La fouille complète de la voiture ne donna rien. Elle ne devait pas servir souvent et Quinsey avait dû la réserver pour les grandes occasions.
Kowask fit quelques pas jusqu’aux champs de coton. La terre était molle mais il n’apercevait aucune trace. À croire que le petit homme n’était pas venu par là.
Il revint jusqu’à la route d’où la Pontiac restait invisible. La seule explication était que Quinsey avait fait de l’auto-stop pour se rendre à un endroit mystérieux, et en espérant retrouver plus tard son auto. Pourquoi toutes ces précautions ? Il avait passé la nuit ailleurs.
Kowask fronça les sourcils. Pourquoi n’avait-il pas emporté son pyjama et ses pantoufles ? Un homme qui prend le temps de se sauver avec ces deux objets est un type aimant son confort. Quinsey devait espérer revenir plus vite, mais une raison inconnue l’en avait empêché.
Il remonta dans la Mercury, suivit la route encore un peu jusqu’à ce qu’il découvre le panneau de Bustop. Il s’arrêta et alla le consulter. Trois voitures par jour allaient vers Selma et trois autres vers Tuscaloosa. Quinsey pouvait très bien avoir emprunté ce moyen de locomotion. Il avait quitté la Floride dans la nuit, avait dû arriver dans le coin au matin.
Mais alors pourquoi dépasser Selma si c’était pour y revenir ensuite ? Quinsey avait dû continuer vers le nord avec l’intention de revenir par le même moyen dans la journée.
La tête de ligne paraissait se trouver à Selma. La première voiture quittait cette ville à six heures du matin, arrivait à Tuscaloosa à neuf heures. La même voiture repartait à onze heures pour rejoindre Selma à quatorze heures, et faire encore un voyage entre quinze et dix-huit heures. La compagnie employait donc deux autobus et il serait certainement aisé de rencontrer les chauffeurs.
Le capitaine Carsen buvait une bière au bar voisin.
— La photographie ? La voilà. Je l’avais fait retirer en dix exemplaires par notre photographe officiel. Jusqu’ici ça n’a rien donné bien que j’aie mis trois hommes sur l’affaire.
— Je vous remercie. Où se trouvent les bureaux des autobus Whitney ?
Il lui fit part de sa théorie en quelques mots.
— Ça colle, dit le capitaine. Venez, nous allons les voir. Je connais bien le vieux Whitney.
En roulant vers la gare routière il lui demanda à quelle heure il pensait que Quinsey avait pris l’autobus.
— Certainement à douze heures trente ou à quinze heures trente.
— Aïe, ça fait deux chauffeurs différents. Si nous avons la chance d’en trouver un, l’autre sera en route.
Le vieux Whitney, cheveux gris et visage de buveur de bourbon, se mit tout de suite à leur disposition.
— Sam est ici. Peut-être pourra-t-il vous renseigner ; sinon il faudra attendre le retour de Lewis à 14 h.
Le chauffeur était en train de casser la croûte au snack de la gare. Il prit la photo, l’examina avec soin puis secoua la tête.
— Pas vu cette tête-là. À l’arrêt № 2 dont vous parlez y avait qu’une bonne femme que je connais depuis longtemps. S’il a emprunté un de nos tacots, l’a pu le faire qu’avec Lewis.
Kowask, affamé, décida de manger sur place et le capitaine s’installa en face de lui devant un verre de bière. Ils discutèrent de choses et d’autres, puis, en attendant quatorze heures, Kowask alla chercher sa Mercury de location devant le siège de la police. Le temps lui parut long, mais l’autobus arriva sans retard.
Lewis fut formel.
— Bien sûr que je l’ai embarqué. J’ai même été surpris car je connais mes clients du numéro 2. Il y a une grande exploitation agricole dans le coin. Ce type est allé s’asseoir dans le fond et est descendu à l’arrêt six, un peu après le carrefour avec la 231.
— Qu’y a-t-il dans le coin ?
— Pas grand-chose. Des fermes et pas mal de terres incultes. Y’a aussi un patelin de négros à un mille de la route. Peut-être que votre gars y est allé.
Kowask voulut lui donner cinq dollars, mais l’autre refusa et ils allèrent boire un verre ensemble. Lewis le trouvant sympathique fouilla dans ses souvenirs.
— Au carrefour il y a une station-service. Peut-être qu’ils pourront vous renseigner sur lui. L’arrêt numéro 6 est à deux cents mètres pour des raisons de sécurité.
Kowask prit donc la route de Tuscaloosa et s’arrêta pour vérifier la présence de la Pontiac rose et noire. Elle n’avait pas bougé d’un centimètre. Une heure plus tard il s’arrêtait à la station-service, faisait faire le plein. C’était un noir indolent qui distribuait l’essence et paraissait le gérant. Il hocha la tête devant la photographie de Quinsey.
Peut-être le gars qui a attendu une bonne heure sur la route. Je croyais qu’il faisait du stop et j’avais peur qu’il ne vienne jusqu’ici pour empoisonner mes clients. J’aime pas ces types. Ils ont un culot monstre. Mais non. Il est resté bien sagement là-bas et puis une voiture est arrivée.
— Vous avez pu voir la marque ?
— Sûr. Une Cady blanche. Une sacrée bagnole ! Elle s’est arrêtée et le type a embarqué. Direction Tuscaloosa.
Kowask lui donna un bon pourboire et suivit la route. Il freina soudain et passa la marche-arrière pour remonter vers deux agents, motocyclistes embusqués dans un chemin de traverse. Les deux flics le regardèrent avec méfiance.
— Quelque chose de cassé, monsieur ? Kowask sourit et leur montra ses papiers.
— Vous étiez peut-être là hier après-midi ? Je cherche une Cadillac blanche qui a dû passer devant vous.
— Nous étions de faction un peu plus loin en effet, mais je ne me souviens pas d’avoir vu une Cady. On remarque ce genre de bagnole, surtout les blanches.
Son collègue paraissait aussi de cet avis. Il était moins rogue, plus jeune.
— Il passe quand même pas mal de voitures et nous connaissons trois sur cinq de leurs propriétaires. Nous avons galopé après un fondu complètement rond pendant une bonne demi-heure, presque jusqu’aux portes de Tuscaloosa. Le gars a pu passer pendant ce temps.
C’était même probable. Kowask les remercia et continua vers Tuscaloosa. Il se mit en quête d’un téléphone mais dut attendre avant d’avoir le commodore Rice au bout du fil. Il le mit au courant de la progression de son enquête.
— Quinsey est drôlement méfiant, mais j’ai l’impression que c’est plus envers les gens qu’il avait à rencontrer que contre une éventuelle filature.
— Pourquoi ?
— Il a laissé sa voiture à quarante miles de l’endroit de son rendez-vous, en espérant la récupérer quelques heures plus tard. Il avait dû se documenter avec soin sur les transports de la région. J’ai peur qu’il ne lui soit arrivé quelque chose de fâcheux.
— Votre hypothèse ?
— Peut-être venait-il rendre compte et empocher du pognon et ses employeurs ont préféré se débarrasser de lui.
Rice observa un silence de quelques secondes.
— Oui, ça se tient. Je me demande s’ils ne le cuisineront pas avant pour savoir comment il est arrivé jusque-là. Ne faudrait-il pas surveiller la voiture ?
— Puis-je le demander an capitaine Carsen ?
— Bien sûr. Au nom de la Navy. Autre chose j’espère avoir d’ici ce soir des renseignements sur la réceptrice de fac-similés météo. La machine est construite à Détroit et les distances n’arrangent rien. Peut-être pourrons-nous en tirer quelque chose.
Kowask appela ensuite le capitaine Carsen et lui demanda s’il pouvait poster un homme jusqu’à son retour. L’ancien second maître hennit de plaisir.
— J’ai toujours un homme là-bas et il vous a vu casser une vitre. Il a failli intervenir, mais votre apparence lui a dicté une certaine prudence. Je vais continuer de la faire surveiller, soyez tranquille. Que ne ferait-on pas pour cette vieille Navy ?