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Le Paon se plaignant à Junon

Le paon se plaignait à Junon. «Déesse, disait-il, ce n’est pas sans raison Que je me plains, que je murmure: Le chant dont vous m’avez fait don Déplaît à toute la nature; Au lieu qu’un rossignol, chétive créature, Forme ses sons aussi doux qu’éclatants, Est lui seul l’honneur du printemps.» Junon répondit en colère: «Oiseau jaloux, et qui devrais te taire, Est-ce à toi d’envier la voix du rossignol, Toi que l’on voit porter à l’entour de ton col Un arc en ciel nué de cent sortes de soies, Qui te panades, qui déploies Une si riche queue, et qui semble à nos yeux La boutique d’un lapidaire? Est-il quelque oiseau sous les cieux Plus que toi capable de plaire? Tout animal n’a pas toutes propriétés. Nous vous avons donné diverses qualités: Les uns ont la grandeur et la force en partage; Le faucon est léger, l’aigle plein de courage; Le corbeau sert pour le présage; La corneille avertit des malheurs à venir; Tous sont contents de leur ramage. Cesse donc de te plaindre; ou bien, pour te punir, Je t’ôterai ton plumage.»

La Chatte métamorphosée en Femme

Un homme chérissait éperdument sa chatte; Il la trouvait mignonne, et belle, et délicate, Qui miaulait d’un ton fort doux: Il était plus ou que les fous. Cet homme donc, par prières, par larmes, Par sortilèges et par charmes, Fait tant qu’il obtient du destin Que sa chatte, en un beau matin, Devient femme; et, le matin même, Maître sot en fait sa moitié. Le voilà fou d’amour extrême, De fou qu’il était d’amitié. Jamais la dame la plus belle Ne charma tant son favori Que fait cette épouse nouvelle Son hypocondre de mari. Il n’y trouve plus rien de chatte. Un soir quelques souris qui rongeaient de la natte Troublèrent le repos des nouveaux mariés. Aussitôt la femme est sur pieds. Elle manqua son aventure. Souris de revenir, femme d’être en posture: Pour cette fois, elle accourut à point; Ce lui fut toujours une amorce, Tant le naturel a de force. Il se moque de tout, certain âge accompli. Le vase est imbibé, l’étoffe a pris son pli. En vain de son train ordinaire On le veut désaccoutumer: Quelque chose qu’on puisse faire, On ne saurait le réformer. Coups de fourche ni d’étrivières Ne lui font changer de manière; Et fussiez-vous embâtonnés, Jamais vous n’en serez les maîtres. Qu’on lui ferme la porte au nez, Il reviendra par les fenêtres.

Le Lion et l’Âne chassant

Le roi des animaux se mit un jour en tête De giboyer: il célébrait sa fête. Le gibier du lion, ce ne sont pas moineaux, Mais beaux et bons sangliers, daims et cerfs bons et beaux. Pour réussir dans cette affaire, Il se servit du ministère De l’âne à la voix de Stentor. L’âne à Messer lion fit office de cor. Le lion le posta, le couvrit de ramée, Lui commanda de braire, assuré qu’à ce son Les moins intimidés fuiraient de leur maison. Leur troupe n’était pas encore accoutumée A la tempête de sa voix; L’air en retentissait d’un bruit épouvantable: La frayeur saisissait les hôtes de ces bois, Tous fuyaient, tous tombaient au piège inévitable Où les attendait le lion. «N’ai-je pas bien servi dans cette occasion? Dit l’âne en se donnant tout l’honneur de la chasse. – Oui, reprit le lion, c’est bravement crié: Si je ne connaissais ta personne et ta race, J’en serais moi-même effrayé.» L’âne, s’il eût osé, se fut mis en colère, Encor qu’on le raillât avec juste raison; Car qui pourrait souffrir un âne fanfaron? Ce n’est pas là leur caractère.

Testament expliqué par Ésope

Si ce qu’on dit d’Ésope est vrai, C’était l’oracle de la Grèce: Lui seul avait plus de sagesse Que tout l’Aréopage. En voici pour essai Une histoire des plus gentilles Et qui pourra plaire au lecteur.
Un certain homme avait trois filles, Toutes trois de contraire humeur: Une buveuse, une coquette, La troisième, avare parfaite. Cet homme, par son testament, Selon les lois municipales, Leur laissa tout son bien par portions égales, Et donnant à leur mère tant, Payable quand chacune d’elles Ne posséderait plus sa contingente part. Le père mort, les trois femelles Courent au testament, sans attendre plus tard. On le lit, on tâche d’entendre La volonté du testateur; Mais en vain; car comment comprendre Qu’aussitôt que chacune sœur Ne possédera plus sa part héréditaire, Il lui faudra payer sa mère? Ce n’est pas un fort bon moyen Pour payer, que d’être sans bien. Que voulait donc dire le père? L’affaire est consultée, et tous les avocats, Après avoir tourné le cas En cent et cent mille manières, Y jettent leur bonnet, se confessent vaincus, Et conseillent aux héritières De partager le bien sans songer au surplus. «Quant à la somme de la veuve, Voici, leur dirent-ils, ce que le conseil treuve: Il faut que chaque sœur se charge par traité Du tiers, payable à volonté, Si mieux n’aime la mère en créer une rente, Dès le décès du mort courante.» La chose ainsi réglée, on composa trois lots: En l’un, les maisons de bouteille, Les buffets dressés sous la treille, La vaisselle d’argent, les cuvettes, les brocs, Les magasins de malvoisie, Les esclaves de bouche, et pour dire en deux mots, L’attirail de la goinfrerie; Dans un autre, celui de la coquetterie, La maison de la ville et les meubles exquis, Les eunuques et les coiffeuses, Et les brodeuses, Les joyaux, les robes de prix; Dans le troisième lot, les fermes, le ménage, Les troupeaux et le pâturage, Valets et bêtes de labeur. Ces lots faits, on jugea que le sort pourrait faire Que peut-être pas une sœur N’aurait ce qui lui pourrait plaire. Ainsi chacune prit son inclination, Le tout à l’estimation. Ce fut dans la ville d’Athènes Que cette rencontre arriva. Petits et grands, tout approuva Le partage et le choix: Ésope seul trouva Qu’après bien du temps et des peines Les gens avaient pris justement Le contre-pied du testament. «Si le défunt vivait, disait-il, que l’Attique Aurait de reproches de lui! Comment? Ce peuple qui se pique D’être le plus subtil des peuples d’aujourd’hui, A si mal entendu la volonté suprême D’un testateur?» Ayant ainsi parlé, Il fait le partage lui-même, Et donne à chaque sœur un lot contre son gré; Rien qui pût être convenable, Partant rien aux sœurs d’agréable: A la coquette, l’attirail Qui suit les personnes buveuses; La biberonne eut le bétail; La ménagère eut les coiffeuses. Tel fut l’avis du Phrygien, Alléguant qu’il n’était moyen Plus sûr pour obliger les filles A se défaire de leur bien; Qu’elles se marieraient dans les bonnes familles, Quand on leur verrait de l’argent; Paieraient leur mère tout comptant; Ne posséderaient plus les effets de leur père: Ce que disait le testament. Le peuple s’étonna comme il se pouvait faire Qu’un homme seul eût plus de sens Qu’une multitude de gens.