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Il lui montre où.

– Il est trop échancré ton pardessus.

Ça c'est vrai.

– Eh bien.

Je me dis ça.

Partial

Après une attente démesurée l'autobus enfin tourna le coin de la rue et vint freiner le long du trottoir. Quelques personnes descendirent, quelques autres montèrent: j'étais de celles-ci. On me asse sur la plate-forme, le receveur tira véhémentement sur une chasse de bruit et le véhicule repartit. Tout en découpant dans un carnet le nombre de tickets que l'homme à la petite boîte allait oblitérer sur son ventre, je me mis à inspecter mes voisins. Rien que des voisins. Pas de femmes. Un regard désintéressé alors. Je découvris bientôt la crème de cette boue circonscrivante: un garçon d'une vingtaine d'années qui portait une petite tête sur un long cou et un grand chapeau sur sa petite tête et une petite tresse coquine autour de son grand chapeau.

Quel pauvre type, me dis-je.

Ce n'était pas seulement un pauvre type, c'était un méchant. Il se poussa du côté de l'indignation en accusant un bourgeois quelconque de lui laminer les pieds à chaque passage de voyageurs, montants ou descendants. L'autre le regarda d'un oeil sévère, cherchant une réplique farouche dans le répertoire tout préparé qu'il devait trimbaler à travers les diverses circonstances de la vie, mais ce jour-là il ne se retrouvait pas dans son classement. Quant au jeune homme, craignant une paire de gifles, il profita de la soudaine liberté d'une place assise pour se précipiter sur celle-ci et s'y asseoir.

Je descendis avant lui et ne pus continuer à observer son comportement. Je le destinais à l'oubli lorsque, deux heures plus tard, moi dans l'autobus, lui sur le trottoir, je le revis cour de Rome, toujours aussi lamentable.

Il marchait de long en large en compagnie d'un camarade qui devait être son maître d'élégance et qui lui conseillait, avec une pédanterie dandyesque, de faire diminuer l'échancrure de son pardessus en y faisant adjoindre un bouton supplémentaire.

Quel pauvre type, me dis-je.

Puis nous deux mon autobus, nous continuâmes notre chemin.

Sonnet

Glabre de la vaisselle et tressé du bonnet,

Un paltoquet chétif au cou mélancolique

Et long se préparait, quotidienne colique.

À prendre un autobus le plus souvent complet.

L'un vint, c'était un dix ou bien peut-être un S.

La plate-forme, hochet adjoint au véhicule,

Trimbalait une foule en son sein minuscule

Où des richards pervers allumaient des londrès

Le jeune girafeau, cité première strophe,

Grimpé sur cette planche entreprend un péquin

Lequel, proclame-t-il, voulait sa catastrophe,

Pour sortir du pétrin bigle une place assise

Et s'y met. Le temps passe. Au retour un faquin

À propos d'un bouton examinait sa mise.

Olfactif

Dans cet S méridien il y avait en dehors de l'odeur habituelle, odeur d'abbés, de décédés, d'oeufs, de geais, de haches, de ci-gîts, de cas, d'ailes, d'aime haine au pet de culs, d'airs détestés, de nus vers, de doubles vés cés, de hies que scient aides grecs, il y avait une certaine senteur de long cou juvénile, une certaine perspiration de galon tressé, une certaine âcreté de rogne, une certaine puanteur lâche et constipée tellement marquées que lorsque deux heures plus tard je passai devant la gare Saint-Lazare je les reconnus et les identifiai dans le parfum cosmétique, fashionable et tailoresque qui émanait d'un bouton mal placé.

Gustatif

Cet autobus avait un certain goüt. Curieux mais incontestable. Tous les autobus n'ont pas le même goüt. Ça se dit, mais c'est vrai. Suffit d'en faire l'expérience. Celui-là – un S – pour ne rien cacher – avait une petite saveur de cacahouète grillée je ne vous dis que ça. La plate-forme avait son fumet spécial, de la cacahouète non seulement grillée mais encore piétinée. à un mètre soixante au-dessus du tremplin, une gourmande, mais il ne s'en trouvait pas, aurait pu lécher quelque chose d'un peu suret qui était un cou d'homme dans sa trentaine. Et à vingt centimètres encore au-dessus, il se présentait au palais exercé la rare dégustation d'un galon tressé un peu cacaoté. Nous dégustâmes ensuite le chouigne-gueume de la dispute, les châtaignes de l'irritation, les raisins de la colère et les grappes d'amertume.

Deux heures plus tard nous eümes droit au dessert: un bouton de pardessus… une vraie noisette…

Tactile

Les autobus sont doux au toucher surtout si on les prend entre les cuisses et qu'on les caresse avec les deux mains, de la tête vers la queue, du moteur vers la plate-forme. Mais quand on se trouve sur cette plate-forme alors on perçoit quelque chose de plus âpre et de plus rêche qui est la tôle ou la barre d'appui, tantôt quelque chose de plus rebondi et de plus élastique qui est une fesse. Quelquefois il y en a deux, alors on met la phrase au pluriel. On peut aussi saisir un objet tubulaire et palpitant qui dégurgite des sons idiots, ou bien un ustensile aux spirales tressées plus douces qu'un chapelet, plus soyeuses qu'un fil de fer barbelé, plus veloutées qu'une corde et plus menues qu'un câble. Ou bien encore on peut toucher du doigt la connerie humaine, légèrement visqueuse et gluante, à cause de la chaleur.

Puis si l'on patiente une heure ou deux, alors devant une gare raboteuse, on peut tremper sa main tiède dans l'exquise fraîcheur d'un bouton de corozo qui n'est pas à sa place.

Visuel

Dans l'ensemble c'est vert avec un toit blanc, allongé, avec des vitres. C'est pas le premier venu qui pourrait faire ça, des vitres. La plate-forme c'est sans couleur, c'est moitié gris moitié marron si l'on veut. C'est surtout plein de courbes, des tas d'S pour ainsi dire. Mais à midi comme ça, heure d'affluence, c'est un drôle d'enchevêtrement. Pour bien faire faudrait étirer hors du magma un rectangle d'ocre pâle, y planter au bout un ovale pâle ocre et là-dessus coller dans les ocres foncés un galurin que cernerait une tresse de terre de Sienne brülée et entremêlée par-dessus le marché. Puis on t'y foutrait une tache caca d'oie pour représenter la rage, un triangle rouge pour exprimer la colère et une pissée de vert pour rendre la bile rentrée et la trouille foireuse.

Après ça on te dessinerait un de ces jolis petits mignons de pardingues bleu marine avec, en haut, juste en dessous de l'échancrure, un joli mignon bouton dessiné au petit quart de poil.