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— Dites à votre gars que je viendrai le relayer avant la nuit. Et qu’il évite de se montrer … Qu’il reste plutôt dans les parages. Vous voyez ?

Carsen voyait exactement ce qu’il fallait faire, et Kowask raccrocha, un sourire aux lèvres. Il n’avait plus rien à faire dans la région.

L’après-midi était largement entamé quand il arriva en vue du chemin creux. Il laissa sa voiture sur l’accotement et se dirigea vers la Pontiac. S’arrêtant à côté de la voiture il alluma une cigarette et parla à voix haute :

— Je suis l’ami du capitaine Carsen.

Un bruit léger le fit retourner et il aperçut un policier en uniforme qui sortait des buissons voisins. Il souriait tout en le regardant.

— Je vous attendais, monsieur.

— Rien à signaler ?

— Non, même pas un rôdeur. L’endroit est totalement désertique et on n’entend même pas les oiseaux. Je vais rentrer à Selma.

— Vous avez un véhicule ?

— Une moto que j’ai cachée un peu plus loin. Kowask l’accompagna :

— Je vais planquer ma voiture. Vous direz au capitaine qu’il ne se fasse pas de souci à mon sujet.

L’agent désigna sa cachette de buisson.

— On n’y est pas trop mal et on peut fumer. Le vent arrive de l’ouest. Le seul ennui c’est qu’il peut se mettre à pleuvoir.

Le lieutenant de vaisseau prit son imperméable et revint prendre son poste. Il trouva la place du policier, un siège de pierres plates qui lui permettaient de voir la Pontiac sans qu’on puisse soupçonner sa présence. Il la surplombait même et l’endroit était vraiment bien choisi.

Les véhicules invisibles filaient sur la route proche, et pendant la première heure, si l’un d’eux ralentissait tant soit peu il se figeait instantanément. Il fuma plusieurs cigarettes, tandis que le vent devenait plus violent et que de gros nuages noirs défilaient au-dessus de lui, donnant à la campagne une apparence sinistre.

Enfin la pluie tomba et il plaça son imperméable sur son crâne, se demandant s’il lui faudrait passer toute la nuit à espérer une visite.

La nuit vint sans transition tant le ciel était couvert. La pluie tombait sans relâche. Il avait soif et ne réussissait à recueillir qu’un peu d’eau dans ses mains. Avec l’obscurité il n’osait plus fumer et était prêt à abandonner.

Sur la route les pneus des autos chuintaient doucement, mais la circulation se ralentissait de plus en plus. Bientôt les phares trouèrent la nuit épaisse et il regardait naître et mourir leur lueur.

À plusieurs reprises il se releva pour combattre l’ankylose qui le gagnait. Un moment, alors qu’il était debout, il eut envie de s’en aller et de rentrer à Selma. Personne ne viendrait prendre la Pontiac.

Pourtant il patienta encore une heure, jusqu’à ce que sa montre indiquât neuf heures. Il quitta sa cachette, passa à côté de la Pontiac. La route étant proche il vit passer un véhicule au ralenti. Il eut soudain une intuition et rebroussa chemin à toute vitesse. Bien lui en prit. Le moteur de la voiture inconnue mourut soudain, et, une minute plus tard, un bruit de pas lui parvint du chemin creux. À moins d’un hasard, les arrivants ne pouvaient s’intéresser qu’à la Pontiac.

CHAPITRE XII

Kowask, accroupi derrière les buissons, vit un homme près de la Pontiac. Il ouvrit la portière côté chauffeur et le plafonnier s’alluma. L’homme jura et éteignit presque aussitôt. Le marin avait eu le temps de distinguer un long visage au menton épais, au nez épaté et aux cheveux clairs.

Un antre individu s’approchait également, mais de l’autre côté.

— M …, il n’y a plus de vitre de ce côté ! Les deux hommes parurent s’interroger pendant quelques secondes sur ce phénomène.

— Bon, ta as les clés, file devant, je te suis avec la camionnette. Ne roule pas vite. Ne t’inquiète pas de ne pas me voir derrière, je surveillerai un peu. Il n’est pas possible que cette bagnole soit restée là vingt-quatre heures sans attirer l’attention.

— Toujours, le gars ne nous avait pas menti, dit le blond au menton lourd qui s’installait au volant.

— Vérifie tout, qu’on ne soit pas obligé de s’arrêter en route.

— Y’a de l’essence et de l’huile. Ça va marcher comme sur des roulettes.

— Bon, je te laisse. File !

La Pontiac recula dans le petit chemin puis s’éloigna vers le nord. Kowask se rongeait les poings. Il ignorait quelle voiture utilisait le deuxième individu. Il aurait pu se lancer sur les traces de la Pontiac avec des chances de la retrouver. Une camionnette, avait dit celui qui restait. C’était vague.

Il décida de passer à l’action. Sans plus attendre, il quitta son abri, et, tournant le dos au chemin creux, partit dans la campagne, faisant un crochet pour rejoindre la route. Il parvint à la camionnette quelques secondes après l’inconnu. Ce dernier s’apprêtait à monter au volant quand un bruit l’alerta. Il n’eut pas le temps de dégager sa jambe qu’un poing solide frappait son menton. C’était un coup très rude, mais l’homme savait encaisser. Il pivota, s’assit jambes en dehors et rua.

Kowask ne put complètement éviter le choc des deux grands pieds et sa cuisse droite reçut un coup terrible. Il fut déséquilibré et l’homme crut pouvoir en profiter. Le marin feinta encore et l’autre suivit son élan. Kowask lui enfonça son coude entre les côtes, le temps de lui couper le souffle et de se mettre dans une position plus favorable pour le cogner à la nuque. L’homme partit en avant et s’étala de tout son long. Il bougeait encore et il dut le finir d’un coup de pied à la tempe.

En vitesse, il lui attacha les mains dans le dos avec sa ceinture d’imperméable et rabattit le haut de son blouson en cuir sur ses biceps. Il lia ses jambes avec la ceinture de son pantalon. Il le fouilla, trouva sur lui un automatique et des papiers au nom d’Alan Culross, mécanicien, domicilié à Bessemer dans l’État.

Kowask l’installa à côté de lui, mit en route avec les clés qu’il retrouva dans l’herbe de l’accotement. Elles y étaient tombées au cours de la bagarre.

Il lui fallut une demi-heure pour rejoindre la Pontiac. Il la reconnut facilement. Son chauffeur roulait sagement à quarante miles maximum. Il le laissa filer et garda deux cents mètres environ entre les deux véhicules.

À côté de loi Culross grogna et commença de citer. Kowask le surveillait du coin de l’œil. Ils n’étaient plus très loin de l’embranchement avec l’231.

La station-service tenue par le Noir était fermée. La Pontiac s’engagea sur la gauche et Kowask suivit. C’était à partir de là qu’il avait perdu la trace de Quinsey, embarqué dans une Cadillac blanche. Ralentissant le plus possible il éteignit complètement ses phares. Le chauffeur de la Pontiac pouvait s’étonner de voir la camionnette derrière lui, alors que Culross devait surveiller leurs arrières.

Quand les feux rouges ne furent plus qu’un point imperceptible il accéléra à nouveau. Son prisonnier, après avoir manifesté sa présence, observait un calme plutôt surprenant.

Il appréciait d’avoir parcouru la route en plein jour et d’en avoir noté les grandes particularités. Elle comportait peu de virages et, par contre, les grandes lignes droites étaient fréquentes. Aussi, lorsqu’il ne vit plus les feux rouges devant lui, il en conclut que la Pontiac avait tourné dans une route secondaire. Il ralentit encore et découvrit l’embranchement d’une petite voie étroite qui s’enfonçait dans la campagne.

La Pontiac roulait plus lentement, et maintenant les deux voitures n’étaient qu’à une centaine de mètres l’une de l’autre. Ils traversèrent un groupe d’habitations, un petit village endormi, puis la camionnette se mit à sauter sur un mauvais chemin. La route cessait d’être macadamisée. Quand la Pontiac tourna sur sa gauche, dans un chemin encore plus mauvais, Kowask commença de s’inquiéter. Une voie pareille ne pouvait conduire nulle part.