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— Et personne ne sait laquelle est la bonne ?

— Oh ! J’imagine qu’elles le sont toutes à des degrés divers. Mais dans la mesure où les « nounous » – c’est comme ça qu’ils les appellent ? – de Life Unlimited combattent sur les cinq fronts à la fois, je dirais qu’il y a de bonnes chances pour que ça marche. Mais pour en juger, il faudrait avoir quelques siècles de recul.

— Donc, tu penses que ça peut être un bon investissement ?

— À première vue, oui. Mais à supposer que le paradis existe, ce serait dommage de s’en priver.

— Je ne te savais pas aussi préoccupé de religion, Peter, observe Colin.

— Pardon, fait Peter en se concentrant sur la fin de son sandwich. C’est juste une idée qui me traversait l’esprit.

— Qu’est-ce que Cathy a pensé de Life Unlimited ?

— Elle n’a pas paru très intéressée.

— Ah bon ? Pour ma part, je trouve ça fabuleux. J’ai très envie d’essayer.

— Cela coûte une fortune, fait remarquer Peter. Tu as détourné des fonds de ta banque ?

— Pas autant. Mais pour ça, je suis prêt à casser ma tirelire.

Il faut encore trois semaines à Peter pour recueillir de nouvelles preuves de la présence de « l’onde vitale ». Le premier enregistrement a lieu au service des soins intensifs du Carlson’s Hospital – là où il a fait la connaissance de Peggy Fennell. Cette fois, le sujet est un certain Gustav Reichhold, un homme à peine plus âgé que lui. Hospitalisé pour des complications liées au sida, il a opté pour un suicide médicalement assisté.

Le second enregistrement ne peut avoir lieu au même endroit, pour éviter que des détracteurs n’assimilent l’onde vitale à un vulgaire phénomène électrique, dû à la proximité d’une ligne à haute tension ou à un traitement particulier à cet établissement. Pour recruter des volontaires, Peter a diffusé l’annonce suivante sur le Net :

Recherche personnes grièvement blessées ou malades en phase terminale pour tester nouvel appareil de monitoring biomédical. Secteur : Ontario sud. Rémunération : 10 000 $ CDN. Discrétion assurée. Adresser propositions à Hobson Monitoring (Net : HOBMON).

À relire son annonce, Peter ressent comme de la gêne : comme tout cela est froid ! À moins que sa réaction n’ait quelque chose à voir avec le montant de la rétribution… Quoi qu’il en soit, elle n’est pas parue depuis deux jours que Peter a déjà reçu quatorze propositions. Il arrête son choix sur un garçon de douze ans mourant de leucémie, autant pour des raisons affectives que dans le souci d’élargir son échantillon. La famille du jeune garçon – originaire d’Ouganda – s’est ruinée pour l’amener au Canada, dans l’espoir de le sauver. Au moins, cet argent l’aidera à régler une partie des frais médicaux.

À la réflexion, il lui semble que ses précédents sujets d’expérience méritent une compensation équivalente, aussi verse-t-il dix mille dollars sur la succession de Gustav Reichhold. Peggy Fennell étant morte sans héritier, il fait un don en son nom à l’Association canadienne des malades du diabète. Bientôt, des scientifiques du monde entier vont s’efforcer de reproduire ses expériences, aussi lui paraît-il juste de créer un précédent en rétribuant généreusement ses sujets.

Les trois enregistrements montrent le même minuscule champ électrique quittant le corps au moment précis de la mort. Pour être sûr que ses premiers résultats ne provenaient pas d’une défaillance technique, il a enregistré la mort du jeune garçon à l’aide d’un appareil différent, doté de composants dernier cri.

Durant le même laps de temps, il a également testé son super-EEG sur les cent dix-neuf employés de Hobson Monitoring. Fort heureusement, il n’y avait aucun mourant parmi eux… Pour Peter, il s’agissait avant tout de s’assurer que l’onde vitale n’était pas due à un sursaut d’agonie du cerveau mais qu’elle était également présente chez des personnes en bonne santé.

Sa « signature » est reconnaissable entre toutes. Sa fréquence, beaucoup plus élevée que celle d’une activité cérébrale normale, lui évite d’être noyée dans la masse des autres signaux, ce malgré son faible voltage. Peter n’a eu aucun mal à l’isoler chez ses employés. Pourtant – détail amusant – il a dû s’y reprendre à plusieurs fois avant de la localiser chez l’avocat de la société, Caleb Martin.

Cela étant, ledit Caleb Martin s’est démené comme un beau diable pour faire breveter tous les composants du super-EEG aussi bien au Canada qu’aux États-Unis, au Japon, dans la Communauté européenne et le Commonwealth des États indépendants. D’autre part, l’usine coréenne sous-traitant pour le compte de Hobson Monitoring a ouvert une nouvelle chaîne de fabrication pour le super-EEG.

Il sera bientôt temps de révéler au public l’existence de l’onde vitale.

12

Peter se revoit bizut, enfilant des vêtements à des animaux. Il s’approche d’une des vaches et lui flatte l’encolure. Cela faisait des années qu’il n’avait pas eu de contact avec ces bestiaux. S’il a grandi à Regina, il a des parents éleveurs dans le Saskatchewan. Enfant, il passait toujours une partie des vacances d’été chez eux.

Comme toutes les vaches, celle-ci a de grands yeux bruns et un mufle humide. Voyant qu’elle ne bronche pas, Peter fixe sans plus de cérémonie le casque sur son crâne massif. La bête meugle, moins pour protester que de surprise. Son souffle empeste.

— C’est bon, doc ? demande le chef des bouchers.

Peter jette un regard peiné à la vache.

— C’est bon.

Normalement, on assomme le bétail à l’aide d’une décharge avant de le tuer. Cette méthode risquant d’endommager le scanner, cette vache sera asphyxiée avec du gaz carbonique avant d’être pendue puis égorgée. Peter a assisté à nombre d’opérations chirurgicales, mais celles-ci étaient destinées à guérir. Contre toute attente, la mise à mort de la vache le bouleverse et quand le chef boucher l’invite à rester pour l’abattage du reste du troupeau, il ne se sent pas le courage d’accepter. Le temps de récupérer son matériel, de s’excuser du dérangement puis il regagne dare-dare son bureau.

Là, il passe le restant de la journée à analyser ces nouvelles données. Quelle que soit la méthode employée, le résultat est identique : nulle trace d’âme chez les vaches – du moins, nulle fuite d’onde électrique au moment de la mort. Si cette découverte ne le surprend guère, il s’attend autant à être encensé par les uns que honni par les autres – en l’occurrence, les plus radicaux parmi les défenseurs des animaux.

Ce soir-là, Cathy et lui avaient prévu de dîner d’une grillade au Barberian’s. Au dernier moment, Peter annule leur réservation et opte plutôt pour un restaurant végétarien.

À l’époque où Peter étudiait la taxinomie, celle-ci distinguait deux espèces de chimpanzés : Pan troglodytes (chimpanzé commun) et Pan paniscus (chimpanzé nain).

Bien que la séparation entre l’homme et le chimpanzé remonte à plus d’un million d’années, les deux espèces ont gardé 98,4 % de leur A.D.N. en commun. Partant de cette constatation, un comité comprenant l’évolutionniste Richard Dawkins et le célèbre écrivain de science-fiction Douglas Adams a publié en 1993 une Déclaration des grands singes appelant à l’adoption d’une charte en faveur de nos cousins simiens.

Ce n’est que treize ans plus tard que le texte a été discuté à l’O.N.U. Celle-ci a alors adopté une résolution sans précédent, reclassifiant les chimpanzés comme membres du genre Homo. L’humanité comprend désormais trois espèces : Homo sapiens, Homo troglodytes et Homo paniscus. Les Droits de l’homme se divisent en deux catégories : ceux – le droit à la vie, à la liberté et l’interdiction de la torture – s’appliquant à tous les membres du genre Homo, et les autres – le droit au bonheur, la liberté de croyance, la propriété – réservés à Homo sapiens.