Выбрать главу

La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf

Une grenouille vit un bœuf Qui lui sembla de belle taille. Elle, qui n’était pas grosse en tout comme un œuf, Envieuse, s’étend, et s’enfle et se travaille, Pour égaler l’animal en grosseur, Disant: «Regardez bien, ma sœur; Est-ce assez? dites-moi: n’y suis-je point encore? Nenni. – M’y voici donc? – Point du tout. – M’y voilà? – Vous n’en approchez point.» La chétive pécore S’enfla si bien qu’elle creva.
Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages. Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs, Tout prince a des ambassadeurs, Tout marquis veut avoir des pages.

Les deux mulets

Deux mulets cheminaient, l’un d’avoine chargé, L’autre portant l’argent de la gabelle. Celui-ci, glorieux d’une charge si belle, N’eût voulu pour beaucoup en être soulagé. Il marchait d’un pas relevé, Et faisait sonner sa sonnette: Quand, l’ennemi se présentant, Comme il en voulait à l’argent, Sur le mulet du fisc une troupe se jette, Le saisit au frein et l’arrête. Le mulet, en se défendant, Se sent percé de coups; il gémit, il soupire. «Est-ce donc là, dit-il, ce qu’on m’avait promis? Ce mulet qui me suit du danger se retire; Et moi j’y tombe et je péris! – Ami, lui dit son camarade, Il n’est pas toujours bon d’avoir un haut emploi: Si tu n’avais servi qu’un meunier, comme moi, Tu ne serais pas si malade.»

Le Loup et le Chien

Un loup n’avait que les os et la peau, Tant les chiens faisaient bonne garde. Ce loup rencontre un dogue aussi puissant que beau, Gras, poli, qui s’était fourvoyé par mégarde. L’attaquer, le mettre en quartiers, Sire loup l’eût fait volontiers; Mais il fallait livrer bataille, Et le mâtin était de taille A se défendre hardiment. Le loup donc, l’aborde humblement, Entre en propos, et lui fait compliment Sur son embonpoint, qu’il admire. «Il ne tiendra qu’à vous, beau sire, D’être aussi gras que moi, lui répartit le chien. Quittez les bois, vous ferez bien: Vos pareils y sont misérables, Cancres, hères, et pauvres diables, Dont la condition est de mourir de faim. Car quoi? rien d’assuré; point de franche lippée; Tout à la pointe de l’épée. Suivez moi, vous aurez un bien meilleur destin.» Le loup reprit: «Que me faudra-t-il faire? – Presque rien, dit le chien: donner la chasse aux gens Portant bâtons et mendiants; Flatter ceux du logis, à son maître complaire: Moyennant quoi votre salaire Sera force reliefs de toutes les façons: Os de poulets, os de pigeons, Sans parler de mainte caresse.» Le loup déjà se forge une félicité Qui le fait pleurer de tendresse Chemin faisant, il vit le cou du chien pelé. «Qu’est-ce là? lui dit-il. – Rien. – Quoi? rien? – Peu de chose. – Mais encor? – Le collier dont je suis attaché De ce que vous voyez est peut-être la cause. – Attaché? dit le loup: vous ne courez donc pas Où vous voulez? – Pas toujours; mais qu’importe? – Il importe si bien, que de tous vos repas Je ne veux en aucune sorte, Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor.» Cela dit, maître loup s’enfuit, et court encor.

La Génisse, la Chèvre et la Brebis en société avec le Lion

La génisse, la chèvre et leur sœur la brebis, Avec un fier lion, seigneur du voisinage, Firent société, dit-on, au temps jadis, Et mirent en commun le gain et le dommage. Dans les lacs de la chèvre un cerf se trouva pris. Vers ses associés aussitôt elle envoie. Eux venus, le lion par ses ongles compta, Et dit: «Nous sommes quatre à partager la proie». Puis, en autant de parts le cerf il dépeça; Prit pour lui la première en qualité de sire: «Elle doit être à moi, dit-il, et la raison, C’est que je m’appelle lion: A cela l’on n’a rien à dire. La seconde, par droit, me doit échoir encor: Ce droit, vous le savez, c’est le droit du plus fort. Comme le plus vaillant, je prétends la troisième. Si quelqu’une de vous touche à la quatrième, Je l’étranglerai tout d’abord.»

La Besace

Jupiter dit un jour: «Que tout ce qui respire S’en vienne comparaître aux pieds de ma grandeur: Si dans son composé quelqu’un trouve à redire, Il peut le déclarer sans peur; Je mettrai remède à la chose. Venez, singe; parlez le premier, et pour cause. Voyez ces animaux, faites comparaison De leurs beautés avec les vôtres. Êtes-vous satisfait? – Moi? dit-il; pourquoi non? N’ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres? Mon portrait jusqu’ici ne m’a rien reproché; Mais pour mon frère l’ours, on ne l’a qu’ébauché: Jamais, s’il me veut croire, il ne se fera peindre.» L’ours venant là-dessus, on crut qu’il s’allait plaindre. Tant s’en faut: de sa forme il se loua très fort; Glosa sur l’éléphant, dit qu’on pourrait encor Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles; Que c’était une masse informe et sans beauté. L’éléphant étant écouté, Tout sage qu’il était, dit des choses pareilles: Il jugea qu’à son appétit Dame baleine était trop grosse. Dame fourmi trouva le ciron trop petit, Se croyant, pour elle, un colosse. Jupin les renvoya s’étant censurés tous, Du reste contents d’eux. Mais parmi les plus fous Notre espèce excella; car tout ce que nous sommes, Lynx envers nos pareils, et taupes envers nous, Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes: On se voit d’un autre œil qu’on ne voit son prochain. Le fabricateur souverain Nous créa besaciers tous de même manière, Tant ceux du temps passé que du temps d’aujourd’hui: Il fit pour nos défauts la poche de derrière, Et celle de devant pour les défauts d’autrui.