Kowask alluma une cigarette sans lâcher son arme.
— Cela ne nécessitait pas de grandes conversations.
Rabazin sourit :
— Bien sûr, mais l’un et l’autre nous étions curieux de savoir ce que manigançait Quinsey, et nous avons fini par devenir sinon amis, du moins copains.
— Et Quinsey ne se doutait pas de vos conciliabules ?
— Si, mais il me payait pour que j’essaye de savoir ce que pensait le marin.
En fait Quinsey encourageait ces longs contacts. Maintenant Kowask était certain que Rabazin ressemblait à Farnia, l’agent cubain dont avait parlé Sunn. Sans être son sosie il pouvait passer facilement pour lui, au regard de gens qui ne le voyaient pas souvent.
Pour plus de certitude il demanda brutalement :
— Connaissez-vous un certain Farnia ?
— C’est la première fois que j’entends ce nom, dit le Mexicain. Qui est-ce ?
D’un geste il éluda la réponse.
— Pourquoi Quinsey aurait-il tué Ford ?
— Quelques jours avant sa mort il m’a dit qu’il n’aurait plus besoin de moi. Il m’a donné dix dollars et m’a conseillé de ne plus m’occuper de cette histoire.
— Mais vous connaissiez son adresse ?
— Je l’ai suivi ce soir-là, et il m’a été facile de le faire sans me faire remarquer.
En supposant que Quinsey ait voulu faire passer Rabazin pour un agent castriste, pourquoi l’avait-il laissé en vie ?
— Il ne vous à pas donné d’autres conseils ?
— Si, celui de filer ailleurs si je ne voulais pas me trouver dans une position difficile. Je lui ai promis de m’en aller le lendemain. Il a pu le croire, car c’est ce jour-là que j’ai amené ma voiture à un garage d’Orlando, pour la vendre. Je suis resté deux jours dans cette ville. S’il est venu se renseigner au camp il a dû apprendre mon absence.
— Et vous êtes revenu pourtant ? Le Mexicain sourit :
— J’ai flambé les deux cents dollars que m’avait rapportés la vente de ma voiture. Je suis donc rentré avec juste de quoi manger, et puis j’ai réfléchi.
— Il était dangereux d’aller sonner chez Quinsey.
— Je lui aurais fait croire que j’avais pris certaines précautions. En fait je voulais deux cents dollars pour m’en aller vraiment. Je ne peux plus vivre dans le coin. Je suis repéré et je n’arrive pas à trouver de pigeons.
Kowask le contempla en silence. Sans s’en douter, Rabazin prenait une importance considérable.
Il achevait de donner ce coup de pouce qui orientait différemment toute l’enquête. Pendant ce temps, Sunn et Hammond devaient chercher la fameuse boîte de jonction entre le réseau officiel et le clandestin. Ils finiraient par trouver un groupe de pauvres types ne comprenant rien à rien, alors que c’était ailleurs que se cachait la vérité. Combien de temps mettrait la C.I.A. avant de comprendre qu’on les avait guidés justement sur une fausse piste ? Le canular devait être de taille.
Le Mexicain finit le fond de son verre, tendit la bouteille vers Kowask qui refusa.
— J’ai changé d’avis. Je vais vous donner davantage, mais vous allez suivre scrupuleusement mes instructions. N’essayez pas de vous défiler car vous n’iriez pas loin.
— Vous êtes du F.B.I. ?
— Non. Peu importe. Une dernière question. Est-ce que Quinsey et Ford se rencontraient souvent ?
— Pas depuis que j’étais entré dans le coup. Je crois que Ford avait fait un travail assez important et dangereux pour Quinsey, au début. Il avait dû recevoir beaucoup d’argent mais paraissait regretter d’être entré dans cette combine.
Kowask se leva :
— Vous savez que Quinsey a disparu ? On a repêché sa voiture dans un marais du côté de New-Smyrna.
— Quelle voiture ? La vieille Chevy verte ou la Pontiac rose et noire datant de l’année dernière.
Le lieutenant dissimula sa surprise :
— La Chevy. Comment savez-vous qu’il en possédait deux ?
— Je n’aime pas me laisser rouler. Il me rencontrait toujours au volant de la vieille, mais une fois je l’ai vu dans la Pontiac. Malin, il ajouta doucement.
— Je crois bien avoir noté le numéro. Kowask le considéra d’un œil froid :
— Ne jouez pas ce jeu-là avec moi mon vieux. Je vais essayer de vous obtenir une prime de mes services. Peut-être plus forte que les deux cents dollars que vous vouliez soutirer à Quinsey.
Il avait rengainé son arme, mais il enfonça son index dans le plexus de l’homme :
— Ce numéro ?
— FD 19537. Plaque de l’état de Floride.
— Merci. Je vous téléphonerai demain. Le matin, et vous indiquerai où vous devez aller. Sans un regard il quitta la roulotte.
CHAPITRE VIII
Après plusieurs coups de téléphone, Kowask rejoignit Sunn et Hammond dans leur bureau de Patrick Base. Les deux hommes avaient étalé une immense carte de la région sur le sol, et, à quatre pattes, le crayon à la main, paraissaient s’affairer sérieusement. Un troisième loustic parlait au téléphone, et, sur le bureau, des canettes de bière toutes à moitié vides achevaient de se réchauffer. Quelques sandwiches mordus à la hâte traînaient un peu partout.
Sunn tendit vers l’arrivant une sorte de mufle contracté.
— Vous avez abandonné la planque ? Et si un gars se présente ?
— Personne ne viendra, dit tranquillement Kowask. Je suis venu à toute vitesse car j’ai eu une idée formidable.
Sans reprendre souffle et avec une naïveté vraiment bien imitée il déballa la suite :
— Ford était spécialiste météo et pouvait donner des renseignements sur les transmetteurs de cartes. J’ai pensé que cette longueur impressionnante de fil avait servi à poser une liaison clandestine entre…
Sunn se redressa sur ses genoux, un sourire goguenard sur ses lèvres minces. Hammond moins discret commençait de se taper sur les cuisses.
— Et que croyez-vous que nous ayons dans le crâne ? De la farine de cacahuètes ?
Kowask regarda la carte puis Sunn, d’un air terriblement vexé :
— Je comprends. Vous étiez en train de me doubler comme deux salauds que vous êtes.
En fait tout ce qu’il désirait, c’était que Sunn ne s’interroge pas trop sur les vrais motifs qui lui avaient fait quitter le 147 de la 4° Rue.
— Bon sang, Kowask, c’est vous-même qui avez proposé de rester là-bas. Nous étions tellement excités par cette découverte que nous vous avons complètement oublié.
Décidément ils allaient le prendre pour un parfait idiot, mais il finit par sourire gentiment.
— Bon. Vous permettez que je jette un coup d’oui ?
Il s’agenouilla à son tour et prit un relevé des installations souterraines et volantes. D’un regard, il vit que Sunn avait reporté le tracé au crayon bleu sur l’immense carte d’état-major. Il fit semblant de s’absorber dans la contemplation de celle-ci, les laissant mijoter.
— Trois équipes pataugent dans les marais avec des projecteurs et les appareils de détection. Jusqu’à présent ça n’a rien donné.
— Mais si la connexion s’est faite sous terre, comment espérez-vous y arriver ?
Sunn soupira, légèrement excédé. Kowask comprit qu’il allait parfois trop loin dans la naïveté et que les autres finiraient par se méfier.
— J’y suis, dit-il, grâce à une bobine d’induction. Mais dans ce cas il faut une émission permanente ?
— Nous nous contentons d’envoyer des impulsions électriques dans les réseaux. Insuffisantes pour mettre les réceptrices de fac-similé en route, mais permettant à nos hommes de trouver une source différente de courant. Ces salauds doivent utiliser un courant de compensation, soit par pile soit par éléments de batterie.