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— Oui, répond Peter après un temps de réflexion. Oui, je le veux.

Sarkar sourit.

— Le choix de Hobson, répète-t-il en faisant signe au serveur d’apporter l’addition.

INFO-NET

L’archevêché de Houston (Texas) rappelle que vendredi prochain, le 2 novembre, sera le jour des Morts. Ce jour-là, la tradition veut qu’on offre des prières aux âmes du purgatoire. Étant donné la brûlante actualité de cette question, une messe spéciale aura lieu à l’Astrodrome vendredi soir à 20 heures.

Dans son éditorial, le numéro de novembre de Notre corps, organe du Mouvement des femmes pour le contrôle des naissances (mouvement basé à Manchester, Royaume-Uni), dénonce la soi-disant découverte d’une onde vitale chez le fœtus comme « une nouvelle tentative des hommes pour prendre le contrôle du corps des femmes ».

La Vie après la vie de Raymond Moody, publié pour la première fois en 1975, vient d’être réédité par NetBooks. Il s’est immédiatement classé à la seconde place du palmarès des ventes établi par le New York Times, dans la catégorie essais.

Ce soir, à la clôture des cours de la Bourse, le titre de Hobson Monitoring Ltd. enregistrait une hausse de 63/8 points par rapport à la séance précédente. C’est la cinquante-deuxième hausse consécutive pour le fabricant d’équipement biomédical de Toronto.

L’Association de défense des enfants à naître manifestait aujourd’hui devant la clinique Morgentaler de Toronto, spécialisée dans la pratique des avortements. D’après la présidente, Anthoula Sotirios, « l’avortement antérieur à l’apparition de l’onde vitale n’en demeure pas moins un crime aux yeux de Dieu. Durant les neuf premières semaines de la grossesse, le fœtus est un temple, en attente de l’étincelle divine ».

17

Un jeudi soir, chez les Hobson. Peter a programmé l’ordinateur pour qu’il lui signale les programmes télé susceptibles de l’intéresser. Cela fait deux ans que le magnétoscope attend de pouvoir enregistrer Le Chasseur de l’ombre – un téléfilm qui a marqué l’adolescence de Peter –, mais jusqu’ici l’occasion ne s’est pas présentée. Il guette également une éventuelle participation de Ralph Nader ou de Stephen Jay Gould à un talk-show, la diffusion d’un film d’Orson Welles et celle d’un épisode de Tribunal de nuit avec Brent Spiner en guest-star.

Ce soir-là, la chaîne DBS du Caire diffuse Le Criminel, avec Orson Welles, sous-titré en arabe. Qu’à cela ne tienne : le magnétoscope possède une fonction qui lui permet d’effacer les sous-titres en reconstituant les zones de l’image occultées par le texte. Une véritable aubaine… Cela faisait vingt ans que Peter n’avait pas revu ce film. Tandis que le magnétoscope ronronne, Peter suppute qu’il le regardera le lendemain, ou bien samedi… Peut-être.

Assise en face de lui, Cathy s’éclaircit la voix avant de rompre le silence :

— Mes collègues ont demandé de tes nouvelles… Je devrais dire, de nos nouvelles.

— Ah ? fait Peter en se raidissant.

— C’est-à-dire, ils voulaient savoir pourquoi on ne paraissait plus au pot du vendredi soir.

— Et qu’est-ce que tu leur as dit ?

— Rien. Je me suis excusée.

— Est-ce qu’ils… Crois-tu qu’ils soient au courant de…

— Je ne pense pas, répond-elle après réflexion. J’aimerais en être sûre, mais…

— Mais ce fumier de Hans ne sait pas tenir sa langue.

Elle reste sans voix.

— As-tu surpris quoi que ce soit ? Des insinuations ?

— Non, rien.

— Tu en es sûre ?

— Crois-moi, soupire-t-elle, j’ai été on ne peut plus attentive à tout ce qu’ils pouvaient dire. S’ils déblatèrent dans mon dos, ils n’en laissent rien paraître. Franchement, je ne pense pas qu’ils sachent.

— Si jamais ils savaient… Je crois que je ne pourrais plus jamais me présenter devant eux. Ce serait trop…

Il marque une pause, cherchant le terme exact.

— Trop humiliant.

Cathy préfère se taire.

— Tu ne peux pas savoir comme cette situation m’est odieuse, reprend Peter.

Cathy se contente de hocher la tête.

— Et pourtant… Si nous devons un jour reprendre une vie normale, j’imagine qu’il va falloir sortir, voir des gens.

— C’est aussi ce que pense Danita.

— Danita ?

— La conseillère conjugale.

— Ah !

Elle laisse s’écouler plusieurs secondes puis reprend :

— Hans a quitté la ville aujourd’hui, pour se rendre à un congrès. Si on sort demain avec mes amis, il n’y sera pas.

Peter prend une profonde inspiration.

— Tu en es sûre ?

Elle fait signe que oui.

Il garde un moment le silence, rassemblant ses pensées.

— C’est bon, déclare-t-il enfin. Je veux bien faire un effort, à condition qu’on ne reste pas longtemps. Mais j’espère que tu dis vrai, ajoute-t-il en plantant son regard dans le sien.

Sa voix a une intonation glaciale que Cathy ne lui a encore jamais entendue.

— Parce que si je le retrouve un jour sur mon chemin, je le tue.

Peter arrive tôt au Bent Bishop, pour être sûr d’avoir une place près de sa femme. Il trouve le groupe installé autour d’une longue table au centre de la salle et parvient à s’asseoir près de Cathy, juste en face du pseudo-intellectuel. Cette fois, le lecteur de celui-ci est chargé avec un roman de Camus.

— Salut, doc, lui dit Pseudo. On ne voit plus que toi à la télé.

— Bonsoir, répond Peter.

— On n’a pas l’habitude de te voir si tôt, remarque Pseudo.

Peter comprend alors qu’il a commis une erreur en changeant ses habitudes. Il ne devrait rien faire qui puisse attirer l’attention sur lui ou sur Cathy.

— C’était pour éviter les journalistes, ment-il.

Pseudo porte son verre de bière à ses lèvres, puis il reprend :

— Tu seras heureux d’apprendre que Hans ne viendra pas.

Peter sent le rouge lui monter au front mais dans la pénombre ambiante, son trouble devrait passer inaperçu.

— Pourquoi ça ?

Malgré ses efforts, une pointe d’agressivité s’est glissée dans sa question. Cathy lui tapote le genou sous la table.

— Pour rien, répond Pseudo en haussant les sourcils. C’est juste qu’il y a parfois un peu de tirage entre vous. Il t’a pas mal charrié la dernière fois.

Entre-temps, la serveuse s’est approchée.

— Un jus d’orange, commande Peter.

La serveuse questionne alors Cathy du regard.

— De l’eau minérale. Avec du citron.

— Comment, tu ne prends rien ? s’insurge Pseudo, comme si la réponse de Cathy constituait une offense aux bonnes mœurs.

— Euh… J’ai mal à la tête, bredouille-t-elle. Je viens de prendre une aspirine.

On ne voit jamais le bout des mensonges, note Peter en serrant les poings sous la table. Elle ne pouvait pas dire : J’ai arrêté de picoler parce que la dernière fois que j’ai pris une cuite, je me suis fait sauter par Hans.

Deux autres collègues de Cathy viennent d’entrer : un homme et une femme, la quarantaine pareillement enrobée. Cathy les salue.

— Y a pas foule, remarque l’homme. Où est donc Hans ?