classe pendant cette période difficile. De par son emploi du temps, il est plus disponible que Mme Serben, votre professeur principal. Nous ferons un point au minimum chaque semaine. Nous sommes conscients que cette épreuve vous demande un effort, mais vous devez aussi savoir que c’en est un pour toute l’équipe pédagogique. Ensemble, essayons d’éviter qu’un drame ne devienne une catastrophe.

39

Hugo et Vanessa sont passés voir Léa. Même si elle s’efforce de faire bonne figure, je vois bien qu’elle n’a pas d’énergie. À peine ont-ils quitté sa chambre qu’elle retombe au fond de son lit, affaiblie. D’une voix monocorde, elle commente :

— Alors comme ça, les profs vous organisent une cellule de crise psychologique pour surmonter mon absence ?

— Eh oui, tu es un vrai traumatisme pour notre classe. Sais-tu quand tu pourras rentrer chez toi ?

— Pas avant la semaine prochaine. Les parents ont dû commander du matériel spécial pour mesurer le souffle, la tension et je ne sais quoi encore. Il va falloir qu’ils suivent une formation pour s’en servir, et une infirmière passera tous les deux jours.

— Traitement de star…

— Je m’en passerais bien, en plus maman est en train de liquider tous ses jours de congés. Au fait, tu ne devineras jamais qui m’a téléphoné tout à l’heure…

— Dis-moi.

— Le proviseur himself. Il a pris de mes nouvelles, il a été super gentil et m’a dit qu’il viendrait certainement me voir. Il m’a aussi demandé si ça ne m’ennuyait pas que Mme Serben passe me saluer.

— Elle va te coller une interro surprise !

— Même à l’hosto, pas moyen d’être tranquille ! Ça me fait drôle, mais je dois avouer que même les contrôles me manquent. Tu te rends compte où j’en suis ?

— En manque d’interros, ma pauvre, là ça devient vraiment inquiétant.

— Qu’est-ce que je peux m’ennuyer… La télé, ça va trois minutes. Les livres, c’est bien mais j’ai du mal à me concentrer longtemps et les revues, quand tu en as lu une, tu les as toutes lues. Du coup, j’attends vos visites et, pendant des heures, je gamberge… Pourquoi je n’ai pas eu tout ce temps l’année dernière ? T’imagines, j’aurais pu potasser mes textes de français !

— Même des mois d’hospitalisation ne peuvent pas suffire à lire Le Père Goriot.

— T’as raison. Bel-Ami ou un lavement de trente-cinq litres, je prends le lavement !

— Tu m’étonnes. Ils nous gavent avec les « valeurs » et avec la « responsabilité », et ils nous font lire l’histoire de cette petite raclure sans scrupule !

— Sûrement pour nous expliquer que ça existe, s’amuse Léa.

— Et après ils s’étonnent qu’on se méfie des livres…

— Je me souviens quand tu t’étais fait pourrir par la prof de français parce que tu avais osé lui dire qu’Antigone était aussi trash que la pire des émissions de téléréalité, la musique du générique en moins.

On est en plein éclat de rire lorsque l’infirmière qui prend Léa pour une gamine fait son entrée. Elle nous regarde avec un léger mépris, accroche un dossier au pied du lit et annonce :

— Si vous vous épuisez, je fais interdire les visites.

Léa lui réplique :

— Vous ne savez pas qu’on soigne encore mieux par le moral que par les piqûres ? C’est un pénitencier ou un hôpital ?

Je ne l’avais jamais vue faire preuve d’autant de mordant. Avant de sortir, l’infirmière lâche :

— Vous avez intérêt à vous calmer parce que le docteur Langeais ne va pas tarder et qu’il n’est pas dans un bon jour…

Elle claque la porte. Léa commente :

— Langeais, je me demande pourquoi il est toubib. On dirait qu’il n’aime pas les gens. Il te regarde avec les trous de nez, il est convaincu d’avoir un pouvoir de vie et de mort sur nous autres, pauvres créatures grouillantes. Je le déteste et, en plus, je crois qu’il n’y connaît rien. Ce n’est même pas lui qui me suit…