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Caitlin pourrait utiliser la recherche sur Google Images pour trouver une série de graphiques de ce genre, mais elle ne saurait pas départager les bons des mauvais – après tout, elle commençait tout juste à voir !

Ah, mais attends une seconde ! Elle connaissait quelqu’un qui possédait forcément une image parfaite pour représenter tout cela. Elle ouvrit le programme de messagerie instantanée sur l’ancien ordinateur du sous-sol, et elle jeta un coup d’œil à la liste des « amis ». Celle-ci ne comportait que quatre noms : « Esumi », la femme de Kuroda ; « Akiko », sa fille ; « Hiroshi », quelqu’un qu’elle ne connaissait pas ; et « Anna ». Le statut de cette dernière était « Disponible », et Caitlin tapa : Anna, vous êtes là ?

Il s’écoula vingt-sept secondes avant que n’apparaisse : Masa ! Comment ça va ?

Pas le Dr Kuroda, répondit Caitlin. C’est Caitlin Decter, au Canada.

Salut ! Que se passe-t-il ?

Le Dr K. a dit que vous êtes une cartographe du Web, c’est bien ça ?

Oui, c’est exact. Je fais partie de l’Internet Cartography Project.

Super, parce que j’ai besoin de votre aide.

D’accord. On passe en vidéo ?

Caitlin haussa les sourcils. Elle n’avait pas encore l’habitude de penser au Web comme un moyen de voir des gens, mais c’était évident, bien sûr. OK, tapa-t-elle.

Il lui fallut une minute pour lancer la vidéoconférence, mais elle se retrouva bientôt face à face avec Anna Bloom, dont le visage apparaissait dans une nouvelle fenêtre. C’était la première fois que Caitlin la voyait. Elle avait un visage étroit, des cheveux gris ou argentés coupés court, et des yeux bleu vert derrière des lunettes presque invisibles. Elle portait un haut bleu clair avec une veste rouge foncé, et un mince collier en or. Il y avait une fenêtre derrière elle, par laquelle Caitlin put apercevoir Israël la nuit, avec des lumières se réfléchissant sur des bâtiments blancs.

— La célèbre Caitlin Decter ! dit Anna en souriant. J’ai vu les reportages à la télé. Je suis tellement heureuse pour toi ! Bien sûr, c’était déjà formidable de voir le Web, j’imagine, mais voir le monde réel ! (Elle secoua la tête d’un air étonné.) J’ai beaucoup réfléchi à ce que ça doit être pour toi, de voir tout cela pour la première fois. Je…

— Oui ? fit Caitlin.

— Non, excuse-moi. On ne peut pas vraiment comparer, je sais bien, mais…

— C’est bon, dit Caitlin, allez-y.

— C’est juste que tout ce que tu vis en ce moment… Eh bien, j’ai essayé d’imaginer l’effet que ça pouvait faire.

Caitlin repensa aux discussions qu’elle avait eues avec Bashira sur la question inverse, quand elle avait établi un parallèle entre sa cécité et l’absence d’un sens du magnétisme. Elle comprenait bien que les gens aient du mal à se faire une idée d’un mode de perception différent.

— C’est vertigineux, dit-elle. C’est beaucoup plus que je ne pensais. Jusque-là, j’avais imaginé le monde, mais…

Anna hocha la tête avec énergie, comme si Caitlin venait juste de lui confirmer quelque chose.

— Oui, oui, fit-elle. Et j’ai horreur de ça quand les gens disent : « Je comprends exactement ce que vous ressentez. » Tu sais, quand quelqu’un a perdu un enfant, ou vécu un événement aussi tragique, et les gens disent : « Oui, je sais ce que ça doit être pour vous », et ils te sortent une comparaison à la gomme, comme la fois où leur chat s’est fait écraser par une voiture.

Caitlin regarda Schrödinger qui était tranquillement installé sur son lit.

— Mais bon, poursuivit Anna, j’ai pensé que, quand tu as recouvré la vue, cela t’a peut-être fait le même effet qu’à moi – qu’à nous tous ! – en 1968.

Caitlin l’écoutait poliment, mais… 1968 ! Anna aurait aussi bien pu lui parler de 1492 : c’était l’Antiquité.

— Oui ? fit-elle.

— Tu comprends, dit Anna, à ce moment-là, et d’une certaine façon, nous avons tous vu le monde pour la première fois.

— C’est l’année où il est passé en couleurs ? demanda Caitlin.

Anna ouvrit de grands yeux.

— Hem, en fait…

Mais Caitlin ne put garder son sérieux plus longtemps.

— Je blaguais, Anna. Alors, qu’est-ce qui s’est passé en 1968 ?

— C’est l’année où… Attends, je vais te montrer, j’en ai pour deux secondes. (Caitlin la vit taper sur son clavier, et une URL soulignée en bleu apparut sur son écran.) Clique dessus, lui dit Anna.

Caitlin s’exécuta et vit une image s’afficher lentement en commençant par le haut : un objet bleu et blanc sur fond noir. Quand elle eut fini de se charger, l’image remplissait l’écran.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Caitlin. Anna sembla interloquée un instant, mais elle finit par hocher la tête.

— C’est tellement difficile de garder en tête que tout cela est nouveau pour toi. Ça, comme tu dis, c’est la Terre.

Caitlin se redressa sur son fauteuil et contempla l’image, complètement ébahie.

— La planète entière, poursuivit Anna, vue de l’espace. Sa voix sembla s’étouffer, et il lui fallut un instant pour se remettre. Caitlin était intriguée. Bien sûr, pour elle, c’était fantastique de voir la Terre pour la première fois, mais Anna avait déjà dû voir des milliers d’images semblables.

— Tu comprends, Caitlin, avant 1968, aucun être humain n’avait jamais pu voir notre monde comme ça, une sphère flottant dans l’espace. (Anna jeta un coup d’œil vers sa droite, sans doute pour regarder l’image sur son écran.) Jusqu’à ce que Apollo 8 prenne le chemin de la Lune – le premier vaisseau spatial habité à entreprendre ce voyage –, personne ne s’était suffisamment éloigné de la Terre pour la voir en entier. Et là, tout à coup, dans toute sa splendeur, nous l’avons vue. L’image que tu vois n’a pas été prise par Apollo 8. C’en est une à plus haute résolution, prise il y a quelques jours seulement par un satellite géostationnaire… mais elle est pratiquement identique à celle que nous avons vue en 1968 – enfin, à part les calottes polaires qui sont moins étendues.

Caitlin continua de regarder fixement l’écran.

Quand Anna reprit la parole, ce fut d’une voix très douce.

— Tu vois ce que je veux dire, maintenant ? Quand nous avons vu cette image pour la première fois – quand nous avons vu notre monde comme un vrai monde –, cela a été un peu comme ce que tu vis en ce moment, mais à l’échelle de l’espèce humaine tout entière. Une chose que nous n’avions fait qu’imaginer nous était enfin révélée, et c’était un spectacle magnifique, plein de couleurs, et… (Elle s’interrompit, cherchant sans doute ses mots, puis elle haussa légèrement les épaules comme pour dire qu’elle n’avait rien trouvé de mieux :) D’une beauté à vous couper le souffle.

Caitlin plissa le front en continuant d’examiner l’image : ce n’était pas un cercle parfait.

C’était plutôt… ah, mais oui ! L’image montrait une phase de la Terre, et ce n’était pas comme une grosse part de tarte ! C’était… comment ça s’appelait, déjà ? C’était une Terre gibbeuse, voilà, éclairée aux trois quarts.