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De Jupiter et des Besaces.

Après que les Hommes eurent été formés, Jupiter s’aperçut qu’ils avaient des défauts si grands qu’ils ne pourraient eux-mêmes les souffrir, s’il ne leur en ôtait la connaissance. Il jugea donc à propos de les éloigner de leur vue; et pour cet effet, il prit tous ces défauts, et en remplit plusieurs Besaces; puis il les distribua, donna à chacun la sienne, et la lui mit sur le dos; de telle manière que les défauts d’autrui pendaient dans la poche de devant, et ceux du porteur dans celle du derrière.

De la Poule trop grasse.

Une Poule pondait tous les jours un oeuf à son Maître. – Elle m’en pondra deux, disait celui-ci en lui-même, si je lui donne double nourriture. – Là-dessus le voilà qui lui jette et rejette du grain d’heure en heure, et en abondance. Mais qu’arriva-t-il? La Poule, à force d’être bien nourrie, devint si grasse, que bientôt elle pondit moins, et enfin ne pondit plus.

De Jupiter et de la Tortue.

Un jour Jupiter manda les Animaux. Il voulait pour se récréer, les voir tous ensemble, et en considérer la diversité. Ceux-ci obéirent, et accoururent à grande hâte. La Tortue seule se fit attendre, et si longtemps, qu’on crut qu’elle ne viendrait pas. Elle arriva pourtant, mais la dernière; et sur ce qu’on s’en plaignait, elle voulut représenter qu’avant que de partir, il lui avait fallu transporter sa maison en lieu de sûreté; ce qui lui avait fait, disait-elle, perdre beaucoup de temps. Mais l’excuse fut si peu goûtée, qu’on ne lui donna pas le temps de la faire valoir. À peine eut-elle commencé à parler de sa maison, que Jupiter, qui voulait être obéi, et sans délai, la lui mit sur le dos. De là vient qu’en punition de sa faute, elle la porte encore aujourd’hui.

De la Biche et de la Vigne.

Deux Chasseurs poursuivaient une Biche: celle-ci se sauva dans une Vigne, et s’y cacha si bien sous le pampre, que les Chasseurs, qui l’avaient perdue de vue, rebroussèrent chemin. Cependant la Biche, qui se croyait hors de danger, rongeait les ceps qui la couvraient. Ce fut pour son malheur; car dès qu’elle les eut dépouillés de leurs feuilles, elle parut tellement à découvert, que les Chasseurs l’aperçurent en se retirant. Alors ils retournèrent sur leurs pas, atteignirent la Biche, et la tuèrent.

Du Laboureur et du Renard.

Un Laboureur ensemença ses terres, et tout y crût à merveille. Comme il était à la veille de couper ses grains: – Je t’empêcherai bien de serrer ta récolte, dit en lui-même un de ses voisins qui le haïssait. – Cela dit, il allume un flambeau, et l’attache à la queue d’un Renard qu’il avait pris dans un terrier aux environs de ses champs; ensuite il le traîne près de celui de l’autre, le pousse vers un guéret tout couvert de bleds, et le lâche. Il pensait par ce moyen réduire ces bleds en cendre; mais voici ce qui arriva. Le Renard au lieu d’aller en avant, rebroussa chemin pour retourner à son terrier; et comme il ne pouvait le gagner sans passer sur le champ de celui qui cherchait à se venger, il se lança tout au travers des bleds de ce dernier, et y mit le feu. Ainsi tout le mal tomba sur le méchant Laboureur qui vit tous ses grains consumés par son propre artifice.

Du Palefrenier et du Cheval.

Un Seigneur eut besoin aux champs d’un Cheval qu’il avait laissé à la ville, et manda à son Palefrenier qu’il eût à le lui amener au lieu où il était. Celui-ci, l’ordre reçu, partit avec le Cheval. Comme ils passaient tous deux au travers du pré de leur Maître, l’Homme s’aperçut que l’autre baissait la tête et y broutait à la dérobée quelque peu d’herbe. – Larron, lui dit-il en le frappant rudement, ne sais-tu pas bien que cette herbe appartient à notre Maître, et que d’en prendre comme tu fais, c’est lui faire du tort. – Mais toi-même, repartit le Cheval, qui ne me donnes jamais que la moitié de l’avoine qu’il m’achète, ignores-tu que cette avoine lui appartient, et que d’en dérober l’autre moitié, comme c’est ta coutume, pendant que je maigris à vue d’oeil, faute de nourriture, c’est lui faire un tort bien plus considérable que celui que tu me reproches? Cesse donc de me maltraiter. Si tu veux que je lui sois fidèle, commence par m’en donner le premier l’exemple. -

De la Corneille et des Oiseaux.

La Corneille fournit un jour ses ailes de plumes qu’elle avait ramassées dans divers nids d’Oiseaux, et vint en faire parade devant ces derniers. Ceux-ci furent d’abord charmés de la bigarrure de son plumage; mais dès qu’ils l’eurent considérée de plus près, chacun s’aperçut de la ruse. Et les Oiseaux tout indignés tombèrent aussitôt sur elle, et lui arrachèrent à grands coups de bec, non seulement les plumes qui leur appartenaient, mais encore les siennes propres. La Corneille ainsi déplumée se trouva si hideuse, qu’elle courut se cacher, et n’osa plus se montrer, même devant les Corneilles.

Du Fermier et du Cygne.

Un Fermier tenait un Cygne, et croyait tenir une Oie. Comme il allait lui couper la gorge, le Cygne chanta; et l’Homme qui le reconnut à la voix, retira aussitôt le couteau. – Cygne, lui dit-il en le caressant, aux dieux ne plaise que j’ôte la vie à qui chante si bien. -

De la Poule et du Chat.

Une Poule avala par mégarde quelque insecte venimeux, et en tomba malade. Comme elle n’allait qu’en traînant l’aile, un Chat l’aborda: – Ma fille, lui dit-il d’un ton officieux, n’y aurait-il pas moyen de vous soulager? – Oui, repartit la Poule, il en est un des plus sûrs, et il ne tiendra qu’à toi de l’employer. – Et ce moyen, quel est-il, ma chère? reprit le Chat. C’est, répondit l’autre, de vouloir bien te tirer à quartier, et le plus loin qu’il te sera possible. -

D’un Chasseur et d’un Berger.

Un chasseur allait et revenait d’un air empressé de çà, de là, tantôt dans la forêt, puis dans la plaine. – Que cherchez-vous? lui dit un Berger qui le voyait s’agiter. – Un Lion, répondit l’autre, qui m’a dévoré, ces jours passés, un de mes meilleurs Chiens. Que je le trouve, et je lui apprendrai à qui il se joue. – Suivez-moi, reprit le Berger, et je vous montrerai la caverne où il se retire. – Ami, lui repartit l’autre en changeant de couleur, outre qu’il est un peu tard, je me sens à présent trop fatigué pour pouvoir m’y rendre aujourd’hui; mais compte que je reviendrai demain avant le point du jour te prier de m’y conduire. – Ce jour venu le Berger l’attendit et l’attend encore.