Kowask approuva de la tête :
— Et une fois que vous aurez trouvé la boîte de connexion il vous suffira d’envoyer du courant dans le fil clandestin pour pouvoir le suivre.
— En souhaitant que l’enregistreuse de ces salauds ne soit pas sous tension, sinon ils seront alertés par le léger bourdonnement des condensateurs.
Même si le courant est très faible. Je ne pense pas que ce fil soit enterré très profondément. Ils ont dû installer ça en une seule nuit. Ils n’avaient pas de temps à perdre. Imaginez que ce soit un téléphone qu’il y avait au bout du réseau clandestin. En envoyant du courant nous le ferions tinter imperceptiblement.
Kowask alluma une cigarette et pointa son doigt à un endroit précis, celui où le réseau officiel suivait un canal de drainage sur un bon mile, en direction d’Orlando.
— Regardez un peu ici mon vieux, dit-il à Sunn.
Celui-ci, d’abord sceptique, sauta finalement sur ses talons.
— J’ai l’impression que vous avez mis le doigt dans le mille et ce n’est pas une figure.
Il se tourna vers le gars du téléphone :
— Alertez l’équipe de Stommer. Qu’ils se dirigent immédiatement vers le canal de drainage qui se trouve devant eux à l’ouest, à deux miles environ. Qu’ils fouillent consciencieusement le coin.
L’autre transmit les ordres. La liaison devait s’effectuer par radio. Sunn se tourna vers Kowask.
— On va aller là-bas. Mais il faut changer de tenue. Battle-dress et bottes pour aller patauger dans les marais. Voua en êtes, ajouta-t-il avec regret.
— Bien sûr mais je ne possède pas un tel équipement.
— On va vous le fournir ici-même.
Une demi-heure plus tard ils filaient dans une jeep de l’Air-Force. Tout de suite après l’U.S. 1 le chauffeur emprunta un chemin bordé de marécages et de plantes aquatiques. Bientôt les roues soulevèrent des geysers d’eau fétide, et le brigadier qui les conduisait dut passer le crabotage. Ils roulèrent à dix miles à l’heure dans un demi-mètre d’eau.
— Espérons qu’on ne va pas basculer dans un trou, dit Sunn sur un ton rogue. Ne mettez jamais en pleins phares quoi qu’il arrive. Ces types-là sont au maximum à cinq miles d’ici, mais rien ne prouve qu’ils ont utilisé la totalité du fil. Si leur planque se trouve à deux miles, ils peuvent s’inquiéter de ces différentes lumières et de ces allées et venues.
Mais, quand ils rejoignirent les deux véhicules de l’équipe au travail, il faillit attraper une apoplexie. Les deux Dodges 4X4 illuminaient toute la région et les hommes s’interpellaient à voix haute.
Sunn commença par passer un savon à Stommer, un lieutenant d’aviation au visage sympathique qui serrait les poings sous la tempête.
Pendant ce temps, avec de l’eau jusqu’aux genoux, Kowask se dirigeait vers le canal d’irrigation. Il atteignit le rebord cimenté, qui surplombait les eaux de quinze centimètres seulement, et rejoignit deux hommes qui pas à pas, avec des crochets, soulevaient le câble sous-marin du télétype. Dans ses explications, le commodore Gary Rice n’avait pas fait de différence entre les parties souterraines et sous-marines. Tout serait encore plus facile que prévu.
Et tout au bout il y avait le piège dans lequel Quinsey, obéissant à des ordres mystérieux, avait voulu entraîner la C.I.A. Kowask ne savait s’il devait s’en réjouir ou s’en inquiéter.
Sunn le rejoignit en pestant. Il avait mis le pied dans un trou et l’eau avait passé par-dessus sa botte.
— Rien de neuf ?
L’équipe agissait avec précaution, car le raccordement pouvait avoir été fabriqué à la hâte et être de ce fait assez fragile.
— J’ai quelques renseignements sur le câble, dit Sunn. Section de deux pouces, revêtement en caoutchouc et les fils eux-mêmes sont sous gaine de même matière. Il a fallu quand même un spécialiste pour faire le raccordement.
— Ford ? proposa Kowask.
— Peut-être. Non content d’être météo il était un excellent réparateur radio.
Le câble avait été simplement déposé sur une sorte de corniche noyée sous les eaux.
Il y a un autre projet consistant à protéger la cible avec une installation en ciment, mais depuis quatre ans que ce système fonctionne il n’y a jamais eu de pépin.
Ils examinèrent le câble.
— Toujours en bon état. Il y a des chances pour que ça reste ainsi encore longtemps. Qui aurait imaginé qu’un fondu y relierait un fil clandestin ?
Kowask regarda l’heure à son boîtier lumineux.
— Il n’y a pas d’émission en ce moment ?
— Non, elle est terminée depuis une demi-heure.
Les phares des Dodge étaient maintenant en veilleuse. Sunn, les mains enfoncées dans les poches de son imperméable, grommelait entre ses dents.
— J’espère que ces imbéciles n’ont pas jeté la panique chez les types que nous cherchons. Ce serait jouer de malchance.
Puis soudain sa méfiance se manifesta à nouveau. Il lorgna du côté de Kowask, l’observant en silence.
— Je me demande, dit-il enfin, comment vous avez fait pour trouver si vite ce canal d’irrigation.
— J’avais potassé la question au domicile de Quinsey. J’ai eu le temps de réfléchir dans cette solitude forcée. J’avais un téléphone à ma disposition, et j’en ai profité pour appeler le département de la Navy à Washington.
Le visage de Sunn parut s’allonger encore, et ses yeux triangulaires se plissèrent encore ne laissant plus filtrer qu’une lame dure.
— J’ai reçu quelques indications sur les réseaux de fac-similés, et quand je suis arrivé j’ai vu que vous en aviez fait autant.
Un silence tomba. Seuls les crocs des deux hommes râpant sur le ciment du canal le troublaient, et aussi les bruits mous des bottes dans le marais.
— Vous n’étiez pas obligé de revenir vers nous.
Kowask éclata de rire.
— Je croyais que nous marchions la main dans la main. Mais en réalité je ne disposais pas de vos moyens.
Le visage de Sunn se dérida. Il préférait ce genre de réponse à une naïveté de boy-scout prolongé.
— Bien obligé d’en passer par nous, Kowask. J’ai l’impression que nous allons mettre le nez dans une sacrée histoire. Ce qui m’ennuie le plus, c’est que ce Cubain, Farnia, y semble mêlé. J’ai eu d’autres renseignements sur lui. C’est un crack des services secrets de Castro. Pour qu’il se soit amusé à rencontrer Ford, il faut que la chose en ait valu la peine.
Kowask hocha la tête d’un air compréhensif. !
— Avez-vous une photographie de ce Farnia ? J’aimerais connaître la tête de ce Cubain.
— Demandes à Hammond, il a sur lui des épreuves de ce type.
Hammond ne fit aucune difficulté pour lui en donner une. Kowask les regarda pendant une bonne minute, avec une satisfaction qu’il garda pour lui. Il n’avait plus aucun doute. Rabazin pouvait passer pour le Cubain. La ressemblance n’était pas totale, mais il y avait quelque chose d’identique chez les deux hommes, qui avait abusé le patron et la serveuse du bistrot de Melbourne.
Il sourit à Hammond.
— Inconnu.
Il rejoignit Sunn qui suivait pas à pas l’équipe en train de vérifier le câble.
— Je me demande à quoi pouvaient servir les attaches et les pointes en acier spécial.
— Nous n’allons pas tarder à l’apprendre, dit Kowask.
Sunn eut un sourire un brin méprisant.
— Encore une hypothèse, lieutenant ?