Du Vieillard qui se marie à contretemps.
Un Homme ne songea point à se marier tant qu’il fut dans l’âge d’y penser. Pendant qu’il pouvait plaire, personne ne lui plut; mais lorsque, devenu vieux, il se vit, par le nombre de ses ans, à charge à toutes les femmes, il voulut en prendre une. Enfin, comme il était presque décrépit, il fit choix d’une jeune beauté. Le Barbon fit si bien valoir ses grands biens, et fit à la belle des avantages si considérables, qu’il la fit consentir à lui donner la main, et l’épousa, mais il ne tarda guère à s’en repentir. À peine eut-il prononcé le oui qu’il reconnut la faute qu’il venait de faire. – Hélas, s’écriait-il tout glacé, devais-je m’embarrasser d’une chose qui m’est à présent si inutile, moi qui n’ai jamais voulu m’en charger dans un temps où elle me convenait? -
Du Lion amoureux.
Un Lion devint amoureux de la Fille d’un Chasseur, et ce fut si éperdument, qu’il courut chez le Père, et la lui demanda en mariage. Celui-ci, qui ne pouvait s’accommoder d’un gendre si terrible, la lui eût refusée net, s’il eût osé; mais comme il le craignait, il eut recours à la ruse. – Comptez sur ma Fille, dit-il au Lion, je vous l’accorde; mais avant que d’en approcher, songez que vous ne sauriez lui marquer votre tendresse, qu’elle ne soit en danger d’être blessée, ou par vos dents, ou par vos ongles. Ainsi, Seigneur Lion, trouvez bon, s’il vous plaît, qu’après vous avoir limé les unes, on vous rogne encore les autres. Vos caresses en seront moins dangereuses, et par conséquent plus agréables. – Le Lion, que l’amour aveuglait, consentit à tout, et sans penser qu’il allait se mettre à la merci de son ennemi, se laissa désarmer. Dès qu’il le fut, les Chiens, le Chasseur et la Fille même se jetèrent sur lui, et le mirent en pièces.
Du Savant et d’un Sot.
Un Philosophe méditait dans son cabinet. Un Sot l’y trouva seul, et en fut tout surpris. – La raison, lui dit-il, qui peut vous porter à tant aimer la retraite, je ne la concevrais pas, je vous jure, en mille ans. – Tu la concevrais en moins d’un instant, repartit l’autre en lui tournant le dos, si tu savais que ta présence et celle de tous tes pareils me fait souffrir. -
Des Passagers et du Pilote.
Un vaisseau poussé par la tempête vint échouer sur la côte, et là s’entrouvrit. Comme il était sur le point d’être submergé par les vagues, les Passagers qui s’y étaient embarqués, jetaient de grands cris et se désespéraient. Ils auraient pu songer à chercher les moyens de se sauver, mais la peur les troublait à tel point, qu’ils ne pensaient, les mains levées vers le ciel, qu’à implorer le secours des dieux. Cependant le Pilote leur criait, en quittant ses habits: – Amis, s’il est bon de montrer ses bras à Jupiter, il ne l’est pas moins, dans le péril où nous sommes, de les tendre à la mer. – Cela dit, il s’y jette, et si bien, qu’à force de nager, il gagne la côte; il ne s’y fut pas plutôt sauvé, qu’il vit la mer engloutir, avec le vaisseau, ceux qui n’avaient eu d’autre ressource que celle de leurs voeux.
De la mauvaise Voisine.
Une Femme acariâtre cherchait à tout moment querelle à ses Voisins, et toujours mal à propos. Ceux-ci s’en plaignaient à son Mari. – Oh! la méchante Femme, lui disaient-ils, elle ne fait que gronder, crier, tempêter, et cela tant que le jour dure. Eh, le moyen qu’on puisse vivre avec cette Mégère? – Eh le moyen, répliqua le Mari, que j’y puisse vivre, moi qui me vois obligé de passer avec elle, non seulement les jours, mais encore les nuits? -
Du Pêcheur et des Poissons.
Un Pêcheur n’eut pas plutôt jeté ses filets dans la mer, que les Poissons, gros et petits, y entrèrent en foule. Dès qu’ils s’y virent pris, ils cherchèrent à s’en retirer, mais tous n’eurent pas le bonheur d’échapper. Les petits passèrent fort aisément au travers des mailles, dont les ouvertures se trouvaient encore trop larges pour eux; mais les gros n’en purent faire autant. Comme ils ne trouvaient partout que des issues trop étroites, ils restèrent au fond des rets, à la merci du Pêcheur, qui les y prit tous.
Du Loup et de la Brebis.
Un Loup que les Chiens avaient longtemps poursuivi, se trouva si recru de lassitude, qu’il fut obligé de s’arrêter à quelque distance d’un ruisseau où une Brebis se désaltérait. Comme il mourait de soif et de faim, et que les forces lui manquaient à tel point qu’il ne pouvait passer outre pour chercher ce qui lui était nécessaire, il appela la Brebis, et la pria de lui apporter à boire. Son dessein était de la croquer dès qu’il aurait bu, et par ce moyen de mettre remède à tout. Mais celle-ci, qui s’en doutait, se garda bien de sortir de l’endroit où elle était. – Ami, lui cria-t-elle, je te secourrais, tout Loup que tu es, très volontiers; mais comme tu me parais avoir autant besoin de chair que d’eau, je pense que je ferais beaucoup mieux de m’éloigner de toi que de m’en approcher. – Cela dit, elle se retira à grande hâte, et laissa le Loup crier tout autant qu’il lui plut.
De deux Chiens qui crèvent à force de boire.
Deux Chiens passaient le long d’un fleuve; comme ils le regardaient, ils y aperçurent une pièce de chair qui flottait assez loin d’eux. Alors l’un dit à l’autre: – Camarade, il nous faut bien garder de manquer cette proie, et pour l’atteindre, j’imagine un expédient qui me semble sûr. Toute cette eau qui coule entre ce que tu vois et la rive où nous sommes, nous pouvons la boire. Or, sitôt que nous l’aurons bue, tu conçois bien qu’il faut que l’endroit où ce friand morceau flotte, reste à sec, et ainsi il nous sera fort aisé d’arriver jusqu’à lui. Compte, mon cher, qu’il ne peut nous échapper. – Et cela dit, ils en burent tous deux de telle sorte, qu’à force de se gonfler d’eau, ils perdirent bientôt haleine, et crevèrent sur la place.
Du Lion et de la Mouche.
Une Mouche défia un Lion au combat, et le vainquit: elle le piqua à l’échine, puis aux flancs, puis en cent endroits; entra dans ses oreilles, ensuite au fond de ses naseaux; en un mot, le harcela tant, que de rage de ne pouvoir se mettre à couvert des insultes d’un insecte, il se déchira lui-même. Voilà donc la Mouche qui triomphe, bourdonne, et s’élève en l’air. Mais comme elle vole de côté et d’autre pour annoncer sa victoire, l’étourdie va se jeter dans une toile d’Araignée et y reste. – Hélas! disait-elle, en voyant accourir son ennemie, faut-il que je périsse sous les pattes d’une Araignée, moi qui viens de me tirer des griffes d’un Lion? -