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Elle quitta la table pour s’approcher de la fenêtre. Le crépuscule prenait des teintes rougeâtres.

— Si, à la vérité. Croyez-vous que cela ait une grande importance ?

— N’oubliez pas qu’un prisonnier politique ne peut espérer une réduction de peine que du gouverneur de l’état, avec approbation fédérale puisque notre parti est interdit sur tout le territoire. Ce ne doit pas être facile à obtenir. Il a dû bénéficier de puissants appuis. Certainement celui d’un sénateur.

Troublée la grosse femme tourna le dos à la fenêtre et le regarda.

— Vous raisonnez juste, Compton, il est dommage que nous n’ayons pas discuté de cela quelques jours plus tôt. L’ennui dans notre organisation, c’est que nous sommes tellement dispersés, compartimentés, que si un traître s’introduit dans nos rangs il est difficile de le découvrir rapidement.

Dans son énervement, Compton eut du mal à allumer sa cigarette.

— Mais, continua la grosse femme, que pouvons-nous craindre ? Nous ne représentons pas un gibier très intéressant pour la police fédérale. Nous ne connaissons pratiquement rien. Nous n’avons été que des militants de base un peu plus fidèles que les autres, c’est tout.

Son compagnon tourna son visage vers elle qui le trouva brusquement émouvant, avec son grand nez rougi et ses joues creuses envahies par un poil grisâtre. Un bon vieux, pensa-t-elle. Voilà de quoi il a l’air maintenant.

— Je suis las, Emily, et j’aimerais couler des jours tranquilles en compagnie d’une femme comme vous, mais je ne voudrais pas abandonner ce pourquoi j’ai lutté toute ma vie. Si Quinsey a trahi il faut que je le prouve et alerte nos amis. Il se leva et alla chercher sa gabardine, son chapeau et son éternel cache-nez noir dans sa chambre.

— Il est sept heures. L’émission commence dans un quart d’heure, mais tout est en place pour la recevoir. Pour une fois, Emily, je vous laisserai faire.

La grosse femme inclina la tête avec une gravité nouvelle. Elle approuvait entièrement l’entreprise de son compagnon. Il avait eu pour elle des paroles qui l’avaient profondément touchée, même si elle n’y avait pas répondu.

— De toute façon je serai de retour pour notre temps de vacation. Exceptionnellement, aujourd’hui, nous pouvons émettre depuis la cour. Nous ne l’avons jamais fait, nous ménageant ainsi cette possibilité pour une pareille occasion.

— D’où allez-vous téléphoner ?

— De la cabine en face du Starlite Motel. J’espère être de retour dans une heure au plus.

Au passage il prit un beignet et le mangea avec un air satisfait.

— Ils sont excellents savez-vous ? Vous êtes une bonne cuisinière et il ne doit pas être désagréable de vivre en votre compagnie.

Pour une fois le visage d’Emily perdit toute sa méfiance et ses yeux n’eurent pas cet éclat cruel qu’il leur connaissait. Elle n’osa cependant par lui répondre ni se rapprocher de lui.

La camionnette manœuvra dans la cour, et elle n’alla à la fenêtre que pour voir les feux de position s’éloigner dans le chemin creux, devenir deux minuscules points, se ravivant soudain quand Fred Compton freina à proximité de la highway.

CHAPITRE VII

Kowask s’était à tout hasard posté à côté de l’entrée. Si l’inconnu tentait de pénétrer dans l’appartement, il serait dissimulé par le battant. L’homme semblait avoir sonné selon une convention préétablie, mais quand il insista il se contenta d’appuyer sur le bouton par petits coups. Le marin fronça les sourcils. Était-ce un habitué ou un visiteur tout à fait ordinaire ?

Collant son oreille contre le bois de la porte, il entendit l’inconnu racler sa gorge, bouger ses pieds. Après un dernier coup de sonnette il se décida à partir. Ses pas traînaient dans le couloir, puis ils moururent dans l’escalier.

Sans plus attendre, Kowask ouvrit la fenêtre, agrippa un des cercles de protection de l’escalier de secours. Ne pouvant pénétrer dans l’étroit cylindre qu’ils formaient pour protéger la descente.

Il les utilisa pour rejoindre le sol qu’il atteignit après un saut de deux mètres. Ayant emprunté un étroit passage, il se retrouva sur le trottoir lorsque l’inconnu, du moins il supposa que c’était le même, sortit de l’immeuble. C’était un homme de taille médiocre, de type espagnol avec ses cheveux noirs et son teint sombre.

Le latin alluma une cigarette pour regarder autour de lui puis se dirigea sur sa droite. La filature ne fut pas très longue, elle entraîna Kowask jusqu’au bar voisin. L’inconnu commanda une bière et un jeton de téléphone, se dirigea vers la cabine au fond du couloir.

Son absence dura cinq minutes que le lieutenant de vaisseau mit à profit pour pénétrer dans le bistrot, commander une bière en s’installant dans un box, et la payer pour pouvoir sortir à sa guise. Protégé par un journal il vit revenir son client qui arborait une mine sombre. Arrivé au comptoir, il sortit de sa poche de la menue monnaie qu’il compta avec application, voire avec une certaine inquiétude. Le barman recompta après lui, le visage soupçonneux puis méprisant devant la médiocrité du pourboire.

— Connaissez pas un certain Quinsey qui habite le bloc au 147 ?

Le barman daigna à peine secouer sa tête.

— Un type qui a une Chevrolet verte. Il n’est pas plus grand que moi mais il est chauve.

L’homme du bar s’éloigna en secouant la tête pour servir d’autres clients, et le petit Espagnol soupira, avala sa bière et regarda autour de lui. Il effleura à peine le journal derrière lequel se dissimulait Kowask. Ses yeux reflétaient un désespoir réel. Il paraissait désemparé.

Quand son verre fut vide le barman se hâta de le lui rafler et de lui demander :

— Autre chose, Jack ?

L’homme se sépara du comptoir comme d’une planche de salut, et se dirigea sans entrain vers la porte. Kowask continua de lire. L’homme était trop embêté pour s’éloigner rapidement et il préférait lui laisser prendre une certaine distance. Il le retrouva en contemplation devant la vitrine d’un restaurant qui exposait des plats en carton-pâte, d’un réalisme quelque peu poussiéreux.

L’un derrière l’autre ils continuèrent ainsi, mais l’Espagnol fit un écart pour éviter le poste de police. Kowask jeta un coup d’œil à sa Jaguar qui attendait dans le parking officiel. Il espérait ne pas rencontrer le lieutenant Cramer. L’Espagnol s’immobilisa à un arrêt d’autobus et parut vouloir attendre. Il devait habiter en dehors de la ville. Kowask revint rapidement sur ses pas et s’approcha de sa Jaguar comme s’il voulait la voler. Il craignait d’attirer l’attention d’un flic qui l’aurait reconnu.

Il poussa un soupir de soulagement quand il revit son homme toujours en attente. Il alla stationner un peu plus loin et sortit pour glisser une dime dans la fente de l’appareil. Il pouvait surveiller l’arrivée de l’autobus.

L’Espagnol en laissa repartir un sans y monter, mais n’eut que cinq minutes à attendre pour prendre celui qui desservait la U.S. 1 jusqu’à Daytona.

La filature fut assez difficile car la nuit était totale et épaisse. Le premier arrêt s’effectua à deux miles environ de Cocoa. Il ralentit le plus possible, à cent mètres du bus, puis le dépassa en pleins phares. L’Espagnol n’était pas l’une des trois personnes qui venaient de descendre.

Il eut l’intuition que son homme serait arrivé à destination quand il aperçut la pancarte du « Bridge trailer’s ». Un camp pour caravanes. Il était possible que …

Ralentissant à l’extrême il se laissa doubler par le car, en souhaitant que l’Espagnol ne remarque pas son manège. Comme prévu il quitta le véhicule à l’arrêt du camp en compagnie d’une demi-douzaine de personnes. Kowask continua de rouler un bon moment avant de faire demi-tour. Il croisa le car qui continuait vers Daytona, se gara sur l’accotement.