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Axel a littéralement bondi quand j’ai mentionné le cycliste. Je m’y intéresse de plus près.

— C’est bizarre, le mec en vélo ressemble à Léo.

— Ne lâche pas la voiture, fixe la voiture.

Soudain, j’ai un flash.

— Je connais cette bagnole ! C’est celle du nazi qui habite dans ta résidence. C’est celle que tu lui as payée, pas vrai ?

— Ne la lâche pas des yeux.

— Qu’est-ce qu’elle fait là ? Et Léo, pourquoi est-il ici ?

J’ai sursauté au moment de l’explosion. Il n’y avait pas besoin des jumelles pour la voir étant donné sa puissance. Dans une gerbe de feu, la voiture s’est soulevée du sol par l’arrière. Le tonnerre de la déflagration a résonné dans tous les environs. Le véhicule est retombé sur ses roues, mais toutes les vitres et les portières arrière ont été soufflées. Le feu dévaste l’habitacle avec virulence et une épaisse colonne de fumée noire s’élève dans le ciel bleu.

— Axel, vous avez fait péter sa voiture ?

— C’était cool, hein, tu ne trouves pas ? Ce con va être obligé de rentrer à pied.

— Vous êtes des malades !

Axel ne se rend même pas compte que je suis en colère. Je n’arrive pas à y croire. Je regarde dans les jumelles pour vérifier que je n’ai pas rêvé. La voiture n’est qu’un énorme brasier, et j’aperçois maintenant une silhouette qui s’agite devant le sinistre en se tenant à bonne distance. Le type lève les bras au ciel, trépigne, saute, essaie de faire le tour en se protégeant le visage du rayonnement brûlant. On dirait un vieux film burlesque muet.

Axel jubile. Il se tient bien droit et s’adresse aux hautes herbes comme s’il haranguait une foule réunie au pied de la pente :

— Je dédie cette victoire aux petits Blacks traumatisés par les vieux enfoirés, et aussi à Monsieur Castor !

Ça y est, mon mec a fondu les plombs. J’en avais trouvé un qui paraissait bien et je me rends compte aujourd’hui qu’il est tout moisi dans sa tête. Ma vie est foutue. Autant me marier avec Zoltan.

Axel s’aperçoit que je le prends pour un cinglé. Il tente de se justifier :

— On a découvert que ce fumier faisait chanter une famille de l’immeuble voisin parce qu’ils hébergent une sans-papiers. Et pour couronner le tout, il est là pour piquer des fruits qu’il revend à une voisine en lui faisant croire qu’il les achète pour elle. Une vraie crevure.

— Mais s’il avait été dans sa bagnole ? Tu imagines ?

— C’est pour ça que Léo est passé. Aucun risque. Tout est sous contrôle.

— Tu trouves que c’est sérieux ?

Axel lève un sourcil et rétorque d’un air amusé :

— Tu me demandes si c’est sérieux ? Toi ?

Qu’est-ce qu’il sait de moi que je ne veux pas qu’il sache ? Tous mes scanners mémoire tournent à plein régime. Est-ce qu’il m’a vue me mettre du citron dans les yeux pour les faire briller juste avant notre premier dîner ? Ça m’avait fait des yeux de hamster myxomatosé. Est-ce qu’il m’a aperçue me coincer mes premiers talons hauts dans la grille de chauffage que ces vicelards du cinéma ont placée à l’entrée de la salle ? Oh mon Dieu ! J’espère qu’il ne m’a pas vue rafistoler mon collant avec du scotch en tenant ma jupe relevée avec les dents !

Je dois être courageuse et affronter mon destin : je vais faire celle qui ne comprend pas.

— Je ne vois pas de quoi tu parles. Et je maintiens que faire exploser une voiture n’est pas très malin. On n’est pas dans un jeu vidéo !

— Et écrire une carte postale comme celle que tu as envoyée hier, c’est malin ?

Merde, il m’a vue. Comment a-t-il fait ? Il a des superpouvoirs. C’est Super Aguicheuse qui va être contente. Je ne vais pas lui faciliter la tâche pour autant.

— Quelle carte postale ?

— Tu le sais très bien. Au début, j’ai cru que tu m’envoyais un petit mot alors j’ai été ému, et puis quand je t’ai vue écrire « wouf wouf, ouaf ouaf, wouf wouf » partout sur la carte, je me suis dit que c’était un code inspiré par les chiens de Tibor. Mais tu n’as même pas signé ! Et tu l’as postée comme ça ! Et après, c’est moi que tu traites de frappé !

Il rigole à moitié. Surtout ne pas perdre la face.

— Si tu m’avais espionnée jusqu’au bout, vilain félon, tu aurais lu l’adresse — 13, impasse Auguste-Renoir — et même ton pauvre cerveau de garçon aurait compris.

Axel se fige.

— C’est pas possible ! Ne me dis pas que tu as envoyé une carte postale au chien de Mlle Mauretta ?

— Eh bien si, figure-toi. Il a son nom sur la boîte aux lettres et je suis sûre qu’il ne reçoit jamais rien.

Axel explose de rire. Il fait beau, la voiture brûle toujours, l’autre pourri sautille encore plus haut devant ce qu’il reste de son bien mal acquis et Axel m’attire à lui. Et soudain tout change.

Cinq jours plus tard, nous passions tous le bac. Léa m’a beaucoup manqué. Depuis longtemps, elle et moi nous préparions à vivre cet examen ensemble. J’ai pensé à elle tout le temps. Je suis même allée la voir deux fois. Allée 16, emplacement 28. C’est sa nouvelle adresse, mais je sais que lui envoyer une carte postale est inutile. J’ai encore tous ses messages dans mon téléphone et son numéro est toujours mon favori. Mais le soir, quand, seule dans ma chambre, je lui parle, elle ne répond pas. M. Rossi a raison : savoir est bien plus lourd que de se demander.

Je n’aurais pas tenu sans Axel. Dans la bande, la perte de Léa nous a tous profondément affectés, mais cela nous a aussi soudés. Nous avons affronté les examens en nous serrant les coudes. C’est affreux à dire, mais la peine nous a évité la peur. Nous sommes passés par trop de choses — belles ou terribles — pour nous affoler. Cette tragédie nous a appris à relativiser. Il n’y a pas d’âge pour le faire. Il faut juste les circonstances.

Le jour des résultats, il n’y a eu que Tibor et moi pour avoir le réflexe d’envoyer un message à Léa. On a échangé un regard que je n’oublierai jamais et on s’est compris. C’est à deux que nous avons porté le sentiment qui nous a submergés. On se voit souvent. Il a eu 20 sur 20 en maths, avec les félicitations du jury. Nous avons tous décroché le diplôme, même Inès — qui a d’ailleurs obtenu une mention. Tout est donc possible.

On va faire une fête. On s’est posé la même question que mes parents. Sans être au courant de leur histoire, Axel a déclaré : « Cette fête n’est pas une trahison vis-à-vis de Léa. Elle l’aurait voulue. La vie doit résister face à la mort. » Je peux vous dire que ça m’a fait drôle de l’entendre dire cela. J’y vois un signe. Ma mère a entendu l’homme de sa vie prononcer presque les mêmes mots et ils vivent toujours ensemble. Je croise les doigts.

Pour la fête, on a décidé de venir costumés. Inès n’a pas voulu nous croire. Pour la venger, Mélissa a convaincu Antoine, avec qui elle sort, que le thème retenu était celui des uniformes. Elle l’a persuadé de s’habiller en « flic disco à paillettes sexy » et elle lui a donné l’adresse du commissariat à la place de celle de la salle des fêtes…

Je crois que cette fois je vais danser. C’est Léa qui m’en a convaincue. Puisque j’ai la chance d’être vivante, je vais essayer d’en être digne. On m’attend. Je vous laisse. « Que la vie vous soit clémente et que l’amour inonde vos jours. » C’est soi-disant de Geneviève Flobelu. Pas besoin d’elle pour souhaiter cela à ceux que l’on aime. En plus, avec un nom pareil, elle peut finir au paradis des machines à laver.

FIN

Et pour finir…