De la Nourrice et du Loup.
Un Loup tourmenté de la faim courait de tous côtés pour chercher quelque proie. Étant arrivé auprès d’une cabane, il entendit un enfant qui pleurait, et sa nourrice qui lui disait tout en colère: – Taisez-vous; et si vous ne vous apaisez, je vous donnerai à manger au Loup tout à l’heure. – Le Loup croyant que la Nourrice parlait sérieusement, attendit longtemps auprès de la porte; mais sur le soir il fut bien étonné lorsqu’il entendit la Nourrice caresser son enfant, et qui lui disait en le flattant: – Mon fils, si le Loup vient ici, nous le tuerons. – Le Loup se retira tout triste, et dit en s’en retournant: – Les gens de cette contrée agissent tout autrement qu’ils ne parlent. -
De la Tortue et de l’Aigle.
La Tortue mal satisfaite de sa condition, et ennuyée de ramper toujours à terre, souhaita devenir Oiseau, et pria très instamment l’Aigle de lui apprendre à voler. L’Aigle s’en défendit d’abord, lui représentant qu’elle demandait une chose contraire à son tempérament; cependant se laissant vaincre par les prières de la Tortue, il la prit entre ses serres et l’enleva; et l’ayant lâchée au milieu des airs, elle tomba sur une pointe de rocher, se brisa le corps, et mourut de cette chute.
De deux Écrevisses.
Une écrevisse faisait des leçons à l’une de ses petites, pour lui apprendre à bien marcher; elle lui reprochait qu’elle allait toujours de travers, et qu’elle ne faisait aucun pas sans se détourner à droite ou à gauche. La jeune Écrevisse ne fut pas fort touchée des remontrances de sa mère. Pour toute réponse elle lui dit: – Ma mère, marchez devant moi, et je vous suivrai. -
De l’Âne couvert de la peau d’un Lion.
Un Âne ayant trouvé par hasard la peau d’un Lion, s’en couvrit le dos sur-le-champ, et se para de cette dépouille. Les autres bêtes qui le virent en cet équipage, et qui le prirent d’abord pour un véritable Lion, en furent alarmées, et se mirent à fuir de toute leur force. Le Maître à qui appartenait l’Âne, le cherchait de tous côtés, et fut tout étonné quand il le vit déguisé de cette sorte. L’Âne accourut vers son Maître, et se mit à braire. Sa voix et ses longues oreilles qu’il n’avait point cachées, le firent connaître malgré son déguisement. Son Maître le prit, et le condamna à son travail ordinaire.
De la Grenouille et du Renard.
Une Grenouille ennuyée de son marécage, voulut aller dans les forêts parmi les autres bêtes, et faire publiquement profession de Médecine, se vantant d’effacer, par les connaissances qu’elle avait en cet Art, la science d’Hippocrate et de Galien. Les autres animaux la crurent d’abord sur ses paroles; mais le Renard plus fin et plus rusé se moqua d’elle et de son vain savoir. – Comment se peut-il faire, lui dit-il, qu’avec une bouche si pâle et si livide, tu connaisses tous les secrets de la Médecine? Si cela est, pourquoi ne te guéris-tu pas la première? – Ce trait de raillerie rendit la Grenouille toute honteuse, et détrompa les autres animaux.
De deux Chiens.
Un Chien était tellement accoutumé à mordre tous ceux qu’il rencontrait, que son Maître crut être obligé de lui attacher au col une sonnette, afin que tout le monde s’en donnât de garde. Le Chien, tout fier de ce nouvel ornement, s’imagina que c’était une récompense de son courage et de sa vertu, et se mit à regarder tous les autres Chiens avec mépris. Il y en avait un parmi eux, que son âge et ses services rendaient respectable. – Mon ami, lui dit-il, tu ne prends pas garde que cette sonnette est plutôt une marque de la méchanceté de tes moeurs, que la récompense de ta vertu. -
Du Chameau.
Le Chameau croyant sa condition malheureuse de se voir exposé sans aucune défense à ses ennemis, pria très instamment Jupiter de lui donner des cornes comme au Taureau, pour lui servir en même temps d’ornement et de défense. Jupiter se moqua de la ridicule prière du Chameau. Non seulement il ne lui donna pas les cornes qu’il demandait, mais même il lui accourcit les oreilles, pour le rendre encore plus difforme.
De deux Amis et de l’Ours.
Deux voyageurs faisant chemin ensemble, aperçurent un Ours qui venait droit à eux. Le premier qui le vit monta brusquement sur un arbre, et laissa son compagnon dans le péril, quoiqu’ils eussent été toujours liés jusqu’alors d’une amitié fort étroite. L’autre qui se souvint que l’Ours ne touchait point aux cadavres, se jeta par terre tout de son long, ne remuant ni pieds ni mains, retenant son haleine, et contrefaisant le mort le mieux qu’il lui fut possible. L’Ours le tourna et le flaira de tous côtés, et approcha souvent sa hure de la bouche et des oreilles de l’Homme qui était à terre; mais le tenant pour mort, il le laissa et s’en alla. Les deux voyageurs s’étant sauvés de la sorte d’un si grand péril, et des griffes de l’Ours, continuèrent leur voyage. Celui qui avait monté sur l’arbre, demandait à son compagnon, en chemin faisant, ce que l’Ours lui avait dit à l’oreille, lorsqu’il était couché par terre. – Il m’a dit, répliqua le Marchand, plusieurs choses qu’il serait inutile de vous raconter; mais ce que j’ai bien retenu, c’est qu’il m’a averti de ne compter jamais parmi mes amis que ceux dont j’aurai éprouvé la fidélité dans ma mauvaise fortune. -
De deux Pots flottant sur l’eau.
Le courant de l’eau entraîna par hasard deux Pots, dont l’un était de terre, et l’autre de fer. Le Pot de terre évitait avec de grandes précautions l’approche et la rencontre du Pot de fer, qui lui dit par une espèce de reproche: – Qu’appréhendez-vous. Je n’ai nulle envie de vous nuire, ni de vous faire aucun mal. Je le sais bien, répliqua le Pot de terre; ce n’est nullement votre mauvaise volonté que je redoute; mais si l’impétuosité de l’eau m’approche de vous, je suis perdu. Voilà pourquoi il vaut mieux que je m’éloigne pour me mettre en sûreté. -