— Dans ta ver… Oh !
— Tu m’as compris.
— Rendez-vous à Mirror Image, dit Sarkar avant de raccrocher.
Peter habite plus près du siège de Mirror Image que Sarkar. Comme en plus il avait une longueur d’avance, il doit patienter une bonne demi-heure sur le parking vide.
Enfin, la Toyota de Sarkar se gare près de sa Mercedes. Peter l’attendait dehors, adossé à une portière.
— Les Leaves ont gagné, annonce Sarkar. Je l’ai entendu à la radio en venant.
Peter opine, comprenant le besoin qu’a son ami de se raccrocher à la réalité.
— Comme ça, tu crois que… Tu crois qu’un des clones… commence Sarkar, redoutant d’exprimer tout haut sa pensée.
— Je crains que oui.
Tout en parlant, ils ont atteint les portes vitrées de Mirror Image. Sarkar présente son pouce au scanner de la serrure électronique.
— On a établi que quelqu’un s’est servi du nom d’un type que j’ai connu à la fac pour consulter le dossier médical de mon beau-père.
Ils empruntent un couloir.
— Comment avait-il eu son mot de passe ?
— À l’université, chacun se crée une adresse en juxtaposant les initiales de ses nom et prénoms. Quant au mot de passe… Lors du premier cours, tout le monde utilise son patronyme à l’envers, pour parer au plus pressé. On te conseille d’en changer par la suite, mais tu as toujours des idiots qui oublient de le faire. Si un de mes clones a réellement cherché à s’introduire dans une base de données, il est probable qu’il a essayé les noms de tous les étudiants en médecine que j’ai connus à l’époque, histoire de vérifier si l’un d’eux n’avait pas conservé son ancien mot de passe.
Arrivé à la porte du labo, Sarkar présente son pouce à un second scanner. La porte coulisse sans bruit.
— Il ne nous reste plus qu’à débrancher les clones, remarque-t-il. Qu’est-ce qu’il y a ? ajoute-t-il en voyant l’expression défaite de Peter.
— Je ne suis pas d’accord. D’abord, il est probable qu’il n’y a qu’un coupable. Pourquoi les autres devraient-ils payer pour lui ?
— On n’a pas le temps de jouer les détectives. Il est urgent de tout arrêter avant que l’assassin ne frappe à nouveau.
— Mais qui te dit qu’il en a l’intention ? Je sais pourquoi Hans est mort et, pour être franc, je ne l’en plains pas. Même le meurtre de mon beau-père, j’arrive à le comprendre. Mais je ne vois personne d’autre dont je puisse souhaiter la mort. Il y a bien des gens qui m’ont fait du mal, mais je ne leur en veux pas assez pour ça.
— Réveille-toi, Peter, reprend Sarkar en faisant mine de gifler son ami. Ce qui serait criminel, ce serait de les conserver.
— Tu as raison, bien sûr, acquiesce Peter d’un air sombre. Il faut agir sans attendre.
37
Sarkar fait craquer ses phalanges, tire un tabouret devant l’ordinateur principal puis attaque :
— Ouvrir session !
— Identification ?
— Sarkar.
— Bienvenue, Sarkar. Instruction ?
— Supprimer sous-répertoires Témoin, Esprit, Ambrotos.
— Confirmer ?
— Confirmé.
— Illégal : fichiers en lecture seule. Instruction ?
— Autoriser accès répertoires indiqués.
— Illégal, protection mot de passe. Instruction ?
— Abu Yusuf.
— Incorrect. Instruction ?
— C’est pourtant le seul que j’utilise, dit Sarkar en se tournant vers Peter.
— Essaie encore.
— Confirmé.
— Incorrect. Instruction ?
— Utilisateur ? interroge Sarkar.
— Hobson, Peter G. Instruction ?
Le cœur de Peter se met à battre à coups redoublés.
— Merde !
— Afficher Session Hobson, Peter G., demande Sarkar.
Une liste de dates et d’heures apparaît sur l’écran.
— Tu as vu ? s’exclame Sarkar. Point neuf-neuf-neuf : c’est le mode Aide. Les connexions ont eu lieu à l’intérieur même du système.
— Bordel ! gronde Peter en se penchant vers le micro. Ouvrir session !
— Identification ?
— Fobson.
— Bienvenue, Peter. Fermer précédentes sessions ?
— Localisations ?
— Extensions « .001 » et « .999 ».
— Fermer extension « .999 ».
— Illégal.
— Nom de Dieu ! Se peut-il que l’extension .001 l’emporte sur celle-ci ? demande Peter à Sarkar.
— Non. La session la plus récente est prioritaire.
— O.K. ! fait Peter en se frottant les mains. Administrateur, Inhibition, Verrouillage.
— Mot de passe ?
— Mugato.
— Incorrect. Instruction ?
— Sybok.
— Incorrect. Instruction ?
— Merde ! Je n’en ai pas d’autres.
Sarkar pousse un profond soupir.
— Ils n’ont pas l’intention de se laisser effacer.
— Et si on mettait le système off-line ?
Sarkar s’approche du micro.
— Éteindre !
— Travaux en cours, confirmer ?
— Confirmé.
— Mot de passe ?
— Abou…
Le voyant du micro s’éteint brusquement.
— Ils ont court-circuité la saisie vocale ! s’écrie Sarkar en abattant le poing sur la console.
— Seigneur !
— C’est idiot, bougonne Sarkar en s’emparant du téléphone. Il reste la solution de tout débrancher.
— Service de maintenance, fait une voix de femme au bout du fil.
— Ici le Dr Muhammed. Je sais qu’il est tard, mais on a, hum… un petit problème. Il faudrait que vous mettiez notre équipement hors tension.
— Que je coupe le courant ?
— C’est ça.
— D’accord. C’est l’affaire de quelques minutes. Mais n’oubliez pas que le matériel informatique continuera de fonctionner sur batteries.
— Pendant combien de temps ?
— Entre six à sept minutes, soit le temps moyen d’une panne de secteur.
— Y a-t-il moyen de déconnecter les batteries ?
— Bien sûr. Seulement, je ne peux pas le faire d’ici. Pour le moment, je suis seule à mon poste. Si vous le souhaitez, je peux vous envoyer quelqu’un demain.
— C’est urgent. Vous ne pourriez pas monter et nous faire voir la manière de procéder ?
— D’accord. Vous voulez que je coupe le secteur avant ?
— Non. On attendra la mise hors batteries. Mieux vaut tout faire en une seule fois, ajoute-t-il en couvrant le micro, pour que les clones n’aient pas le temps de réagir.
Peter acquiesce en silence.
— Je vous rejoins d’ici quelques minutes, dit la femme avant de raccrocher.
— Que comptes-tu faire quand le secteur sera coupé ? demande Peter à Sarkar.
Celui-ci s’est déjà mis à quatre pattes pour dévisser un panneau sous l’ordinateur.
— Passer les lecteurs optiques au banc d’essai. Si nécessaire, j’éliminerai les données à l’aide d’un laser, ou…
Le téléphone sonne.
— Tu peux décrocher ? dit Sarkar, occupé avec un écrou récalcitrant.
L’écran du visiophone signale un appel en audio. Peter décroche le combiné.
— Oui ?
— Bon-jour… fait une voix de synthèse.
Peter sent la colère le gagner. Il a horreur des sollicitations téléphoniques par ordinateur. Il va raccrocher quand la voix ajoute :
— … Pe-ter.
Arrêtant son geste, il rapproche le combiné de son oreille.
— Qui est à l’appareil ?
— C’est-toi, répond la même voix au débit mécanique et monotone.