Deux morts : une par homicide, l’autre pour une cause indéterminée. Pas de quoi fouetter un chat, en somme.
Sauf qu’elles ont Cathy Hobson comme dénominateur commun.
O.K., Larsen collectionnait les maîtresses et Rod Churchill avait dépassé la soixantaine. Pourtant…
À la fin de sa journée de travail, Sandra prend sa voiture pour se rendre chez les Churchill, à quelque cinq kilomètres du Q.G. de la police : si elle doit rentrer bredouille, au moins n’aura-t-elle pas perdu trop de temps. Elle se gare devant la maison et gravit les quelques marches menant à la porte d’entrée. Celle-ci est équipée d’une serrure électronique ainsi que d’un bouton de sonnette. Sandra presse ce dernier et au bout d’une minute à peine, une femme aux cheveux gris apparaît sur le seuil.
— Oui ?
— Bonjour. Vous êtes Bunny Churchill ?
— Oui.
— Alexandria Philo, de la Metro Police, dit-elle en montrant sa carte. Je peux vous poser quelques questions ?
— À quel sujet ?
— La mort de votre époux.
— Grand Dieu ! s’exclame Bunny.
Puis :
— Entrez.
— Merci. Mais d’abord, pourriez-vous me dire quelles empreintes figurent dans la mémoire de votre serrure ?
— Les miennes et celles de mon mari.
— C’est tout ?
— Celles de mes filles. Et de mon gendre.
— Cathy Hobson et… Peter, c’est ça ?
— Oui. Et aussi mon autre fille, Marissa.
Elles entrent.
— Je m’excuse de vous déranger, reprend Sandra avec un sourire de sympathie. Je sais combien ça doit être dur pour vous. Mais j’ai besoin d’éclaircir quelques points avant de clore le dossier de votre époux.
— Je croyais qu’il était déjà clos ? s’étonne Bunny.
— Presque. Seulement, le médecin légiste n’était pas sûr à cent pour cent des causes de la mort. Il a noté qu’elle était probablement dû à un anévrisme.
— C’est ce qu’on m’a dit, en effet.
— Votre mari avait-il des problèmes de santé ?
— Rod ? Oh ! rien de sérieux. Un peu d’arthrite à une main. De temps à autre, il avait un peu mal dans la jambe gauche. Ah ! il avait fait un petit infarctus il y a trois ans. Il suivait un traitement depuis lors.
C’est probablement sans importance, mais…
— Avez-vous conservé les cachets ?
— Je pense qu’ils sont toujours dans l’armoire à pharmacie, au premier.
— Ça ne vous ennuie pas de me les montrer ?
Elles montent ensemble à la salle de bains. Dans l’armoire à pharmacie, elles trouvent du Tylenol, un tube de dentifrice, de la Listerine, quelques doses de shampooing comme on en distribue dans les hôtels et deux flacons de comprimés préparés par Shoppers Drug Mart.
— Lesquels sont pour le cœur ? demande Sandra en désignant ces derniers.
— Les deux. Il prenait ceux-ci depuis son attaque et les autres, depuis déjà quelques semaines.
Sandra prend les flacons. Les deux portent des étiquettes imprimées autocollantes. L’une annonce de la Cardizone-D (un médicament pour le cœur, sans doute possible), l’autre du Nardyl. Tous deux ont été prescrits par un certain Dr H. Miller. Le Nardyl porte une seconde étiquette, celle-ci orange fluo, sur laquelle on peut lire : « Attention ! Nombreuses contre-indications alimentaires. »
— Qu’est-ce que c’est que cette histoire de contre-indications ? demande Sandra.
— Oh ! Il y avait plein de choses qu’il n’avait pas le droit de manger. Nous y faisions très attention.
— Pourtant, le médecin légiste m’a dit qu’il avait mangé des plats préparés le soir de sa mort ?
— C’est exact. Il se faisait livrer tous les mercredis soir, pendant que j’assistais à mon cours de français. Mais il prenait toujours la même chose et jusque-là, il n’y avait jamais eu de problème.
— Avez-vous une idée de ce qu’il avait commandé ?
— Du rôti de bœuf, je suppose.
— Vous avez gardé l’emballage ?
— Je l’ai jeté. Mais il est probablement toujours dans notre Boîte bleue. La collecte n’a pas encore eu lieu.
— Vous permettez que je jette un coup d’œil ? J’aimerais aussi emporter ces comprimés.
— Je vous en prie.
Sandra glisse les flacons de comprimés dans la poche de sa veste avant de suivre Bunny au rez-de-chaussée. La trémie destinée à recueillir les déchets recyclables se trouve à l’intérieur d’une panière en osier. Sandra y farfouille et finit par exhumer un bout de papier indiquant le détail de la commande de Rod à Food Food.
— Je peux garder ça aussi ?
Comme Bunny acquiesce, Sandra se redresse et fourre le papier dans sa poche.
— Je vous prie d’excuser le dérangement, dit-elle.
— Allez-vous enfin me dire ce que vous avez derrière la tête, inspecteur ? demande Bunny.
— Mais… rien du tout, Mrs Churchill. Une simple routine, comme je vous l’ai dit.
34
Peter a dû se rendre au ministère de la Santé, à Ottawa. La réunion a été de courte durée – en fait, une téléconférence aurait suffi mais Mme le ministre se plaît à exercer son pouvoir sur les gens en les convoquant de temps à autre dans la capitale.
Durant ces derniers mois, Hobson Monitoring n’a pas uniquement travaillé sur l’onde vitale. La réunion concernait le projet secret Indigo : un capteur capable de distinguer un fumeur d’une victime du tabagisme passif. Ainsi, le premier serait exclu du bénéfice de la Sécurité sociale en cas de maladie provoquée par le tabac.
Quoi qu’il en soit, Peter se retrouve libre plus tôt que prévu, avec presque une journée à passer à Ottawa.
Ottawa est une ville de bureaucrates, tout juste bonne à produire de la paperasse. En même temps, elle se doit d’être une vitrine à l’intention des visiteurs de marque auxquels elle offre plusieurs musées de valeur, un grand choix de boutiques, un canal gelé en hiver (ce qui permet aux fonctionnaires de se rendre au travail en patins) ainsi qu’une relève de la garde en grande pompe sur la Colline parlementaire. Mais Peter est déjà plus que las de tout ça.
Il demande à la réceptionniste s’il peut téléphoner. Elle le dirige alors vers un bureau inoccupé (ceux-ci ont tendance à se multiplier, le gouvernement faisant de plus en plus appel à des indépendants), équipé d’un vieux poste audio. Il ne manquerait plus qu’on gaspille les deniers publics à installer des visiophones dans des bureaux vides ! Peter connaît par cœur le numéro d’Air Canada. Mais au lieu d’appeler pour changer sa réservation, comme il en avait l’intention, il compose le 4-1-1.
— Vous êtes en ligne avec le service des renseignements, fait une voix en anglais puis en français. Vous demandez un numéro dans quelle ville ?
— Ottawa.
Les visiophones, eux, permettent l’accès direct aux listes d’abonnés. Toutefois, les usagers qui le souhaitent ont la possibilité d’appeler gratuitement le service des renseignements où ils ont le plus souvent affaire à une opératrice électronique. Peter n’a pas eu cette chance, à en juger par le débit traînant et le ton dégoûté de son interlocutrice.
— Je vous écoute.
— Avez-vous une Rebecca Keaton sur vos listes ?
— Rien trouvé à ce nom.
Bah ! Tant pis.
— Je vous rem…
Eh ! une seconde… Il y a des années de ça, elle a été mariée à un certain… Comment s’appelait ce connard ? Hunnicut ? Non…
— Cunningham… Essayez Rebecca Cunningham, je vous prie.
— J’ai un R. L. Cunningham.
Rebecca Louise.
— Oui, ce doit être elle.
Une voix guillerette – enregistrée, celle-ci – lui indique alors le numéro, ajoutant :