D’un Taureau et d’un Bouc.
Un Taureau vivement poursuivi par un Lion, voulut se réfugier dans la caverne d’un Bouc, qui se présenta fièrement à la porte, et en refusa l’entrée au Taureau. – Tu ne me recevrais pas avec cette insolence, dit le Taureau au Bouc, si le Lion, plus fort ou plus furieux que toi et moi, n’était à mes trousses. Sans cela je te ferais connaître à tes dépens combien les cornes du Taureau sont plus dangereuses que celles du Bouc. -
Du Singe et de ses Enfants.
Jupiter fit un jour assembler tous les Animaux devant son Tribunal, pour examiner lequel d’entre eux aurait de plus beaux enfants. Toutes les Bêtes obéirent à cet ordre. Les Oiseaux y vinrent; les Poissons parurent hors de l’eau pour voir décider cette question. Le Singe s’y rendit le dernier de tous. Toutes les Bêtes, en voyant les fesses ridicules des petits Singes, firent de grands éclats de rire. – Votre jugement, dit le Singe, ne décidera pas en cette matière; c’est à Jupiter à déterminer, et c’est à lui qu’appartient de donner le prix de la beauté à qui le méritera le mieux. Je trouve dans mes petits tant d’agréments, qu’ils me semblent dignes d’être préférés à tous les autres. – Jupiter même, avec tout son sérieux et toute sa gravité, ne put s’empêcher de rire, lorsqu’il entendit ce petit discours du Singe qui paraissait charmé de la beauté et de la bonne grâce de ses petits.
Du Paon et de la Grue.
Le Paon étant dans un repas avec la Grue, faisait la roue, et étalait ses plumes avec beaucoup de faste; il méprisait la Grue, et se mettait infiniment au-dessus d’elle. – Que tu es laide, lui disait-il d’une manière insolente, et que la beauté de mon plumage est agréable. – Mais la Grue, pour confondre la vanité du Paon, se mit à voler, et lui dit en l’insultant: – Que je suis légère, et que tu es pesant! -
Du Tigre et du Renard.
Un Chasseur armé de traits et de flèches qu’il lançait de tous côtés avec beaucoup d’adresse, faisait à toute outrance la guerre aux Animaux, qui fuyaient devant un ennemi si redoutable, et qui n’osaient tenir la campagne. Le Tigre plus fier et plus hardi que les autres, se présenta, et promit de faire tête lui seul à leur ennemi commun. Le Chasseur lança avec raideur une flèche qui atteignit le Tigre. Il se mit à jeter de hauts cris, et à regarder de tous côtés pour reconnaître l’auteur de sa blessure. Le Renard vint au-devant du Tigre, et lui demanda qui avait eu l’audace de blesser un animal si fier et si courageux. – Je ne sais, répondit le Tigre; mais je sens bien à ma blessure qu’elle vient d’un homme qui a beaucoup de force et de vigueur. -
Des Taureaux et du Lion.
Quatre Taureaux résolurent de se liguer ensemble pour leur conservation réciproque, et de ne se séparer jamais les uns des autres, pour être toujours en état de se secourir mutuellement. Le Lion qui les voyait paître les uns auprès des autres, n’osa jamais les insulter, quoiqu’il se sentît extrêmement pressé de la faim. Mais pour les vaincre plus aisément, il crut qu’il devait les séparer par de spécieux prétextes, afin de les attaquer séparément. Cet artifice lui réussit, et il dévora les quatre Taureaux les uns après les autres.
Du Sapin et du Buisson.
Le Sapin regardant avec mépris le Buisson, se vantait de sa hauteur, et de ce qu’on le choisissait pour être employé à la construction des Palais des Princes, à faire les mâts des plus grands vaisseaux, et il reprochait au Buisson de n’être bon à aucun usage. Le Buisson répondit modestement au Sapin que les grands avantages dont il se vantait avec tant d’orgueil, l’exposaient à de grands malheurs; car le Bûcheron le met en pièces sans miséricorde, et le jette par terre à coups de cognée; au lieu que le Buisson vit en sûreté dans une condition plus obscure.
D’un Pêcheur et d’un petit Poisson.
Un Pêcheur ayant pris un petit Poisson, dont le goût est très agréable, résolut de le manger. Ce petit animal, pour se tirer des mains du Pêcheur, lui représentait qu’il devait lui donner le temps de croître et le priait très instamment de le relâcher, lui promettant de revenir de son bon gré mordre à l’hameçon au bout de quelque temps. – Il faudrait que j’eusse perdu l’esprit, lui répliqua le Pêcheur, si je me fiais à tes promesses et si sous l’espérance d’un bien futur et incertain, je me privais d’un bien présent et assuré. -
De l’Avare et de l’Envieux.
Jupiter voulant connaître à fond les sentiments des hommes, envoya Apollon sur la terre pour sonder leurs inclinations. Il rencontra d’abord un Avare et un Envieux. Il leur dit de la part de Jupiter qu’il avait ordre de leur accorder tout ce qu’ils lui demanderaient, à condition que le second aurait le double de ce que le premier aurait demandé. Cette circonstance fut cause que l’Avare ne put jamais se résoudre à rien demander, dans l’appréhension qu’il eut que l’autre ne fût mieux partagé que lui; mais l’Envieux demanda qu’on lui arrachât un oeil, afin qu’on arrachât les deux yeux de l’Avare, selon les conventions d’Apollon.
De l’Enfant et de l’Avare.
Un Enfant pleurait auprès d’un puits, et donnait des marques d’une grande douleur. Un Avare qui passait par-là, s’approcha de lui, et lui demanda le sujet de ses larmes, et pourquoi il s’affligeait de la sorte. – Que je suis malheureux, répondit cet Enfant, en pleurant toujours de plus en plus! J’avais une cruche d’or, qui vient maintenant de tomber dans le puits, parce que la corde s’est rompue. – L’Avare aveuglé par sa convoitise, ne s’avisa point de demander à l’Enfant d’où il avait apporté cette cruche d’or, ni comment elle lui était tombée entre les mains. Sans balancer davantage, il quitte ses habits, et descend dans le puits, où il ne trouva point la cruche d’or dont l’Enfant lui avait parlé; mais il fut bien plus surpris, lorsque, étant sorti du puits, il ne trouva point ses habits que l’Enfant avait emportés, et qu’il avait cachés dans la forêt voisine, où il s’était sauvé.