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— Je ne peux quand même pas la bourrer de morphine, rouspète le médecin.

— Encore une piqûre, supplie Peter.

— Laisse-moi d’abord voir.

— Hannah, pour l’amour du ciel… Tu sais très bien qu’elle ne passera pas la nuit. Le faisceau de particules a détruit la quasi-totalité de ses tissus.

Hannah jette un coup d’œil aux moniteurs des différents appareils reliés à la malade puis se penche vers celle-ci.

— Voulez-vous que je leur dise de partir ? demande-t-elle. Vous avez l’air fatigué.

— Non, dit Sandra. Dois finir…

— C’est la dernière piqûre que je peux vous faire aujourd’hui ; vous avez déjà reçu plus que la dose recommandée.

— Allez-y, dit Sandra d’une voix faible quoique encore ferme.

Hannah lui injecte de la morphine ainsi qu’un produit destiné à augmenter la pression artérielle.

Aussitôt après, Sarkar se remet au travail.

— C’est fait, finit par annoncer Sarkar. Compte tenu des circonstances, je ne m’attendais pas à une telle qualité d’enregistrement.

Sandra exhale un long soupir rauque.

— Je l’aurai… ce… fumier, murmure-t-elle.

— J’en suis persuadé, dit Peter en lui prenant la main.

Sandra garde le silence durant de longues minutes puis elle demande, d’un ton que son extrême fatigue rend presque solennel :

— Vous êtes sûr… qu’il y a une vie… après la mort ?

— Oui, acquiesce Peter sans lâcher sa main.

— Ça ressemble… à quoi ?

Il voudrait lui dire de ne pas s’inquiéter, qu’elle va au-devant d’une éternité de félicité, mais…

— Je n’en ai pas la moindre idée, avoue-t-il.

Sandra hoche imperceptiblement la tête.

— Je le saurai… bientôt, dit-elle en refermant les yeux.

Le cœur battant, Peter scrute anxieusement le visage de la mourante, guettant le passage de l’onde vitale.

Mais ses yeux ne distinguent rien.

De retour à Mirror Image, Sarkar se dépêche de charger les enregistrements, puis les images de la collection Dalhousie sur son poste de travail. Enfin, le clone est prêt à être activé.

— Hello, Sandra. C’est Sarkar Muhammed qui vous parle.

Au bout d’un long silence, une voix d’homme – détail surprenant – sort du haut-parleur :

— Mon Dieu… C’est donc ça, la mort ?

— En quelque sorte, oui. Vous n’avez pas oublié que vous êtes un clone ?

— Oh ! soupire l’autre avec une pointe de dépit.

— Veuillez nous excuser, intervient Peter, debout derrière le tabouret de Sarkar, mais nous avons procédé à quelques ajustements pour faire de vous une entité désincarnée.

— Une âme ?

— C’est ça.

— De toute manière, c’est tout ce qui demeure de la vraie Sandra à l’heure qu’il est, remarque la voix. Mais pourquoi m’avoir modifiée ?

— D’abord, pour vous éviter d’évoluer comme mon propre clone témoin. Et puis, vous n’allez pas tarder à constater un accroissement de vos facultés intellectuelles. Vous serez capable de tenir des raisonnements de plus en plus complexes. De cette façon, il vous sera plus facile de coincer l’assassin.

— Vous êtes prête ? demande Sarkar.

— Oui.

— Vous percevez votre environnement ?

— Très vaguement… Je me trouve dans une pièce vide.

— Un bloc de mémoire protégé, traduit Sarkar.

Il se penche vers le clavier, actionne quelques touches puis ajoute :

— À présent, vous êtes sur le Net.

— On dirait qu’une porte vient de s’ouvrir devant moi.

— Nous vous donnons accès à une version inactive du clone Témoin, lui précise Peter. Quand vous l’aurez étudiée à fond, vous saurez tout de votre adversaire – et de moi-même. Après ça, il ne vous restera plus qu’à le traquer sur le Net… et à trouver le moyen de le mettre hors d’état de nuire.

— Vous pouvez compter sur moi, affirme Sandra, catégorique.

46

Étendu sur le canapé de son salon, Peter médite sur l’immortalité et l’au-delà… Le choix de Hobson.

Il est minuit passé et l’écran de la télé – un « stroboscope à ondes hertziennes » – est l’unique source de lumière dans la pièce. Une plage de pub. L’Homme de fer. CNN. Encore de la pub. Une version colorisée du Dick Van Dyke Show. Les cours de la Bourse…

Peter songe à Ambrotos. Avoir mille ans, cent mille ans ou plus devant soi pour accomplir ses rêves… Comme dirait l’autre, on n’arrête pas le progrès.

Peter continue de zapper.

La trahison de Cathy a eu un impact terrible sur lui. Cela faisait vingt-cinq ans qu’il n’avait pas pleuré.

Mais pour son double immortel, ce n’était qu’un incident de parcours.

Peter pousse un profond soupir.

Il aime sa femme, malgré le mal qu’elle lui a fait.

La douleur était tout simplement… exquise.

Ambrotos, lui, n’éprouve rien d’aussi intense.

À la réflexion, l’idée d’une éternité d’indifférence ne le tente pas. Pour résister à un tel choc, il faut n’être qu’à demi vivant.

C’est la qualité, pas la quantité qui prime.

Ce pauvre Hans Larsen n’avait rien compris.

Sur la chaîne francophone CBC, une femme dénudée… Peter arrête de zapper.

Est-ce qu’un immortel sait encore admirer une belle femme ? Apprécier un bon repas ? Ressentir la douleur de la trahison, le bonheur d’un amour renaissant ? Peut-être… Mais avec moins de force et de vérité.

Peter éteint la télé.

Cathy lui a déjà dit qu’elle ne voulait pas de l’immortalité ; il sait à présent que lui non plus. D’autant qu’il existe autre chose après cette vie, un mystère qu’il lui tarde d’aborder – c’est-à-dire, quand son heure sera venue.

Il sait maintenant que la vie n’a de sens qu’avec un début et une fin. Il sait également en quoi réside l’humanité, du moins en ce qui le concerne.

Sa décision est prise.

L’esprit d’Alexandria Philo sillonne le Net. Témoin, le clone de Peter Hobson, occupe plusieurs giga-octets de données. Malgré toutes les précautions qu’il peut prendre, il lui est difficile de passer inaperçu. Sa navigation l’a déjà conduite aux États-Unis, à l’intérieur des ordinateurs de l’armée, puis sur le réseau de la finance internationale et de là, de nouveau au Canada. Elle a ensuite traversé l’océan vers l’Angleterre, la France, l’Allemagne…

Aux dernières nouvelles, le meurtrier a trouvé refuge dans un des gros ordinateurs de la Bundespost.

Avant de l’y rejoindre, Sandra a fait un détour par l’ordinateur central des Stadtwerke de Hanovre, y introduisant un programme qui privera la ville d’électricité à une heure donnée.

Pour atteindre son objectif, elle a dû « s’inclure » dans la dernière sauvegarde. En conséquence, elle sera détruite – du moins dans sa version actuelle – en même temps que la RAM qui la contient. Son seul regret est qu’une fois restaurée, elle n’aura aucun souvenir de son triomphe. Mais tôt ou tard, d’autres criminels virtuels devront être traduits en justice et alors, ils auront affaire à elle.

Compte tenu de la largeur de bande des câbles téléphoniques, son transfert vers l’ordinateur central de la Bundespost lui prend un temps précieux. Un survol du répertoire lui permet de s’assurer que Témoin est encore là.