Il sourit. Il était curieux que ces deux associations, situées plus ou moins ouvertement de façon politique, soient installées en sandwich autour de l’Aéro-Club local. Les deux derniers étages devaient être organisés en appartement.
Le hall d’entrée, immense, luxueux, était en partie éclairé. Le bureau de réception se trouvait à droite. Il put apercevoir le gorille haut et large qui assumait la permanence. L’homme faisait face au hall et paraissait plongé dans la lecture d’un journal.
Kowask apercevait de lui un crâne plat et chauve, et les gros doigts boudinés qui tenaient le journal. Un dur à cuire certainement, chargé de vider les gens trop curieux ou qui n’avaient rien à faire dans l’immeuble.
Il traversa la rue. De la lumière brillait au deuxième et au troisième étage. Les membres de l’Aéro-club et de la Sauvegarde patriotique travaillaient tard.
Ayant rejoint sa voiture, il s’installa au volant ; et alluma une cigarette sans quitter l’entrée du 453 des yeux. Il se sentait brutalement freiné dans son enquête. Pas question de pénétrer dans l’immeuble. Le capitaine Charles avait bien su choisir son Q.G. Seule une perquisition officielle pouvait l’inquiéter et, dans l’état actuel des choses, il ne pouvait en être question.
En attendant, le temps s’écoulait vite et Robbins délivré pouvait alerter le président du club, le colonel Burgeon lequel préviendrait Charles.
Sur le papier à lettres qu’il avait trouvé à l’aérodrome, deux numéros de téléphone figuraient, celui du terrain et celui du siège. Il partit à la recherche d’une cabine téléphonique, la découvrit à cent mètres de là. Il glissa une pièce de dix cents dans la fente, forma le numéro du club.
Quand quelqu’un se manifesta au bout du fil il parla très vite.
— Allô, c’est toi Margie ? Dis donc je ne peux pas rentrer cette nuit figure-toi …
Une voix s’égosilla :
— Dites donc, refaites votre numéro ! Il n’y a pas de Margie ici !
Kowask jura, bredouilla de vagues excuses, et au lieu de raccrocher, déposa l’appareil sur la tablette. Désormais personne ne pourrait appeler le club et aucune communication ne serait possible au départ de ce dernier. Ce sursis durerait jusqu’à ce qu’une opératrice donne l’alarme. Il espérait que le capitaine Charles quitterait le club d’ici là.
La chance tourna en sa faveur. Un quart d’heure plus tard, quatre personnes sortirent de l’immeuble, discutèrent un moment sur le trottoir comme de paisibles bourgeois de petite ville. Ne sachant laquelle était le capitaine Charles, Kowask démarra et se dirigea vers la Fort Mims Avenue.
Emportant une couverture trouvée dans la Pontiac, il reprit le même chemin, escalada le mur aux tessons de bouteille sans encombre, repéra le garage à côté de la maison et attendit patiemment. Cinq minutes passèrent ainsi avant qu’une voiture ne s’arrête devant la propriété. Un homme de haute taille vint ouvrir le portail, passa dans la lumière des phares. Nu-tête ses cheveux paraissaient coupés court et de couleur claire. Ses épaules étaient larges.
Au lieu de remonter dans sa voiture il vint jusqu’au garage, fit basculer la porte. Ensuite il fit avancer sa voiture, une Buick toute récente l’arrêta dans le garage. Il ne pouvait pénétrer dans la villa par une porte intérieure, le garage étant nettement séparé du corps principal.
Kowask l’entendit siffloter après qu’il eût coupé le contact. Il s’approcha de lui alors qu’il se hissait sur la pointe des pieds pour attraper le haut de la porte basculante, et frappa sèchement de la crosse de son arme. Le ronronnement du mécanisme avait couvert les bruits de son approche. Le capitaine Charles tomba d’un seul bloc. Il trouva dans le garage même des fils électriques pour lui lier les pieds et les mains. Il n’eut plus qu’à aller chercher la Pontiac pour embarquer commodément sa victime. Il referma ensuite soigneusement toutes les portes et mit le cap vers l’est.
Empruntant une route secondaire à la sortie de la ville, il s’immobilisa dans l’ombre de grands arbres sur le côté droit. Même d’un véhicule passant tout proche on ne pouvait le voir.
Le capitaine Charles était toujours sans connaissance et il le fouilla. Son portefeuille contenait tes papiers militaires, sa carte de secrétaire général de l’aéro-club de Tuscaloosa. Il trouva également un important trousseau de clés, et un petit automatique. Il y avait un permis de port d’arme dans une des poches du portefeuille. La police de la ville devait être dévouée corps et âme à toute la clique dont le capitaine faisait partie. Il avait eu du flair de ne pas s’attaquer directement au club lui-même.
Il vérifia les liens du capitaine, le plaça entre la banquette et le dos du siège avant. Il reprit la route vers l’est en direction de la frontière d’État. En traversant Montgomery, au bout de quatre-vingts minutes, il s’arrêta devant une cabine téléphonique demandant Washington à l’opératrice.
Le commodore Gary Rice était toujours dans son bureau et il paraissait très énervé.
— Parfait, dit-il. Seulement on ne peut encore rien prouver. Les types de la C.I.A. font des pieds et des mains pour arriver à leur but. Comme la discrétion n’a pas été volontairement respectée, il y aura des fuites dans la presse de demain. L’opinion va réagir et le président risque d’être obligé de laisser la main. Voici ce que vous allez faire. Dans une demi-heure vous pouvez être à Shorter. Il y a là-bas un de mes anciens amis qui vous donnera un coup de main. Le commodore Mc Gregor. Je vais lui téléphoner, il vous attendra chez lui, route de Colombus au numéro 98. Nous aviserons dès que vous serez en sûreté là-bas. Je vais prévenir le F.B.I. de l’État, dans la mesure du possible. Il faut trouver un prétexte grave pour perquisitionner au club. Jusqu’à présent vous avez bien joué. Nous arriverons peut-être à stopper cette bande d’excités.
Quand il arriva en face de la villa du Commodore Mc Gregor une demi-heure plus tard, il aperçut de la lumière au-travers de la barrière blanche bordée d’arbustes verts.
Au premier coup de sonnette un pas rapide d’homme lourd fit crisser le gravier de l’allée. Vêtu d’une robe de chambre et tête nue le Commodore Mc Gregor, gros et l’air pas commode, le dévisagea en silence sous la lumière d’une lanterne en fer forgé.
— Lieutenant Serge Kowask.
Le bonhomme grogna et eut un sourire en coin.
— Content de connaître un lascar de Rice. Je vais vous ouvrir et vous ferez le tour de la maison. Nous débarquerons le colis de l’autre côté. Ni vu ni connu de cette façon.
— Vous habitez seul ici ? demanda négligemment Kowask. L’autre ricana :
— Non, avec ma femme, ma belle-mère et une sœur. Mais n’ayez crainte. Aucune de ces trois femelles n’osera mettre le nez à la fenêtre pour nous demander des explications. Je les supporte toute la journée. Normal que mes nuits m’appartiennent.
Dissimulant un sourire, Kowask reprit le volant. Ç avait jugé son homme et était assez satisfait. Une vieille ganache lui serait plus utile qu’un autre officier.
Mc Gregor vint l’aider à transporter le capitaine Charles qui simulait certainement un évanouissement prolongé. Ils pénétrèrent dans le bureau du commodore, tout encombré de souvenirs de sa carrière de marin.
— Qui est-ce ? Un officier de l’infanterie, paraît-il ? demanda le vieux avec mépris.
Kowask le mit rapidement au courant. Le commodore bourrait une pipe énorme, plaçait deux verres sur son bureau.
— Que comptez-vous en faire ?