— Je peux venir avec toi ? dit-elle d’une voix aussi légère qu’une plume flottant au vent.
Peter acquiesce en silence.
Le canapé comporte trois coussins. Peter occupe celui de gauche et Cathy se pose à la limite des deux autres, hésitant entre la proximité et la distance.
Ils demeurent ainsi un long moment sans parler.
Peter remue machinalement la tête. Il y voit trouble. Sans doute le manque de sommeil, pense-t-il, puis il comprend qu’il est au bord des larmes. Il prend une profonde inspiration. La dernière fois qu’il a pleuré, c’était à l’âge de douze ans, après avoir par mégarde fourré les doigts dans une prise électrique. Il avait eu si honte qu’il avait toujours mis un point d’honneur à se maîtriser depuis lors. Mais cette fois, il est sur le point de déborder.
Il faut qu’il sorte, qu’il aille se cacher…
Trop tard. Ses joues sont trempées, son corps se convulsé, secoué de sanglots. Cathy tend une main vers lui, mais elle se ravise. Peter pleure durant de longues minutes. Une larme tombe sur le coin du livre, rapidement absorbée par le papier.
Il voudrait arrêter, mais c’est plus fort que lui. À présent, il a le nez qui coule ; il éternue entre deux sanglots qui font jaillir de nouvelles larmes. Cela faisait trop longtemps qu’il se contenait.
— Tu m’as fait mal, parvient-il enfin à articuler.
Cathy se mord les lèvres et incline doucement la tête. Elle bat des cils, refoulant ses propres larmes.
— Je sais.
7
— Bonjour, dit la conseillère de l’Association d’aide aux familles – une mince jeune femme de race noire. Je suis Danita Crewson. Préférez-vous qu’on vous appelle Catherine ou Cathy ?
Ses cheveux courts, son tailleur écru discrètement rehaussé de bijoux lui dorment un air très pro. Cathy est quelque peu interloquée : Danita paraît à peine vingt-quatre ans, alors qu’elle, attendait une personne d’âge mûr et pleine d’expérience.
— Cathy. Merci de m’avoir reçue si vite.
— Je vous en prie. Avez-vous rempli la déclaration de ressources ?
Cathy lui tend le formulaire.
— L’argent n’est pas un problème.
Danita sourit, à croire qu’elle n’a pas l’habitude de ce discours.
— Formidable.
Cathy note avec une pointe de jalousie qu’elle n’a pas de rides au coin des yeux quand elle sourit.
— Eh bien, Cathy, dites-moi quel est votre problème. Cathy fait des efforts pour se calmer. Cela fait des mois qu’elle se tourmente au sujet de son infidélité. Seigneur, pense-t-elle, comment ai-je pu être aussi bête ? Mais ce sont les larmes de Peter qui l’ont décidée à agir, pour ne plus le voir souffrir ainsi. Elle croise les mains sur ses genoux et annonce :
— Je… j’ai trompé mon mari.
— Je vois, fait Danita avec un détachement tout professionnel. Est-il au courant ?
— Oui, je le lui ai dit. Ça n’a pas été facile, soupire-t-elle.
— Comment a-t-il réagi ?
— Il a été anéanti. Jamais je ne l’avais vu aussi bouleversé.
— Il s’est mis en colère ?
— Il était furieux, mais surtout très triste.
— Il vous a frappée ?
— Oh, non ! Non, il n’est absolument pas violent.
— Ni en gestes ni en paroles ?
— C’est ça. Il a toujours été très gentil avec moi.
— Pourtant, vous l’avez trompé.
— Oui.
— Pourquoi ?
— Je n’en sais rien.
— Comment vous sentez-vous maintenant que vous avez parlé à votre mari ?
Cathy réfléchit quelques secondes puis répond :
— Mieux… Non, pire. Je ne sais pas.
— Vous comptiez qu’il vous pardonne ?
— Non. Peter accorde beaucoup d’importance à la fidélité. En fait, je… je m’attendais que notre mariage se brise.
— Et ça a été le cas ?
— Je ne sais pas, avoue Cathy en détournant le regard.
— C’est ce que vous voulez ?
— Non, pas du tout. Mais… j’aimerais que Peter soit heureux. Il mérite mieux.
— C’est lui qui vous l’a dit ?
— Bien sûr que non. Mais c’est la vérité.
— Quoi donc ? Qu’il mérite mieux ?
Cathy hoche la tête.
— Vous me semblez une personne tout à fait digne d’intérêt. Alors pourquoi dites-vous cela ?
Comme Cathy ne répond pas, Danita se carre dans son fauteuil.
— Comment marchait votre ménage jusque-là ?
— Oh, bien !
— Jamais de brouille ni de séparation ?
— Non… Si. Une fois, avant notre mariage.
— Ah ? Et que s’était-il passé ?
— Je ne sais plus très bien. On était encore étudiants et cela faisait près d’un an qu’on sortait ensemble. Et puis un jour, j’ai rompu avec lui.
— Et vous avez oublié pourquoi ?
Cathy dirige son regard vers la fenêtre, comme pour puiser des forces dans l’éclat du soleil, puis elle ferme les yeux.
— Il me semble… Je n’arrivais pas à croire qu’on puisse m’aimer à ce point, sans condition.
— Alors vous l’avez écarté ?
— C’est ça.
— Et maintenant ? Est-ce aussi la raison de votre infidélité, Cathy ?
— Peut-être.
— Pourquoi vous sentez-vous indigne d’être aimée ? reprend Danita en se penchant légèrement en avant.
— Je ne sais pas. C’est-à-dire, je sais que. Peter m’aime. Mais aujourd’hui encore, après toutes ces années, j’ai du mal à le croire.
— Pourquoi ?
Les épaules de Cathy se soulèvent à peine.
— À cause de ce que je suis.
— C’est-à-dire ?
— Je ne suis rien… Rien de spécial.
— Vous semblez surtout manquer de confiance en vous, remarque Danita.
— C’est possible, admet Cathy après un temps de réflexion.
— Pourtant, vous avez été à l’université ?
— Oh, oui ! J’ai même reçu une distinction.
— Et dans votre travail ? Rencontrez-vous le même succès ?
— J’ai eu plusieurs fois de l’avancement. Mais ce n’est pas un travail très difficile.
— Néanmoins, vous le faites bien ?
— Sans doute. Mais c’est sans importance.
— Selon vous, qu’est-ce qui est important ? demande Danita en levant les sourcils.
— Je ne sais pas… Quelque chose qu’on remarque.
— Qui ça, on ?
— Les gens.
— Est-ce que votre mari… Peter, c’est ça ? Quand vous réussissez quelque chose, est-ce que Peter le remarque ?
— Oh, oui ! Je fais de la céramique dans mes temps de loisirs. Vous auriez vu comme il était heureux quand une galerie a exposé quelques-unes de mes œuvres, l’an dernier. Il m’a toujours poussée en avant. Quand j’ai eu ma licence avec mention, il a organisé une soirée en mon honneur.
— Et vous, étiez-vous fière de vous ?
— Surtout soulagée d’en avoir fini avec la fac.
— Et votre famille ? Était-elle fière ?
— Je pense que oui.
— Votre mère ?
— Ça, oui ! Elle était présente à la remise des diplômes.
— Et votre père ?
— Il n’est pas venu.
— Mais il était fier de vous ?
Cathy a un rire âpre.
— Dites-moi, Cathy : votre père était-il fier de vous ?