Du Chien qui ne vint pas en aide à l’Âne contre le Loup parce que l’Âne ne lui avait pas donné de pain.
Un Dogue assez fort pour vaincre non seulement des Loups mais encore des Ours avait fait une longue route avec un Âne qui portait un sac plein de pain. Chemin faisant, l’appétit vint. L’Âne, trouvant un pré, remplit abondamment son ventre d’herbes verdoyantes. Le Chien de son côté priait l’Âne de lui donner un peu de pain pour ne pas mourir de faim. Mais l’autre, bien loin de lui donner du pain, le tournait en dérision et lui conseillait de brouter l’herbe avec lui. Là-dessus, l’Âne voyant un Loup approcher, demanda au Chien de venir à son aide. Il répondit: – Tu m’as conseillé de paître pour apaiser ma faim, moi à mon tour je te conseille de te défendre contre le Loup avec les fers de tes sabots. – En disant ces mots, il partit, abandonnant en plein combat son ingrat compagnon condamné à servir bientôt de pâture à son ravisseur. Cette fable montre que celui qui ne fournit pas son aide à ceux qui la réclament est d’habitude abandonné à son tour en cas de nécessité.
De la cire qui voulait devenir dure.
La Cire gémissait d’être molle et de céder facilement au coup le plus léger. Voyant au contraire que les briques faites d’une argile beaucoup plus molle encore parvenaient, grâce à la chaleur du feu, à une dureté telle qu’elles duraient des siècles entiers, elle se jeta dans la flamme pour arriver à la même résistance, mais aussitôt elle fondit au feu et se consuma. Cette fable nous avertit de ne pas rechercher ce que la nature nous refuse.
De l’Homme qui avait caché son trésor en confidence de son compère.
Un Homme fort riche avait enfoui un trésor dans une forêt et personne n’était dans la confidence, sauf son compère en qui il avait grande confiance. Mais étant venu, au bout de quelques jours, visiter son trésor, il le trouva déterré et enlevé. Il soupçonna, ce qui était vrai, que son compère l’avait soustrait. Il vint le trouver. – Compère, dit-il, je veux à l’endroit où j’ai caché mon trésor enfouir en plus mille ducats. – Le compère, voulant gagner davantage encore, rapporta le trésor, le remit en place. Le véritable Maître peu après arrive et le retrouve, mais il l’emporte chez lui et s’adressant à son compère: – Homme sans foi, dit-il, ne prends pas une peine inutile pour aller voir le trésor, car tu ne le trouverais pas. – Cette fable montre combien il est facile de tromper un Avare par l’appât de l’argent.
Du Loup et des Bergers.
Un Loup voyant des Bergers qui mangeaient un mouton sous une tente s’approcha: – Quels cris vous pousseriez, dit-il, si j’en faisais autant. -
De l’Araignée et de l’Hirondelle.
L’Araignée exaspérée contre l’Hirondelle qui lui prenait les Mouches dont elle fait sa nourriture, avait pour la prendre accroché ses filets dans l’ouverture d’une porte par où l’Oiseau avait l’habitude de voler. Mais l’Hirondelle survenant emporta dans les airs la toile avec la fileuse. Alors l’Araignée pendue en l’air et voyant qu’elle allait périr: – Que mon châtiment est mérité, dit-elle. Moi qui à grand effort ai peine à prendre de tout petits insectes, j’ai cru que je pourrais me saisir de si grands Oiseaux! – Cette fable nous avertit de ne rien entreprendre qui soit au-dessus de nos forces.
Du Père de famille reprochant à son Chien d’avoir laissé prendre ses Poules.
Un Père de famille ayant oublié de fermer l’abri dans lequel ses Poules passaient la nuit, au lever du jour trouva que le Renard les avait toutes tuées et emportées. Indigné contre son Chien comme s’il avait mal gardé son bien, il l’accablait de coups. Le Chien lui dit: – Si toi, à qui tes Poules donnaient des oeufs et des poussins, tu as été négligent à fermer ta porte, quoi d’étonnant à ce que moi, qui n’en tire aucun profit, enseveli dans un profond sommeil, je n’aie pas entendu venir le Renard. – Cette fable veut dire qu’il ne faut attendre des Serviteurs de la maison aucune diligence, si le Maître lui même est négligent.
Du Vieillard décrépit qui greffait des arbres.
Un jeune Homme se moquait d’un Vieillard décrépit, disant qu’il était fou de planter des arbres dont il ne verrait pas les fruits. Le Vieillard lui dit: – Toi non plus, de ceux que tu te prépares en ce moment à greffer tu ne cueilleras peut-être pas les fruits. – La chose ne tarda pas. Le jeune Homme, tombant d’un arbre sur lequel il était monté pour prendre des greffes, se rompit le cou. Cette fable enseigne que la Mort est commune à tous les âges.
Du Renard voulant tuer une Poule sur ses oeufs.
Un Renard entré dans la maison d’un paysan trouva au nid une Poule qui couvait. Elle le pria en ces termes: – Ne me tue pas pour le moment, je t’en supplie. Je suis maigre. Attends un peu que mes petits soient éclos. Tu pourras les manger tendres et sans dommage pour tes dents. – Alors le Renard: – Je ne serais pas digne, dit-il, d’être un Renard si, maintenant que j’ai faim, dans l’attente de petits qui sont encore à naître, je renonçais à un manger tout prêt. J’ai des dents solides capables de mâcher n’importe quelle viande, même la plus dure. – Là-dessus il dévora la Poule. Cette fable montre que c’est être fou que de lâcher, dans l’espoir incertain d’un grand bien, un bien présent.
Du Chat et d’une Perdrix.
J’avais fait mon nid (dit le Corbeau), sur un arbre auprès duquel il y avait une Perdrix de belle taille et de bonne humeur. Nous fîmes un commerce d’amitié et nous nous entretenions souvent ensemble. Elle s’absenta, je ne sais pour quel sujet, et demeura si longtemps sans paraître que je la croyais morte. Néanmoins elle revint, mais elle trouva sa maison occupée par un autre Oiseau. Elle le voulut mettre dehors, mais il refusa d’en sortir disant que sa possession était juste. La Perdrix de son côté prétendait rentrer dans son bien et tenait cette possession de nulle valeur. Je m’employai inutilement à les accorder. À la fin la Perdrix dit: – Il y a ici près un Chat très dévot: il jeûne tous les jours, ne fait de mal à personne et passe les nuits en prière; nous ne saurions trouver juge plus équitable. – L’autre Oiseau y ayant consenti, ils allèrent tous deux trouver ce Chat de bien. La curiosité de le voir m’obligea de les suivre. En entrant, je vis un Chat debout très attentif à une longue prière, sans se tourner de côté ni d’autre, ce qui me fit souvenir de ce vieux proverbe: que la longue oraison devant le monde est la clef de l’enfer. J’admirai cette hypocrisie et j’eus la patience d’attendre que ce vénérable personnage eût fini sa prière. Après cela, la Perdrix et sa partie s’approchèrent de lui fort respectueusement et le supplièrent d’écouter leur différend et de les juger suivant sa justice ordinaire. Le Chat, faisant le discret, écouta le plaidoyer de l’Oiseau, puis s’adressant à la Perdrix: – Belle Fille, ma mie, lui dit-il, je suis vieux et n’entends pas de loin; approchez-vous et haussez votre voix afin que je ne perde pas un mot de tout ce que vous me direz. – La Perdrix et l’autre Oiseau s’approchèrent aussitôt avec confiance, le voyant si dévot, mais il se jeta sur eux et les mangea l’un après l’autre.