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Plût à Dieu qu’on réglât ainsi tous les procès: Que des turcs en cela l’on suivît la méthode! Le simple sens commun nous tiendrait lieu de code: Il ne faudrait point tant de frais; Au lieu qu’on nous mange, on nous gruge, On nous mine par des longueurs; On fait tant, à la fin, que l’huître est pour le juge, Les écailles pour les plaideurs.

Le chêne et le roseau

Le chêne un jour dit au roseau: «Vous avez bien sujet d’accuser la nature; Un roitelet pour vous est un pesant fardeau; Le moindre vent qui d’aventure Fait rider la face de l’eau, Vous oblige à baisser la tête. Cependant que mon front, au Caucase pareil, Non content d’arrêter les rayons du soleil, Brave l’effort de la tempête. Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr. Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage Dont je couvre le voisinage, Vous n’auriez pas tant à souffrir: Je vous défendrai de l’orage; Mais vous naissez le plus souvent Sur les humides bords des royaumes du vent. La nature envers vous me semble bien injuste. – Votre compassion, lui répondit l’arbuste, Part d’un bon naturel; mais quittez ce souci: Les vents me sont moins qu’à vous redoutables; Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici Contre leurs coups épouvantables Résisté sans courber le dos; Mais attendons la fin.» Comme il disait ces mots, Du bout de l’horizon accourt avec furie Le plus terrible des enfants Que le nord eût porté jusque là dans ses flancs. L’arbre tient bon; le roseau plie. Le vent redouble ses efforts, Et fait si bien qu’il déracine Celui de qui la tête au ciel était voisine, Et dont les pieds touchaient à l’empire des morts.

Contre ceux qui ont le goût difficile

Quand j’aurais en naissant reçu de Calliope Les dons qu’à ses amants cette muse a promis, Je les consacrerais aux mensonges d’Ésope: Mais je ne crois pas si chéri du Parnasse Que de savoir orner toutes ces fictions. On peut donner du lustre à leurs inventions: On le peut, je l’essaie: un plus savant le fasse. Cependant jusqu’ici d’un langage nouveau J’ai fait parler le loup et répondre l’agneau; J’ai passé plus avant: les arbres et les plantes Sont devenus chez moi créatures parlantes. Qui ne prendrait ceci pour un enchantement? «Vraiment, me diront nos critiques, Vous parlez magnifiquement De cinq ou six contes d’enfant» Censeurs, en voulez-vous qui soient plus authentiques Et d’un style plus haut? En voici: «Les Troyens, «Après dix ans de guerre autour de leurs murailles, «Avaient lassé les Grecs, qui par mille moyens, «Par mille assauts, par cent batailles, «N’avaient pu mettre à bout cette fière cité, «Quand un cheval de bois, par Minerve inventé, «D’un rare et nouvel artifice, «Dans ses énormes flancs reçut le sage Ulysse, «Le vaillant Diomède, Ajax l’impétueux, «Que ce colosse monstrueux «Avec leurs escadrons devait porter dans Troie, «Livrant à leur fureur ses dieux mêmes en proie: «Stratagème inouï, qui des fabricateurs «Paya la constance et la peine.» «C’est assez, me dira quelqu’un de nos auteurs: La période est longue, il faut reprendre haleine; Et puis votre cheval de bois, Vos héros avec leurs phalanges, Ce sont des contes plus étranges Qu’un renard qui cajole un corbeau sur sa voix: De plus il vous sied mal d’écrire en si haut style.» Eh bien! baissons d’un ton. «La jalouse Amaryle «Songeait à son Alcippe et croyait de ses soins «N’avoir que ses moutons et son chien pour témoins. «Tircis, qui l’aperçut, se glisse entre des saules; «Il entend la bergère adressant ces paroles «Au doux zéphire, et le priant «De les porter à son amant.» «Je vous arrête à cette rime, Dira mon censeur à l’instant; Je ne la tiens pas légitime. Ni d’une assez grande vertu. Remettez, pour le mieux, ces deux vers à la fonte.» «Maudit censeur! te tairas-tu? Ne saurai-je achever mon conte? C’est un dessein très dangereux Que d’entreprendre de te plaire.»
Les délicats sont malheureux: Rien ne saurait les satisfaire.

Conseil tenu par les rats

Un chat, nommé Rodilardus, Faisait des rats telle déconfiture Que l’on n’en voyait presque plus, Tant il en avait mis dedans la sépulture. Le peu qu’il en restait n’osant quitter son trou Ne trouvait à manger que le quart de son soûl, Et Rodilard passait, chez la gent misérable, Non pour un chat, mais pour un diable. Or, un jour qu’au haut et au loin Le galand alla chercher femme, Pendant tout le sabbat qu’il fit avec sa dame, Le demeurant des rats tint chapitre en un coin Sur la nécessité présente. Dès l’abord, leur doyen, personne fort prudente, Opina qu’il fallait, et plus tôt que plus tard, Attacher un grelot au cou de Rodilard; Qu’ainsi, quand il irait en guerre, De sa marche avertis, ils s’enfuiraient en terre; Qu’ils n’y savaient que ce moyen. Chacun fut de l’avis de Monsieur le Doyen: Chose ne leur parut à tous plus salutaire. La difficulté fut d’attacher le grelot. L’un dit: «Je n’y vas point, je ne suis pas si sot,» L’autre: «Je ne saurais.» Si bien que sans rien faire On se quitta. J’ai maints chapitres vus, Qui pour néant se sont ainsi tenus; Chapitres, non de rats, mais chapitres de moines, Voire chapitres de chanoines.