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De Jupiter, d’Apollon et de Momus.

Prêtez-moi pour un moment votre arc, dit un jour Jupiter à Apollon, je veux vous montrer que j’en sais tirer, et même plus juste que vous. Voyez-vous ce chêne planté sur la cime de l’Olympe? je veux que la flèche que je vais décocher aille droit au milieu du tronc de l’arbre. Cela fait, vous tâcherez d’en faire autant, et qu’après cela Momus nomme le plus adroit de nous deux. Disant cela, il prend l’arc d’Apollon, et le bande. Le trait part. Mais au lieu d’aller droit, il s’écarte, rase le visage du juge, et va se briser contre des rochers, à cent pas à côté du but. Maître des dieux, dit Momus en se levant tout effrayé du danger qu’il venait de courir, j’ignore si les coups d’Apollon sont plus justes, mais ce que je sais de certain, c’est qu’ils ne m’ont jamais donné la peur que le vôtre vient de me causer. Ainsi, croyez-moi, reprenez votre foudre, et vous, seigneur Apollon, votre arc, et tout n’en sera que mieux. Cela dit, sans vouloir ni s’expliquer davantage, ni prendre garde au coup de l’autre, il se retira, et de cette manière laissa, par ménagement pour Jupiter, la gageure indécise.

Du Boeuf et de la Vache.

Un Boeuf suait à tirer la charrue sur un terrain fort pierreux. Une Vache en riait. – Pauvre malheureux, lui criait-elle, je ne doute point que tu n’envies cent fois le jour mon sort. Avoue que tu voudrais te voir nourri et chéri comme je le suis sans essuyer la moindre fatigue. – Comme elle parlait, un sacrificateur arrive, et lui fait prendre le chemin du temple pour la conduire à l’autel, et là l’immoler à son dieu. – Orgueilleuse, lui dit alors le Boeuf, ton sort te semble-t-il maintenant si digne d’envie? il est vrai que je viens de souhaiter d’être à ta place; mais confesse à ton tour, que tu voudrais bien te voir à présent à la mienne. -

Du Renard qui a perdu sa queue.

Un Renard tomba dans un piège, et s’en retira, mais ce ne fut qu’après y avoir laissé sa queue pour gage. Il en était au désespoir; car le moyen de se montrer aux autres ainsi écourté, sans exciter leurs risées? Pour s’en garantir, que fait-il? Il se met en tête d’avoir des compagnons; ensuite il assemble les Renards, leur conseille en ami, disait-il, de se défaire de leurs queues; elles embarrassaient beaucoup plus qu’elles n’ornaient; ce n’était qu’un poids fort superflu. En un mot, une queue ne servait, à l’entendre, qu’à balayer les chemins. Il eut beau le remontrer, on le hua dans toute l’assemblée. – Ami, lui dit un vieux Renard, j’ignore ce qu’on pourrait gagner à se passer d’une queue; mais ce que je sais certainement, c’est que tu ne m’en aurais jamais fait observer l’inutilité, si tu avais encore la tienne. -

Du Vigneron et de ses Enfants.

Un Vigneron se sentit proche de sa fin. Alors il appela ses Enfants: – Mes Enfants, leur dit-il, je ne veux point mourir sans vous révéler un secret que je vous ai tenu caché jusqu’à présent, pour certaines raisons. Apprenez que j’ai enfoui un trésor dans ma vigne: lorsque je ne serai plus, et que vous m’aurez rendu les derniers devoirs, ne manquez pas d’y fouiller, et vous le trouverez. – Le bon Homme mort, les Enfants coururent à la vigne, et retournèrent le champ de l’un à l’autre bout; mais ils eurent beau fouiller et refouiller, ils n’y trouvèrent rien de ce que le Père leur avait fait espérer. Alors ils crurent qu’il les avait trompés; mais ils reconnurent bientôt qu’il ne leur avait rien dit que de véritable. Le champ ainsi retourné devint si fécond, que la vigne leur rapporta, pendant plusieurs années, le triple de ce qu’elle avait accoutumé de produire.

De deux Chiens.

Deux Chiens gardaient au logis. L’un, tout joyeux, dit à l’autre: – Frère, je viens d’apprendre que notre Maître se marie dans sa maison des champs. Or, tu sais qu’il n’est point de noces sans festin; c’est pourquoi, si tu veux m’en croire, nous irons tous deux en prendre notre part, et la chère que nous y ferons, Dieu le sait! – Cela dit, ils partent, et prennent si mal leur chemin, qu’ils s’engagent dans certains marécages, et ne s’en retirent que tout couverts de fange Dans cet état, ils arrivent au lieu de la noce. Ils comptaient sur un grand accueil de la part des conviés, mais fort mal à propos, dès qu’ils parurent, chacun s’écria contre leur malpropreté. À peine étaient-ils entrés dans la salle du festin, qu’on les en chassa, l’un à coups de pied, et l’autre à coups de bâton. Tout se passa de sorte que nos deux Chiens crottés s’en retournèrent fatigués, affamés et battus.

De la Mule.

Une Mule grasse et rebondie, ne faisait que parler, dans sa jeunesse, de sa Mère la Jument; mais elle changea de langage, lorsqu’elle se vit, dans sa vieillesse, réduite à porter la farine au moulin. Alors, elle se ressouvint de l’Âne, et confessa de bonne foi qu’il était son Père.

Du jeune Homme et de la Fortune.

Un jeune Homme s’était couché sur le bord d’un puits: pendant qu’il y dormait, la Fortune passa. Celle-ci n’eut pas plutôt reconnu le danger où l’autre était, qu’elle courut à lui, et le tira par le bras. – Mon fils, lui dit-elle en l’éveillant, si vous étiez tombé dans ce puits, on n’aurait pas manqué de m’en imputer la faute. Cependant, je vous laisse à penser si c’eut été la mienne ou la vôtre. -

Du jeune Homme et de l’Hirondelle.

Une Hirondelle se hâta un peu trop de repasser les mers, et vint quelques jours avant l’arrivée du printemps revoir le pays d’où elle s’était retirée aux approches de l’hiver. Un jeune Homme la vit arriver dans un jour assez beau. – Bon, dit-il en lui-même, voici l’avant-courrière de la belle saison; plus de froid, ainsi je puis me passer de cette robe, qui commence à me peser sur les épaules. – Cela dit, il courut la vendre, et dissipa par de folles dépenses l’argent qu’il en eut. Il ne tarda guère à s’en repentir; car quelques jours après, le froid revint, et si rude, que le jeune Homme en fut saisi, faute de robe, et mourut, aussi bien que l’Hirondelle, dont l’augure lui avait été si funeste.

De l’Astrologue volé.

Un Voleur entra dans la maison d’un Astrologue. Cependant celui-ci se donnait en pleine place pour un prophète des plus clairvoyants dans l’avenir. Comme il s’y vantait d’avoir acquis, par l’inspection des astres, la connaissance de tout ce qui devait arriver dans les siècles les plus reculés, un des assistants qui avait aperçu le Voleur, l’interrompit. – Et le moyen, lui dit-il, de croire que tu sais l’avenir, quand je vois, à n’en pas douter, que tu ne sais pas même le présent? Car enfin, mon ami, si tu le savais, tu courrais au plus vite chez toi en chasser le Voleur que je viens d’y voir entrer. -