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Les lèvres arrondies autour d’un gros cigare, Burgeon paraissait réfléchir.

— Dans ce cas, poursuivit Kowask en le surveillant du coin de l’œil, mieux vaudrait prendre toutes vos précautions.

Le colonel remplissait les verres, toujours silencieux. Ils burent ensuite.

— La réunion des membres du Club serait peut-être nécessaire mais demanderait trop de temps.

— Vous ne pouvez pas agir de votre propre chef, dit Kowask avec une mimique surprise.

L’orgueilleux colonel se rebiffa :

— Si. Nous pouvons facilement déménager les archives et les papiers importants. Grâce à Dieu nous nous sommes toujours efforcés d’avoir de l’ordre et d’être prêts à faire face à une éventualité de ce genre. Que proposez-vous ?

Prenant le temps de boire une partie de son verre et d’allumer une cigarette, Kowask fit semblant de réfléchir.

— Vous disposez d’un appareil rapide dans votre Club ? Un engin capable de voler assez loin également sans se ravitailler ?

Le visage du colonel s’éclaira :

— Bien sûr. Nous avions tout prévu, même une fuite par air en cas d’urgence. Il y a le Twin-Bonanza qui vole à plus de cent quatre-vingts miles à l’heure. Nous avons fait installer deux réservoirs supplémentaires qui lui permettent de parcourir quinze milles d’un seul coup d’aile.

— Parfait ! s’exclama Kowask. C’est exactement l’engin dont nous aurons besoin. Avez-vous un homme sûr pour le piloter ?

— Oui. Un lieutenant d’aviation de réserve. Il acceptera n’importe quelle mission. Mais où comptez-vous l’envoyer ?

C’est alors que Kowask joua au plus fin.

— N’avez-vous pas une base de repli ? Le capitaine Charles m’en avait vaguement parlé.

— Oui, dit lentement le colonel. Elle se trouve au Texas. Vous m’excuserez de ne pas vous en dire davantage ?

— Bien sûr. Pouvez-vous vous occuper de tout cela ? Je crains d’être trop occupé pour pouvoir vous aider. Il faut que je retrouve la piste de Charles.

Cette fois Burgeon parut complètement convaincu :

— Je vous remercie. Vous avez agi avec rapidité et efficience. Si notre plan réussit le pays au-ira certainement besoin d’hommes tels que vous pour remporter la victoire.

— Vous pensez en terminer ce matin ?

À nouveau le colonel, le regarda avec confiance :

— Il se peut que nous ayons besoin de l’appareil pour éloigner le capitaine Charles. Peut-être serais-je même du voyage. Je vous conseille de ne pas détruire le rapport sur l’opération Cayo Bajo avant mon retour. Si je reviens sans le capitaine Charles, il serait toujours temps de le faire.

— Mais de quelle utilité sera pour nous ce rapport, alors que s’il tombe dans les mains de l’administration il peut nous attirer les pires ennuis.

Kowask manifesta son impatience :

— N’oubliez pas l’avenir, mon colonel. En l’étudiant avec le capitaine Charles nous vérifierons chaque point. Mon ami ne veut pas vivre en homme traqué éternellement. Aucune accusation sérieuse ne pèse sur lui.

— Sauf ce rapport, fit le colonel têtu.

— Mais bon sang, êtes-vous capable de vous souvenir de toutes les phases de l’opération ?

Le vieux militaire se troubla :

— Évidemment non.

— Il existe forcément des points faibles. Il y a à l’O.N.I. des types obstinés qui chercheront sans relâche. Imaginez que le capitaine Charles meure. Vous éprouverez alors l’impression qu’on ne peut rien contre vous et votre réseau ? Mais en serez-vous tellement certain ? Je suis sûr que, si John Charles était ici, il vous tiendrait le même langage. Si Quinsey avait été liquidé en Floride, nous n’en serions pas là.

Burgeon se rebiffa assez plaintivement :

— C’est Charles qui a la haute main sur le réseau. J’ignorais les détails, les ramifications. J’étais chargé d’assurer une base solide ici même, de recruter des hommes décidés à tout, de pourvoir à l’organisation matérielle grâce à mes relations et à l’honorabilité dont je jouis dans la région.

On avait presque l’impression qu’il se défendait devant un tribunal.

— Vous n’avez pas le droit de faire disparaître toute trace de cette affaire. Charles n’est pas un homme indépendant. Il doit certainement des comptes à des supérieurs occultes. Si tout foire, ceux-ci voudront savoir pourquoi. Que ferez-vous si John y laisse sa peau ? Je vais même aller plus loin, colonel, vous serez le premier suspect aux yeux de vos amis.

Burgeon sursauta et la cendre de son cigare tomba sur son veston sans qu’il songe à l’essuyer :

— Que voulez-vous dire ?

— Ce que j’ai sur le cœur finalement, dit Kowask en serrant les dents et en montrant un visage menaçant. John est arrêté, il y a eu des fuites et vous, vous n’êtes même pas inquiété. Il y a quand même des points obscurs dans toute cette affaire.

— Vous m’accusez d’avoir trahi, bredouilla le colonel rouge et tremblant.

— Non. Je constate simplement. Si vous faites disparaître le rapport secret vous agirez comme un homme qui veut éviter de rendre des comptes. Vous ne risquez rien à le conserver et à l’expédier au loin par avion.

Il appuya encore un peu :

— Que croyez-vous, mon colonel ? Qu’il s’agit d’une petite conspiration à l’échelon d’un village ? Il y a dans le pays tout entier des hommes qui attendent beaucoup de cette affaire. Vous avez peut-être été dépassé par les événements, mais il est trop tard pour revenir en arrière.

Le colonel se taisait. Peut-être maudissait-il le jour où il avait accepté d’épauler le capitaine Charles ? Il y avait loin entre le fait d’être le président du comité local pour le Réarmement Moral, et celui d’être complice d’un complot à l’échelon fédéral.

— Quel est le nom de ce pilote ? Êtes-vous certain de lui ? Il se peut qu’il y ait des mouchards dans votre organisation.

— Patrick Gates. C’est un entrepreneur de maçonnerie. Il est hors de tout soupçon.

Sous le coup de l’émotion, il avait répondu mécaniquement à la question posée.

— Je vais m’en aller aux renseignements et faire une enquête dans la région. Que l’appareil ne prenne pas l’air avant mon retour ou un coup de téléphone de ma part. Mais que ce Gates se tienne prêt à s’envoler.

Encore frappé de stupeur le colonel approuva.

— Je vous téléphone ici ou à votre club ?

— Au club. Je m’y tiendrai en permanence.

— Qui convoiera les archives jusqu’au terrain ?

— Le secrétaire du club, Joyce. Il est très capable.

— Vous n’oublierez pas le rapport sur l’affaire en question ?

Burgeon avala difficilement sa salive :

— Non.

— Très bien. Souhaitons que John Charles soit libéré d’ici ce soir. Je vais vous laisser, mon colonel.

Ils se séparèrent plutôt froidement. Kowask espérait que son coup de bluff avait réussi. Tout de suite il avait eu la certitude que le colonel n’était pas taillé pour la lutte subversive, et il devait même se mordre les doigts de s’être laissé entraîner. Il souhaitait lui avoir suffisamment embrouillé les idées pour l’obliger à exécuter ses conseils comme des ordres. Burgeon se demandait certainement s’il était simplement un ami de John Charles, ou bien un envoyé des puissants chefs occultes dont il avait habilement parlé.

Au moment où il montait en voiture il vit un éclair derrière les rideaux. Le colonel surveillait son départ à la jumelle. Peut-être essayait-il de lire son numéro minéralogique.