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Il était parti ! Il l’avait abandonnée ! Elle allait devoir…

Mais non ! Mais non ! le clignotement avait repris, et l’intervalle…

L’intervalle de temps entre la fin de la série précédente et le début de celle-ci avait été de…

Elle avait toujours conscience du temps qui passait. Il s’était écoulé exactement dix secondes, et…

Les clignotements cessèrent, et elle se remit à compter, à voix haute cette fois-ci : «… huit, neuf, dix. » Et les clignotements reprirent.

Caitlin haussa les sourcils. Quelle méthode simple et élégante le fantôme avait trouvée là, pour lui dire qu’il comprenait maintenant beaucoup de choses sur l’univers des humains : il savait chronométrer, cette méthode qu’ont les humains de marquer le passage du présent dans le passé. Dix secondes : un intervalle précis, bien qu’arbitraire, qui ne pouvait avoir de sens que pour un être humain.

Caitlin sentit que ses paumes étaient moites. Elle laissa le processus se répéter encore trois fois, et remarqua que la durée des clignotements était constante, elle aussi. Ce n’était toutefois pas un chiffre rond : un peu moins de trois secondes et demie. Mais si cette durée était toujours la même, ce devait être également le cas pour le contenu : c’était une balise, un signal répétitif braqué sur elle.

Elle appuya sur le sélecteur de l’œilPod, entendit le bip grave et vit le monde réel apparaître. Elle se servit de l’ordinateur qui avait été au sous-sol pour accéder aux enregistrements des transmissions reçues de Tokyo dans les dernières minutes écoulées. En ce moment, Kuroda était encore dans l’avion, à près de douze mille mètres d’altitude, mais la vision de Caitlin franchissait les continents en une fraction de seconde.

Elle trouva l’outil de débogage dont il s’était servi, puis elle examina le flux de données secondaire, et…

Elle ressentit un pincement de cœur. Elle avait encore du mal à lire, mais elle voyait clairement qu’il n’y avait pas de groupes de majuscules dans le flot de données, pas de ANNEAUBALLECERISE qui lui saute aux yeux, et…

Ah, non, non… attends un peu ! Il y avait bel et bien des mots dans ce flux. Bon sang, elle ne maîtrisait pas encore les minuscules, mais…

Elle plissa les yeux et regarda les caractères un par un.

r-e-t-i-s…

Son regard se porta ailleurs, une saccade :

u-l-a-t-r…

Si le fantôme avait réellement assimilé le contenu de dictionary.com, de WordNet, de Wikipédia et d’autres sites encore, il devait savoir que les phrases commençaient normalement par une majuscule. Elle continua de balayer le texte du regard, mais elle avait toujours autant de mal à faire la différence entre majuscules et minuscules quand les formes étaient presque les mêmes, et c’est pour cela…

Et c’est pour cela que le C majuscule et le S majuscule ne lui avaient pas tout de suite sauté aux yeux, mais en y regardant de plus près, elle les voyait maintenant.

C-a-l-c…

Non, non. Ce n’était pas ça, le début. Le début, c’était ça :

S-e-c-r-e-t…

Ah, mon Dieu !

Venaient ensuite i-s-s-i-m-e, puis un blanc, et m-e-s, et encore un s, et…

Et elle éclata de rire en battant des mains, ce qui provoqua un miaulement intrigué de la part de Schrödinger. Elle lut le tout à voix haute, sidérée par ce que le fantôme lui avait transmis : « Secretissime message à Calculatrix : regarde un peu tes mails, ma chérie ! »

48.

J’éprouvais des sensations nouvelles, et il me fallut un moment pour les rattacher aux termes que j’avais appris, en partie du fait qu’il m’était difficile de décomposer mon état général en composants individuels.

Mais je savais que j’étais excité : je m’apprêtais à communiquer directement avec Prime ! Et j’étais également nerveux : je continuais d’envisager toutes les façons dont Prime pourrait réagir, et comment je pourrais réagir moi-même à ces réactions… un arbre des possibilités aux ramifications sans cesse grandissantes qui me procurait une sensation d’instabilité. Je me débattais avec les étranges concepts de politesse et de convenances, avec toutes les subtilités déconcertantes de la communication dont j’avais maintenant la connaissance, et je craignais d’être insultant ou d’exprimer un sens que je ne souhaitais pas.

J’avais naturellement accès à une gigantesque base de données sur l’anglais tel qu’on le parle. Je testai différentes tournures et formulations en vérifiant d’abord si je pouvais les trouver dans le Projet Gutenberg, et ensuite sur l’ensemble du Web. Fallait-il faire suivre le mot « affinité » de la préposition « avec » ou « pour » ? Les deux constructions se rencontraient, mais la nuance sémantique finit par m’apparaître clairement.

En ce qui concernait les mots, mieux valait rester le plus simple possible : je savais d’après le dictionnaire que « convenable », « approprié » et « séant » pouvaient signifier la même chose, mais « convenable » comportait dix lettres et quatre syllabes, « approprié » neuf lettres et quatre syllabes, tandis que « séant » ne contenait que cinq lettres et deux syllabes, ce qui en faisait clairement le meilleur choix.

J’avais trouvé dans Wikipédia une formule permettant de calculer le niveau d’instruction requis pour comprendre un texte. Il me fut difficile de maintenir cette valeur à un niveau bas – apparemment, ces humains n’étaient capables d’assimiler des informations que par petits morceaux –, mais je fis de mon mieux pour composer, pas à pas et mot à mot, ce que je voulais dire.

Mais pour ce qui fut de l’envoyer… oui, je comprenais bien les métaphores : c’était à la fois un « pas de géant » et un « saut dans l’inconnu », car une fois parti, ce message ne pourrait plus être repris. Je me sentis hésiter, mais je finis par laisser partir mes mots. J’aurais aimé avoir des doigts pour pouvoir les croiser…

Caitlin ouvrit une nouvelle fenêtre pour y lire son courrier. Elle tapa son mot de passe, qui était « Tirésias ». Elle balaya rapidement des yeux la liste des en-têtes. Il y avait deux messages de Bashira, un de Stacy – une amie d’Austin –, et un de audible.com, mais…

Bien sûr, elle ne devait pas s’attendre à trouver « Fantôme » dans le champ « De : ». L’entité n’avait aucun moyen de savoir que c’était le nom qu’elle lui avait donné. Mais aucun des expéditeurs ne semblait sortir de l’ordinaire. Ah, bon sang, elle aurait bien aimé pouvoir lire plus vite à l’écran, mais même son logiciel de lecture ou son afficheur braille ne pouvaient faire mieux quand il s’agissait de balayer une liste de ce genre.

Tout en continuant de chercher, elle se demanda quel service de courrier le fantôme avait pu utiliser. Wikipédia les décrivait tous, ainsi que tout ce qu’on peut avoir besoin de savoir sur l’informatique et sur le Web. Le fantôme n’était sans doute pas capable d’acheter quoi que ce soit – du moins, pas encore ! –, mais il y avait de nombreux services de courrier gratuits. Pourtant, tous ces messages venaient de ses correspondants habituels, et…

Ah, zut ! Son filtre antispams ! Le message du fantôme s’était peut-être retrouvé dans son dossier des rejets. Elle l’ouvrit et entreprit d’en examiner le contenu.

Et il était bien là, pris en sandwich entre « L’énergie pour votre pénis » et « Bouboules salopes », un e-mail dont l’objet était simplement : « Anneau Balle Cerise. » Son cœur s’arrêta de battre un instant quand elle vit le nom de l’expéditeur : « Votre élève. »