Выбрать главу

Comme si on n’avait déjà pas assez de Léo dans le genre commando…

Dans l’ascenseur, Tibor souffle par séries de petits coups brefs, comme un sportif qui va s’élancer pour un marathon. Moi, ça ne m’effraie pas plus que ça mais, par contre, la petite dame qui est avec nous n’a pas l’air tranquille. Je lui souris pour essayer de la rassurer, mais je dois avoir l’air d’une parfaite débile.

Une fois à l’étage, Tibor s’étire dans tous les sens et fait pivoter sa tête pour assouplir ses vertèbres. Quand il bouge ainsi, on dirait un croisement entre un pigeon ivre mort et un cobra dansant devant un charmeur de serpents qui jouerait du disco au pipeau.

On fonce directement à la chambre de Léa. Je ne sais pas pourquoi mais, avec Tibor, on marche au pas.

Léa m’accueille, pleine d’espoir.

— Tu es venu avec mon chéri ? Vous avez eu la permission de me faire sortir ?

Je m’approche et je lui murmure :

— Pas exactement, mais dans moins de trois minutes, Louis et Antoine vont venir te chercher sur une civière.

— Donc je sors ?

— C’est le but.

Clin d’œil. Elle comprend aussitôt et commence à ramasser ses affaires sur sa table de nuit. Je la calme :

— Ne t’agite pas. On pourrait se faire remarquer.

— Il faudra qu’on emporte ma bouteille d’oxygène.

— Pas de problème. Dis-leur.

— Tu restes avec moi ?

— Je dois surveiller Tibor : il est chargé de distraire les infirmières…

Elle le regarde, vaguement inquiète. Il lui adresse un adorable sourire.

— Ne va pas faire de bêtises, mon Tibor.

Il répond :

— Je vais te sauver…

Il a dit la phrase. Si on avait eu le temps, Léa et moi aurions échangé un regard mêlant le fou rire et la panique. Mais Tibor ne nous a laissé le temps de rien, et le voilà qui sort de la chambre d’un pas volontaire.

— Va avec lui, m’ordonne Léa. Ne le laisse pas seul, il est si fragile…

— Toi, tiens-toi prête. Les garçons vont arriver dans à peine deux minutes.

Tibor fonce en direction du bureau des infirmières. Il regarde sa montre pour vérifier qu’il est dans les temps.

— Tibor, attends-moi !

Trop tard, il est déjà entré.

— Mesdemoiselles, pardon de vous déranger, mais j’ai besoin de vous. Je crois que j’ai attrapé un truc pas net et j’aimerais votre avis de spécialistes parce que ça m’inquiète. J’ai un gros bouton et je ne sais pas ce que c’est. Je vais vous montrer…

Direct, il se retourne et il baisse à la fois son pantalon et son slip. Cul nu sans sommation.

Exclamations dans le bureau. Je ne peux plus rien faire pour corriger le tir. La situation échappe à tout contrôle. Attirées par les éclats de voix de leurs collègues, les deux aides-soignantes qui n’étaient pas dans le bureau rappliquent.

« Il est si fragile… » Pourtant, les fesses à l’air, il semble plutôt à l’aise. Les femmes protestent :

— Mais rhabillez-vous !

— On n’est pas un service de consultation ! Non mais qu’est-ce que ça veut dire !

— Allez montrer vos fesses ailleurs !

Tibor ne se démonte pas et ajoute :

— Mais ce n’est pas le plus inquiétant ! Regardez, j’en ai aussi sur mon petit pingouin.

Il se retourne et leur exhibe ce qu’Inès prend pour un paratonnerre. Je rêve ou il s’est dessiné des gros boutons multicolores avec des marqueurs ? C’est pour ça qu’il a voulu s’isoler tout à l’heure ! Il y a eu préméditation ! Je suis curieuse d’entendre l’énoncé des faits par le procureur…

Pour que les infirmières voient bien, il tire sur son « petit pingouin ». Cette fois, il y a des cris. Il va falloir fuir. Je me retourne, Léa n’est plus dans sa chambre. Je n’ai même pas vu Louis et Antoine passer.

— Tibor, c’est bon, viens !

Je l’attrape par son pantalon baissé et je le sors du bureau. Je lui souffle :

— On va avoir des problèmes, cours !

Il remonte ses vêtements et se met à cavaler. Je lance :

— Évite les ascenseurs, prends l’escalier !

On dévale les marches quatre à quatre.

— Alors, j’ai été comment ?

— Toi et ton pingouin, vous avez été parfaits.

— J’aurais pu trouver plus raffiné, mais il m’aurait fallu plus de temps !

— Ils sont à qui, les marqueurs que tu as utilisés ?

Les vrais commandos ne doivent pas rire autant que nous.

66

Je n’ai répété à personne ce que m’a confié Léa. Tout le monde est convaincu qu’on lui organise une fête surprise. Quand, dans la clairière, les promeneurs ont vu débarquer presque vingt jeunes surexcités portant du matériel, ils n’ont pas tardé à nous abandonner la place. Romain a récupéré trois tentes — au cas où l’on resterait pour la nuit —, Malik forme un rond avec des pierres pour préparer un feu, et chacun remonte les provisions sac après sac.

Lorsque Léa nous rejoint enfin, tout est prêt pour l’accueillir. Sur son brancard, portée par quatre garçons telle une impératrice, elle découvre son trône installé tout près de notre banc en béton. On l’aide à y prendre place, au milieu d’un parterre de pissenlits et de pâquerettes éclatantes. Confortablement calée sur son matelas pneumatique et ses coussins, elle peut à son choix contempler la vue sur la ville ou notre campement de fortune. Certains de notre bande ne sont pas revenus ici depuis des années. Ils courent partout, sautent sur le banc, éprouvant une joie sincère à revisiter ce lieu de leur enfance avec les mêmes amis.

Tibor est aux petits soins pour Léa. Il s’assure que sa bouteille d’oxygène est bien calée avant de lui poser délicatement son masque.

— Ici, avec nous, il ne peut rien t’arriver.

Elle lui caresse la main. Antoine appelle :

— Eh Tibor ! Tu nous aides pour les boissons ?

— J’arrive.

Je reste seule avec Léa.

— Tu ne leur as rien dit ? me demande-t-elle.

— Seulement que tu voulais les voir et que l’hôpital t’en empêchait. J’ai eu tort ?

— Non. C’est mieux ainsi.

Elle s’étire et semble se détendre enfin.

— C’est une super idée que tu as eue de nous réunir ici. C’est géant.

— Heureuse que ça te plaise. Ton évasion ne t’a pas trop épuisée ?

— Non, c’était plutôt drôle. Vous allez avoir des ennuis…

— Peu importe. C’est pour la bonne cause.

— Tu as prévenu papa et maman ?

— Mon père s’en est chargé. Ils vont venir. Papa reste dans les parages avec des potes à lui pour parer à toute éventualité.

— Toute éventualité ?

— Il s’assure que personne ne viendra nous déranger et qu’il ne t’arrivera rien.

— Tu le remercieras. C’est vraiment quelqu’un que j’aime.

— Tu pourras le lui dire. Il passera tout à l’heure.

Léa regarde autour d’elle. Ses meilleurs amis sont là et s’amusent.

— C’est une vraie fête, il ne manque personne…

Un petit craquement de brindille attire notre attention. Julien approche et s’agenouille devant sa sœur.

— Il faut vérifier ton pouls.

— Laisse, il va très bien. À vous tous, vous faites battre mon cœur bien plus vite qu’il ne l’a jamais fait.

Le soleil commence à décliner et les ombres s’allongent. Tout le monde s’amuse et on en a presque oublié pourquoi nous sommes là. C’est un peu une kermesse, un peu un anniversaire. Quelque chose des vacances et de l’été flotte dans l’air. Pauline a apporté des enceintes pour MP3 et la musique résonne dans le soir qui tombe.