Ce nouveau Roi se promenant sur les bords de leurs marais, pour leur faire montre de son courage, en dévora autant qu’il en trouva à sa bienséance. Les Grenouilles alarmées de ce mauvais traitement, présentèrent une nouvelle plainte à Jupiter, qui ne voulut point entendre parler de cette affaire. Depuis ce temps-là elles ont toujours continué à se plaindre et à murmurer; car vers le soir, lorsque la Cigogne se retire, les Grenouilles sortent de leurs marais, en exprimant dans leur croassement une espèce de plainte; mais Jupiter est toujours demeuré inflexible, et n’a jamais voulu les affranchir de l’oppression où elles gémissent depuis tant d’années, en punition de ce qu’elles n’avaient pu souffrir un Roi pacifique.
Des Colombes et du Faucon leur Roi.
Les Colombes se voyant hors d’état de résister aux attaques et aux insultes du Milan, qui leur faisait la guerre à toute outrance, résolurent de se mettre sous la protection du Faucon, et de l’élire pour leur Souverain, afin de l’engager dans leurs intérêts, et de l’opposer au Milan. Mais elles se repentirent bientôt du choix qu’elles venaient de faire: car ce nouveau Roi les traitait comme un ennemi déclaré. Il les mettait en pièces et les dévorait, sans qu’elles pussent se délivrer de ses violences. Alors les Colombes, pleines de douleur et de désespoir, disaient qu’il leur eût été plus avantageux de souffrir la guerre et les fureurs du Milan, que la tyrannie du Faucon.
D’un Chien et d’un Voleur.
Un Voleur entra furtivement de nuit dans une maison pour la voler, et offrit un pain au Chien qui la gardait, voulant l’empêcher d’aboyer, en l’amusant à manger ce pain. Mais ce fidèle gardien le refusa, et lui dit: – Malheureux, je connais ton intention. Tu veux m’empêcher d’aboyer, pour voler avec plus de liberté le bien de mon Maître; mais je me garantirai de ta tromperie, et je n’accepterai point tes présents. – Alors le Chien se mit à aboyer avec tant de violence, que tous les domestiques de la maison se réveillèrent au bruit qu’il fit, et donnèrent la chasse au Voleur.
Du Loup et de la Truie.
La Truie étant prête de mettre bas ses Cochons, fut visitée par le Loup, qui lui offrit de la servir et de la soulager dans le travail où elle était, et d’avoir un soin tout particulier de sa portée. La Truie alarmée de la présence d’un ennemi si redoutable, lui répondit qu’elle le remerciait de ses offres, qu’elle n’avait nullement besoin de son ministère, et que le plus grand service qu’il pouvait lui rendre était de s’éloigner d’elle le plus promptement qu’il pourrait, et de la laisser en repos, elle et ses petits.
De l’accouchement d’une Montagne.
Il courut autrefois un bruit, qu’une Montagne devait enfanter. En effet elle poussait des cris épouvantables, qui semblaient menacer le monde de quelque grand prodige. Tout le Peuple étonné de ce bruit, se rendit en foule au pied de la Montagne, pour voir à quoi aboutirait tout ce fracas. On se préparait déjà à voir sortir un Monstre horrible des entrailles de la Montagne; mais après avoir longtemps attendu avec une grande impatience, on vit enfin sortir un Rat de son sein. Ce spectacle excita la risée de tous les assistants.
D’un vieux Chien et de son Maître.
Un Chasseur poursuivant un Cerf, encourageait son Chien à courir avec plus de vitesse; mais ce Chien appesanti par la vieillesse, n’avait plus la même légèreté qu’il avait eue autrefois. Son Maître, bien éloigné de le caresser, le chargeait de coups de bâton. Ce mauvais traitement obligea le Chien à se plaindre de son Maître, et à lui remontrer qu’il lui avait toujours rendu tous les services qu’il avait pu durant ses jeunes années, et que s’il lui en rendait moins alors, ce n’était pas qu’il manquât d’affection pour lui, mais parce que la vieillesse l’en empêchait. Le Chien lui représenta encore qu’il devait le traiter avec plus de douceur, afin qu’on crut dans le monde qu’il lui tenait compte de ses services passés, en un temps où il était hors d’état de le servir avec la même ardeur.
Le Bruit des Arbres battus d’un vent impétueux.
Le bruit des Arbres battus d’un vent impétueux épouvanta tellement les Lièvres, qu’ils se mirent tous à fuir avec vitesse, sans savoir où ils allaient dans leur fuite. Ils trouvèrent un Marais qui les empêcha de passer outre. Les Grenouilles saisies de crainte s’y précipitèrent incontinent pour se cacher. Au moment que la peur allait faire jeter les Lièvres dans l’Étang, l’un des plus vieux de la troupe les arrêta, en leur représentant qu’ils avaient pris l’alarme mal à propos, à cause du bruit du vent et des feuilles. – Nous ne sommes pas les seuls qui craignions, continua-t-il, puisque nous avons fait peur aux Grenouilles. -
D’un Chevreau et d’un Loup.
Une Chèvre sortit de son étable pour aller paître, recommandant très expressément à son Chevreau de n’ouvrir la porte à personne durant son absence. À peine était-elle sortie, qu’un Loup vint heurter à la porte de l’étable, contrefaisant la voix de la Chèvre, et il commanda au Chevreau de lui ouvrir. Cet animal profitant des leçons de sa mère, regarda par une ouverture, et reconnut le Loup. – Je n’ouvrirai point, lui répliqua-t-il; car quoique tu contrefasses la voix d’une Chèvre, je vois bien à ta figure que tu es un Loup, et que tu ne cherches qu’à me dévorer. -
Du Chien et de la Brebis.
Le Chien fit un jour assigner la Brebis devant deux Aigles, pour la faire condamner à lui payer un pain qu’il disait lui avoir prêté. Elle nia la dette. On obligea le Chien à présenter des témoins. Il suborna le Loup, qui déposa que la Brebis devait le pain. Elle fut condamnée, sur ce faux témoignage, à payer ce qu’elle ne devait pas. Quelques jours après, elle vit des Chiens qui étranglaient le Loup. Cette vue la consola de l’injustice qu’on lui avait faite. – Voilà, s’écria-t-elle, la récompense que méritent de tels calomniateurs. -
Du Laboureur et du Serpent.
Un Paysan se mit un jour en colère contre un Serpent qu’il nourrissait, et prenant à la main un bâton, il se mit à le poursuivre. Le Serpent, après avoir reçu quelques blessures, s’échappa. Depuis cette aventure, le Laboureur tomba dans une extrême pauvreté, et crut que les mauvais traitements qu’il avait faits au Serpent étaient la cause de son malheur. Il alla le chercher, en le priant de revenir dans sa maison. Le Serpent s’en excusa, et lui dit qu’il ne pouvait s’y résoudre, ne croyant pas pouvoir vivre en sûreté avec un homme si incommode. – Quoique mes plaies soient guéries, ajouta-t-il, le souvenir de tes cruautés ne peut s’effacer de ma mémoire. -
Du Renard et de la Cigogne.
Un Renard plein de finesse pria à souper une Cigogne à qui il servit de la bouillie sur une assiette. La Cigogne ne fit pas semblant de se fâcher du tour que lui jouait le Renard. Peu de temps après, elle le pria à dîner; il y vint au jour marqué, ne se souvenant plus de sa supercherie, et ne se doutant point de la vengeance que méditait la Cigogne. Elle lui servit un hachis de viandes qu’elle renferma dans une bouteille. Le Renard n’y pouvait atteindre, et il avait la douleur de voir la Cigogne manger toute seule. Elle lui dit alors avec un rire moqueur: – Tu ne peux pas te plaindre de moi raisonnablement, puisque j’ai suivi ton exemple, et que je t’ai traité comme tu m’as traitée. -