De l’Enfant et de l’Avare.
Un Enfant pleurait auprès d’un puits, et donnait des marques d’une grande douleur. Un Avare qui passait par-là, s’approcha de lui, et lui demanda le sujet de ses larmes, et pourquoi il s’affligeait de la sorte. – Que je suis malheureux, répondit cet Enfant, en pleurant toujours de plus en plus! J’avais une cruche d’or, qui vient maintenant de tomber dans le puits, parce que la corde s’est rompue. – L’Avare aveuglé par sa convoitise, ne s’avisa point de demander à l’Enfant d’où il avait apporté cette cruche d’or, ni comment elle lui était tombée entre les mains. Sans balancer davantage, il quitte ses habits, et descend dans le puits, où il ne trouva point la cruche d’or dont l’Enfant lui avait parlé; mais il fut bien plus surpris, lorsque, étant sorti du puits, il ne trouva point ses habits que l’Enfant avait emportés, et qu’il avait cachés dans la forêt voisine, où il s’était sauvé.
D’un Lion et d’une Chèvre.
Un Lion ayant aperçu une Chèvre qui broutait sur le haut d’un rocher: – Que ne descends-tu dans la plaine, lui dit-il, où tu trouveras en abondance le thym et les saules verts que tu mangeras à ta discrétion? Quitte ces lieux secs et stériles, et viens en pleine campagne. – Je te suis fort obligée, lui répondit la Chèvre, du bon avis que tu me donnes; mais ton intention me paraît suspecte, et je ne crois pas que tu me parles sincèrement. -
De la Corneille et de la Cruche.
La Corneille ayant soif, trouva par hasard une Cruche où il y avait un peu d’eau; mais comme la Cruche était trop profonde, elle n’y pouvait atteindre pour se désaltérer. Elle essaya d’abord de rompre la Cruche avec son bec; mais n’en pouvant venir à bout, elle s’avisa d’y jeter plusieurs petits cailloux, qui firent monter l’eau jusqu’au bord de la Cruche. Alors elle but tout à son aise.
Du Laboureur et du Taureau.
Un Laboureur avait dans son étable un Taureau indocile, qui ne pouvait souffrir le joug, ni être lié; mais pour l’empêcher de frapper de ses cornes, comme il avait accoutumé de faire, il s’avisa de les scier fort près du crâne, et l’attacha à une charrue, dont il tenait le manche. Le Taureau ne pouvant plus frapper de ses cornes, pour se venger en quelque façon de son Maître qui l’avait mis sous le joug, lui remplissait la bouche et les yeux de poussière, qu’il faisait voler avec sa tête et ses pieds.
Du Satyre et du Paysan.
Un Paysan ayant rencontré dans une forêt un Satyre demi-mort de froid, le conduisit dans sa maison. Le Satyre voyant que ce Paysan soufflait dans ses mains, lui en demanda la raison. – C’est pour les réchauffer, lui répondit-il. -
Peu de temps après, s’étant mis à table, le Satyre vit que le Paysan soufflait sur son potage. Il lui demanda, tout étonné, pourquoi il le faisait. – C’est pour le refroidir, répliqua le Paysan. -
Alors le Satyre se levant de table, sortit promptement de la maison. – Je ne veux point de commerce, dit-il au Paysan, avec un homme qui souffle de la même bouche le chaud et le froid. -
Du Taureau et du Rat.
Un Rat alla mordre un Taureau couché sur sa litière, et lui déchirer la cuisse à belles dents. Le Taureau se leva tout en furie, et commença à branler la tête, à menacer de ses cornes, et à jeter des mugissements épouvantables, cherchant partout l’ennemi qui avait osé l’attaquer; mais le Rat allongeant la tête hors du trou où il s’était réfugié, et où il se trouvait en assurance, se moquait de la furie du Taureau. – De quoi te servent, lui dit-il, tes cornes menaçantes, contre un petit animal qui a eu la hardiesse de t’attaquer, et de te blesser, sans redouter ta colère? -
D’une Oie et de son Maître.
Un homme avait dans sa maison une Oie qui lui pondait chaque jour un oeuf de pur or. Cet homme se persuadant follement qu’il y avait dans le ventre de l’Oie une mine de ce précieux métal, la tua pour s’enrichir tout d’un coup. Mais ayant ouvert le ventre de son Oie, et n’y trouvant que ce que l’on trouve dans les Oies ordinaires, il commença à se désespérer et à jeter de hauts cris; de sorte qu’il perdit des richesses médiocres, voulant en amasser d’immenses et d’excessives.
Du Singe et de ses deux Petits.
Un Singe avait deux Petits jumeaux. Il en aimait un passionnément, et ne pouvait souffrir l’autre. Le favori était fort agile, dansait et sautait avec une grande légèreté, et faisait habilement toutes sortes de singeries. Mais un jour par malheur il se démit une jambe en sautant, et commença à jeter de hauts cris. Le père qui l’entendit, accourut incontinent, le prit entre ses bras, et le serra d’une si étrange force, qu’il l’étouffa à force de l’embrasser.
Du Renard et du Léopard.
Le Renard et le Léopard disputaient un jour ensemble de leurs talents et de leur beauté. Le Léopard vantait sa peau mouchetée et peinte de diverses couleurs. – J’avoue, lui dit le Renard, que ta peau est plus belle que la mienne; mais en récompense j’ai dans l’esprit la même beauté et les mêmes agréments que tu as sur la peau. -
De Vénus et d’une Chatte.
Un jeune homme avait un amour si violent pour une Chatte, qu’il pria très instamment la Déesse Vénus de la métamorphoser en femme. Vénus touchée de compassion pour ce jeune homme, transforma la Chatte en une belle fille d’une rare beauté. Ce jeune homme ne consultant que sa passion, conduisit sur-le-champ cette fille dans sa maison, pour se contenter. Ils ne furent pas plutôt dans le lit, que Vénus pour éprouver cette fille, et pour savoir si en changeant de figure elle avait aussi changé de tempérament, lâcha un rat dans sa chambre. Alors cette nouvelle épouse oubliant son amant et le lit nuptial, sauta hors du lit, et se mit à poursuivre le rat pour le manger. La Déesse irritée de sa légèreté, lui rendit sa première forme, et la fit redevenir Chatte.
D’un Malade et d’un Médecin.
Un Malade interrogé par son Médecin sur l’état de sa santé, et de quelle manière il avait passé la nuit, lui répondit qu’il avait extrêmement sué. – C’est un bon signe, lui répliqua le Médecin. – Il fit le lendemain les mêmes questions que le jour précédent au Malade, qui lui dit que le froid l’avait tellement saisi, qu’il en avait pensé mourir. – Ce pronostic est encore fort bon, lui repartit le Médecin. – Enfin le troisième jour le Médecin ayant demandé au Malade comment il se portait, et le Malade lui ayant répondu qu’il devenait hydropique. – Tant mieux, répliqua ce Charlatan, cette crise est une marque de santé, et vous serez bientôt tiré d’affaire. – Après que le Médecin se fut retiré, l’un des amis du Malade lui demanda en quel état il se trouvait. – Hélas! mon ami, lui répliqua-t-il, on dit que je me porte bien, et cependant je sens bien que je vais mourir. -