De l’Âne et du Cheval.
Un Cheval richement paré, rencontra dans son chemin un pauvre Âne qui gémissait sous le poids de sa charge. Le Cheval, que son riche harnais rendait insolent, remplissait l’air de hennissements, et criait à l’Âne de se retirer et de lui faire place. L’Âne saisi de frayeur, se rangea promptement sans répliquer. Le Cheval allait à la guerre; il en revint si harassé et si usé, que son maître le voyant hors d’état de lui rendre aucun service, le vendit à un Paysan qui le mit à un chariot pour porter du fumier. L’Âne le rencontra au bout de quelque temps, et lui demanda, tout étonné d’un changement si étrange, ce qu’il avait fait de son beau harnais, de sa riche housse, de son mors doré, qui le rendaient si fier et si superbe, et qui lui inspiraient tant de mépris pour ceux qui ne voudraient maintenant faire aucune comparaison avec lui.
D’un Cerf et d’un Chasseur.
Un Cerf se regardant dans une fontaine, fut charmé de la beauté de son bois; mais ses jambes grêles et déliées ne lui plurent nullement. Pendant qu’il se contemplait et qu’il raisonnait en lui-même, un Chasseur survint tout à coup, accompagné de Chiens, en sonnant du Cor. Ce bruit obligea le Cerf à prendre promptement la fuite. Il devança les Chiens de bien loin en rase campagne, à la faveur de la légèreté de ses jambes. Mais le Chasseur le poursuivant toujours, le Cerf se cacha dans une forêt où ses cornes demeurèrent embarrassées aux branches des arbres. Alors il reconnut son erreur, et il comprit combien ses jambes déliées et souples lui étaient utiles pour le délivrer de ceux qui le poursuivaient; et combien son bois, dont il avait tant admiré la beauté, lui était funeste, puisqu’il était la cause de sa mort.
Du Serpent et de la Lime.
Un Serpent s’étant enfermé dans la forge d’un Serrurier, voulut ronger tous ses outils. Il attaqua d’abord l’enclume; mais ne la pouvant entamer, il la quitta pour s’attaquer à la Lime, croyant qu’il y trouverait mieux son compte, et qu’il en viendrait plus aisément à bout. La Lime lui dit en se moquant de ses vains efforts: – Sotte bête que tu es, quelle est ta folie? Comment pourrais-tu me ronger avec tes dents, moi qui ronge le fer, et qui peux mettre en poudre l’enclume que tu n’as pu seulement entamer? -
Des Loups et des Brebis.
Les Loups et les Brebis, après une longue et sanglante guerre, firent une espèce de trêve, dans laquelle ils convinrent de se donner des otages de part et d’autre. Les Brebis consentirent de livrer leurs Chiens. Les Loups donnèrent aux Brebis leurs Louveteaux, qui, étant devenus plus grands, se jetèrent sur les Brebis, et les dévorèrent sans résistance, parce qu’elles n’avaient plus leurs Chiens pour venir à leur secours. Les Loups de leur côté dévorèrent les Chiens qui ne se tenaient point sur leurs gardes, et qui vivaient en assurance sur la bonne foi du traité.
D’un Bûcheron et d’une Forêt.
Un Bûcheron entrant dans une Forêt, lui demanda la permission de prendre du bois pour faire un manche à sa cognée. Elle y consentit; mais peu de temps après, elle se repentit de sa complaisance car le Bûcheron se servit de sa cognée pour couper de grandes branches d’arbres, et pour dépouiller la Forêt de ses principaux ornements, sans qu’elle pût s’en défendre, parce qu’elle avait fourni des armes au Bûcheron contre elle-même.
Du Loup et du Chien.
Un Loup rencontra par hasard un Chien dans un bois, au commencement du jour. Il se mit à le caresser, et à lui demander de ses nouvelles il le questionna sur son embonpoint. Le Chien lui répondit que les bontés de son Maître, et les soins qu’il prenait de lui, l’avaient mis dans le bon état où il le voyait: – Car il me nourrit, ajouta-t-il, des mets de sa table, et des viandes dont il mange lui-même; outre cela, je dors dans un lieu couvert, et tous ceux de la maison me font tout le bien qu’ils peuvent. – Ce discours inspira envie au Loup de s’attacher au Maître du Chien. – Que je serais heureux, lui dit-il, de servir un Maître si commode! Si cela m’arrivait, je croirais que ma condition est préférable à celle de toutes les autres bêtes. – Le Chien s’offrit de le conduire à son Maître, et de le solliciter en sa faveur, pourvu qu’il se relâchât un peu de sa cruauté naturelle. Le Loup y consentit. Leurs conventions ainsi faites, ils se mirent en chemin: le jour était déjà grand. Le Loup voyant que le col du Chien était tout pelé lui en demanda la cause. – Cela n’est rien, répliqua le Chien; pendant la nuit j’ai la liberté tout entière, et l’on me lâche, pour aboyer aux voleurs; mais pendant le jour on me tient à l’attache, de peur que je ne morde ceux qui entrent dans la maison de mon Maître. – Ce discours ralentit l’ardeur du Loup; il ne témoigna plus le même empressement pour aller trouver le Maître du Chien. – Adieu, lui dit-il, je ne veux pas acheter à si haut prix l’amitié de ton Maître; j ‘aime mieux jouir de ma liberté, que de faire bonne chère dans l’esclavage. -
Du Ventre et des autres Membres.
La Main et le Pied voulurent autrefois faire un procès au Ventre, en lui reprochant qu’ils ne pouvaient suffire à le nourrir, sans qu’il y contribuât de son côté. Ils voulaient l’obliger à travailler comme les autres membres, s’il voulait être nourri. Il leur représenta plusieurs fois le besoin qu’il avait d’aliments. La Main le refusa, et ne voulut rien porter à la bouche pour le communiquer au Ventre, qui tomba en peu de temps en défaillance par cette soustraction d’aliments. Tous les autres membres devinrent faibles et atténués, par la disette où se trouva le Ventre. La Main reconnut alors son erreur, et voulut contribuer à l’ordinaire à nourrir le Ventre; mais il n’était plus temps, il était trop affaibli pour faire ses fonctions, parce qu’il avait été trop longtemps vide; il rejeta les viandes qu’on lui présenta: ainsi il périt; mais toutes les parties du corps périrent avec le Ventre, et furent punies de leur révolte.
D’un Singe et d’un Renard.
Le Singe voulut un jour persuader au Renard de lui prêter une partie de sa queue, pour couvrir son derrière. Il dit au Renard que sa queue était trop longue, et qu’elle l’incommodait en marchant; au lieu que le superflu ferait honneur au Singe, et lui serait d’un grand secours. Ces raisons ne persuadèrent point le Renard. Il dit au Singe, que sa queue ne l’incommodait nullement, et qu’il aimait mieux en balayer la terre, que d’en couvrir les fesses d’un Singe.
Du Renard et des Raisins.
Un Renard ayant aperçu au haut d’un arbre quelques grappes de Raisins qui commençaient à mûrir, eut envie d’en manger, et fit tous ses efforts pour y atteindre; mais voyant que sa peine était inutile, il dissimula son chagrin, et dit en se retirant qu’il ne voulait point manger de ces Raisins, parce qu’ils étaient encore trop verts et trop aigres.
De la Belette et du Renard.
Un Renard pressé de la faim, entra un jour dans une Grange par une ouverture fort étroite. Après avoir mangé tout son soûl, il voulut sortir par la même ouverture; mais tous ses efforts furent inutiles, parce que la grosseur de son ventre l’en empêchait. La Belette qui l’aperçut de loin, et qui connut son embarras, accourut pour lui donner conseil, et pour le secourir. Après avoir examiné l’état où il se trouvait, elle lui dit qu’il devait attendre, pour sortir de la grange, qu’il fût aussi décharné et aussi maigre qu’il était avant que d’y entrer.