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Mais vers 3 heures, Peter s’éveille, le corps baigné de sueur. Il a de nouveau fait le même rêve… Ce même cauchemar qui le poursuit depuis seize ans.

Il est étendu sur une table d’opération. On le croit mort, mais il n’en est rien. Des scalpels, des scies tranchent dans sa chair, dans ses os ; on lui arrache ses organes…

Tirée du sommeil par son brusque sursaut, Cathy se glisse hors du lit, nue, et lui apporte un verre d’eau. Puis elle s’assoit près de lui et le serre dans ses bras, comme si souvent auparavant, jusqu’à ce qu’il se soit calmé.

3

Peter avait vu l’annonce dans des magazines et sur le Net : « Vivez éternellement ! La science moderne peut prévenir l’usure du corps ! » Il croyait à un canular, jusqu’à cet article dans Biotechnology Today : une société californienne offrait l’immortalité contre vingt millions de dollars. Sans trop y croire, Peter n’en a pas moins été fasciné par la prouesse technologique que cela impliquait. À quarante-deux ans, son seul motif de tristesse est de penser que Cathy et lui n’ont plus que quelques décennies à vivre ensemble.

Depuis, la firme en question – Life Unlimited – a multiplié les démonstrations à travers le continent. En bonne logique, sa tournée finit par l’amener à Toronto, dans les salons de l’hôtel Royal York.

La circulation en centre-ville étant devenue impossible, Peter et Cathy prennent le métro jusqu’à Union Station d’où ils accèdent directement à l’hôtel. Une trentaine de personnes ont déjà pris place dans le luxueux salon Ontario, parmi lesquelles…

— Oh, non ! souffle Cathy.

Levant les yeux, Peter voit Colin Godoyo s’avancer vers eux. Colin est le mari de Naomi, une amie de Cathy, ainsi que le vice-président de la Toronto Dominion Bank. Si Peter apprécie Naomi, il n’a jamais pu blairer cette façon qu’a Colin d’étaler sa fortune.

— Pete ! s’exclame Colin, si fort que tous les regards convergent aussitôt vers eux.

Peter serre sa grosse paluche à contrecœur.

— Et la belle Catherine, ajoute Colin en tendant sa joue qu’elle baise du bout des lèvres. Quelle joie de vous voir tous deux !

— Bonsoir, Colin, dit Peter. Tu es tenté par la vie éternelle ? demande-t-il en désignant le démonstrateur qui vient de prendre place sur l’estrade au bout de la salle.

— C’est fascinant, non ? Et vous deux ? Votre couple modèle ne peut se résoudre à ce que la mort les sépare ?

— Ma curiosité est d’abord professionnelle, rétorque Peter, néanmoins troublé par la question de Colin.

— Ben voyons, insinue l’autre de ce ton suffisant qui agace tant Peter. Et toi, Cathy… Tu t’inquiètes du devenir de ta jolie silhouette ?

— Cathy est diplômée de chimie, répond Peter, volant au secours de sa femme. Notre intérêt est purement scientifique.

Au même moment, la voix du démonstrateur retentit dans le salon :

— Mesdames et messieurs, nous allons bientôt commencer. Veuillez regagner vos sièges, s’il vous plaît.

Peter repère deux chaises vides dans une rangée et se dirige vers elles, entraînant Cathy. Tout le monde prend place pour assister à cette réunion Tupperware d’un genre spécial.

— La nanotechnologie est la clé de l’immortalité, attaque le représentant de Life Unlimited (un Afro-Américain d’une quarantaine d’années, silhouette athlétique, cheveux poivre et sel, sourire Email Diamant. Son complet-veston coûte deux mille dollars au bas mot). Nos appareils ont été conçus pour prévenir toutes les manifestations du vieillissement.

L’image agrandie d’un robot microscopique se projette sur l’écran derrière lui.

— J’ai l’honneur de vous présenter une de nos « nounous », ainsi nommées parce qu’elles sont aux petits soins pour vous.

Il rit, invitant l’audience à en faire autant.

— Maintenant, comment ces nounous vous empêchent-elles de vieillir une fois disséminées dans votre corps ? C’est très simple. Dans une large mesure, le vieillissement est déterminé par des marqueurs temporels présents dans certains gènes. S’il est impossible de supprimer ces marqueurs – ils interviennent dans des processus trop complexes –, nos nounous les reprogramment à volonté. Également, elles comparent l’A.D.N. produit par votre corps à des images de votre A.D.N. d’origine et corrigent d’éventuelles modifications. En fait, elles agissent un peu comme un code autocorrecteur en informatique. Une autre cause de vieillissement est l’accumulation de déchets toxiques dans l’organisme. Les nounous se chargent d’éliminer ceux-ci. Concernant les maladies auto-immunes, telle la polyarthrite rhumatoïde, nos recherches sur le sida, en renforçant notre connaissance du système immunitaire, nous ont permis de parer à presque toute éventualité. Mais la pire manifestation de l’âge, c’est la perte de la mémoire et des facultés cognitives. Dans la plupart des cas, ces phénomènes découlent d’une simple carence en vitamine B6 ou B12, ou d’un manque d’acétylcholine. Là encore, les nounous régulent les taux. Et la maladie d’Alzheimer, me direz-vous ? Elle est génétiquement programmée pour survenir à un âge donné, quoiqu’elle puisse également être causée par un excès d’aluminium. Qu’à cela ne tienne : nos nounous retroussent leurs manches et font le ménage dans vos gènes. Si elles détectent le marqueur de la maladie d’Alzheimer dans votre A.D.N. – ce n’est pas obligatoire –, elles l’empêchent tout bonnement de se déclencher.

L’homme sourit et poursuit :

— Je sais ce que vous pensez : tout ça, c’est bien joli, mais si je reçois une balle dans la poitrine ? Eh bien, notre technologie vous permettra d’y survivre. Certes, la balle va stopper le cœur… Mais les nounous continueront de contrôler le taux d’oxygène du sang et, au besoin, elles pourvoiront à l’irrigation du cerveau en l’alimentant en globules rouges. Bien sûr, vous aurez besoin d’une transplantation cardiaque, mais votre cerveau sera maintenu en vie le temps nécessaire aux réparations. Maintenant, vous allez me dire : et si l’agresseur vise plutôt ma tête ?

Ici, il présente au public ce qui ressemble à une mince feuille de papier d’argent.

— Voilà une feuille de polyester-D5 ou Mylar.

Tenue par le coin, la feuille se balance doucement.

— Moins d’un millimètre d’épaisseur et pourtant… Regardez.

Il fixe la feuille à un cadre en métal de même dimension et brandit tout à coup un revolver muni d’un silencieux.

— Pas de panique… J’ai un permis spécial. Je connais l’aversion des Canadiens pour les armes à feu, ajoute-t-il en riant.

Il vise la feuille métallisée. Le revolver aboie, une flamme jaillit du canon, puis on entend comme un coup de tonnerre. On dirait qu’il est arrivé quelque chose au rideau derrière l’estrade. Le bonimenteur prend le cadre et montre la feuille de Mylar au public.

— Pas de trou, dit-il.

C’est vrai. La feuille ondule au souffle de la climatisation.

— Le polyester-D5 a été conçu pour l’armée. De nos jours, il sert à confectionner des gilets pare-balles pour les polices du monde entier. Comme vous pouvez le constater, il est très souple. Mais en cas de choc, il devient plus dur que l’acier. La balle que je viens de tirer a ricoché dessus.

Au même moment, son assistant grimpe sur l’estrade, serrant dans des pinces en métal quelque chose qu’il dépose dans un bol en verre.