D’un Enfant et de sa Mère.
Un jeune Enfant ayant dérobé un Livre à l’un de ses compagnons d’étude, le donna à sa mère. Elle prit le Livre, sans faire aucune réprimande à son fils; au contraire elle l’embrassa, et lui fit des caresses. Quand il fut devenu plus grand, il s’accoutuma à dérober des choses d’une plus grande conséquence. Ayant été un jour pris sur le fait, on le livra entre les mains de la Justice, et il fut condamné à la mort. Sa mère le suivait en pleurant tandis qu’on le conduisait au supplice. Il demanda permission au Bourreau de lui parler en particulier. Elle approcha son oreille de sa bouche, il la mordit et l’arracha à belles dents. Sa mère et tous les assistants se récrièrent, et lui reprochèrent sa cruauté, lui disant qu’il ne se contentait pas d’être un voleur, mais qu’il avait encore commis une impiété à l’égard de sa mère. – C’est elle seule, répliqua-t-il, qui est la cause de mon malheur; car si elle m’eût fait de sérieuses remontrances, lorsque je lui portai la première fois un Livre que j’avais volé, j’aurais discontinué de le faire, et je ne serais pas tombé dans le malheur où je me vois aujourd’hui. -
D’un Homme qui avait deux Femmes.
Un Homme nourri dans les délices, et qui était encore dans la force de son âge, ni trop vieux, ni trop jeune, quoique ses cheveux commençassent déjà à grisonner, s’avisa d’épouser deux femmes, dont l’une approchait de la vieillesse, et l’autre était encore dans la fleur de la jeunesse. Ils demeuraient tous trois dans la même maison. La plus âgée voulant se faire aimer de son mari, par la proportion de l’âge, lui arrachait poil à poil tout ce qu’il avait de cheveux noirs. La plus jeune qui voulait aussi avoir part à la tendresse de son mari, lui arrachait de son côté tous les cheveux blancs. De sorte que ces deux femmes en continuant chaque jour cet exercice, le rendirent entièrement chauve, et il devint la fable de tout le monde.
D’un Laboureur et de ses Enfants.
Un Laboureur fâché de voir la dissension parmi ses enfants, et le peu de cas qu’ils faisaient de ses remontrances, commanda qu’on lui apportât en leur présence un faisceau de baguettes, et leur dit de rompre ce faisceau tout à la fois. Ils firent l’un après l’autre de grands efforts pour en venir à bout; mais leur peine fut inutile. Il leur dit ensuite de délier le faisceau, et de prendre les baguettes séparément pour les rompre; ce qu’ils exécutèrent sans aucune peine. Alors il leur tint ce discours: – Vous voyez, mes enfants, que vous n’avez pu briser ces baguettes, tandis qu’elles étaient liées ensemble; ainsi vous ne pourrez être vaincus par vos ennemis, si vous demeurez toujours unis par une bonne intelligence. Mais si les inimitiés vous désunissent, si la division se met parmi vous, il ne sera pas difficile à vos ennemis de vous perdre. -
De la Nourrice et du Loup.
Un Loup tourmenté de la faim courait de tous côtés pour chercher quelque proie. Étant arrivé auprès d’une cabane, il entendit un enfant qui pleurait, et sa nourrice qui lui disait tout en colère: – Taisez-vous; et si vous ne vous apaisez, je vous donnerai à manger au Loup tout à l’heure. – Le Loup croyant que la Nourrice parlait sérieusement, attendit longtemps auprès de la porte; mais sur le soir il fut bien étonné lorsqu’il entendit la Nourrice caresser son enfant, et qui lui disait en le flattant: – Mon fils, si le Loup vient ici, nous le tuerons. – Le Loup se retira tout triste, et dit en s’en retournant: – Les gens de cette contrée agissent tout autrement qu’ils ne parlent. -
De la Tortue et de l’Aigle.
La Tortue mal satisfaite de sa condition, et ennuyée de ramper toujours à terre, souhaita devenir Oiseau, et pria très instamment l’Aigle de lui apprendre à voler. L’Aigle s’en défendit d’abord, lui représentant qu’elle demandait une chose contraire à son tempérament; cependant se laissant vaincre par les prières de la Tortue, il la prit entre ses serres et l’enleva; et l’ayant lâchée au milieu des airs, elle tomba sur une pointe de rocher, se brisa le corps, et mourut de cette chute.
De deux Écrevisses.
Une écrevisse faisait des leçons à l’une de ses petites, pour lui apprendre à bien marcher; elle lui reprochait qu’elle allait toujours de travers, et qu’elle ne faisait aucun pas sans se détourner à droite ou à gauche. La jeune Écrevisse ne fut pas fort touchée des remontrances de sa mère. Pour toute réponse elle lui dit: – Ma mère, marchez devant moi, et je vous suivrai. -
De l’Âne couvert de la peau d’un Lion.
Un Âne ayant trouvé par hasard la peau d’un Lion, s’en couvrit le dos sur-le-champ, et se para de cette dépouille. Les autres bêtes qui le virent en cet équipage, et qui le prirent d’abord pour un véritable Lion, en furent alarmées, et se mirent à fuir de toute leur force. Le Maître à qui appartenait l’Âne, le cherchait de tous côtés, et fut tout étonné quand il le vit déguisé de cette sorte. L’Âne accourut vers son Maître, et se mit à braire. Sa voix et ses longues oreilles qu’il n’avait point cachées, le firent connaître malgré son déguisement. Son Maître le prit, et le condamna à son travail ordinaire.
De la Grenouille et du Renard.
Une Grenouille ennuyée de son marécage, voulut aller dans les forêts parmi les autres bêtes, et faire publiquement profession de Médecine, se vantant d’effacer, par les connaissances qu’elle avait en cet Art, la science d’Hippocrate et de Galien. Les autres animaux la crurent d’abord sur ses paroles; mais le Renard plus fin et plus rusé se moqua d’elle et de son vain savoir. – Comment se peut-il faire, lui dit-il, qu’avec une bouche si pâle et si livide, tu connaisses tous les secrets de la Médecine? Si cela est, pourquoi ne te guéris-tu pas la première? – Ce trait de raillerie rendit la Grenouille toute honteuse, et détrompa les autres animaux.
De deux Chiens.
Un Chien était tellement accoutumé à mordre tous ceux qu’il rencontrait, que son Maître crut être obligé de lui attacher au col une sonnette, afin que tout le monde s’en donnât de garde. Le Chien, tout fier de ce nouvel ornement, s’imagina que c’était une récompense de son courage et de sa vertu, et se mit à regarder tous les autres Chiens avec mépris. Il y en avait un parmi eux, que son âge et ses services rendaient respectable. – Mon ami, lui dit-il, tu ne prends pas garde que cette sonnette est plutôt une marque de la méchanceté de tes moeurs, que la récompense de ta vertu. -