— Tous les papiers compromettants sont déjà dans l’appareil. Ici j’ai le rapport secret. En avez-vous parlé à Charles ?
— En deux mots. Il m’a dit de l’emporter. Le colonel regarda vers la voiture :
— Mais où est-il ?
— Dans la malle. Je ne pouvais prendre le risque de le laisser à mes côtés. J’ai rencontré des flics en moto.
— Mais il doit être terriblement mal.
— Je l’ai arrangé au mieux. Dites-moi, l’avion est déjà sur la piste ?
— Oui. Le moteur tourne même. Mais ne vous faites pas de souci. Il n’y aura que nous et le gardien nous est entièrement dévoué.
Kowask avait heureusement parcouru le chemin entre la ville et le terrain. Il put choisir son endroit pour ralentir et s’arrêter sur le bas-côté. Le colonel se tourna vers lui :
— Que se passe-t-il ?
— Il faut que je jette un coup d’œil au capitaine Charles. Je me suis bien arrêté plusieurs fois en chemin, mais j’avais l’impression que ça allait mal.
— Une balle dans le ventre, murmura Burgeon. Heureusement qu’à Willis nous trouverons un bon médecin.
Kowask nota le nom. Il savait déjà que la base secrète se trouvait au Texas. Il descendit de voiture.
— Je vous appellerai quand la route sera déserte.
— Entendu.
Il alla soulever le couvercle du coffre et poussa une exclamation.
— John ? John, réponds-moi.
Le colonel ouvrit sa portière précipitamment et le rejoignit. Le visage grave, Kowask avait en partie rebaissé le capot.
— Qu’y a-t-il ?
— Attendez.
Une vieille camionnette les dépassa, chargée de balles de coton. D’un geste Kowask ouvrit le coffre.
— Regardez.
Le vieux te pencha. Il voyait une masse confuse dans la malle. Une couverture enveloppant un cylindre de carton que Kowask avait trouvé sur la route. La crosse le frappa en pleine nuque et il bascula à moitié dans le coffre. Kowask n’eut qu’à ranger les jambes. Il ligota solidement le vieux birbe et referma le coffre à clé.
Comme il s’arrêtait devant la barrière le gardien sortit de son pavillon. C’était une sorte de brute au visage de boxeur. Il avait une bosse proéminente sous son blouson de toile.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Je vais avec Patrick Gates. L’autre renifla, impassible.
— Et le colonel ?
— Il y a contrordre. Il rejoindra après.
Le gardien se dandina un moment sur ses jambes courtes.
— Bon. Je vais vous ouvrir.
Comme Kowask remontait dans la Buick une sonnerie stridente se fit entendre dans le pavillon.
— Minute !
— Le colonel, qui doit vous confirmer son retard, dit Kowask par la portière, mais son cœur battait.
Le gardien lui tourna le dos. D’un coup d’œil Kowask vit que le système d’ouverture de la barrière était verrouillé. Il pouvait laisser la voiture et continuer à pied, mais le pilote risquait de trouver ça plutôt étrange.
Doucement il quitta la voiture et glissa sans bruit vers le pavillon. L’appareil était dans la première pièce qui servait également de cuisine.
— Le colonel ? Il a oublié sa valise ? Mais il n’est pas dans la voiture qui vient d’arriver.
En même temps l’homme faisait passer l’appareil dans la main gauche et tirait un gros calibre du holster placé sous son blouson de toile.
Kowask s’encadra dans l’entrée. En trois enjambées il fut sur lui et lui tordit le bras. La balle fit sauter le plâtre du plafond.
Abandonnant le combiné l’homme lui envoya une manchette de la main gauche, qu’il para de l’avant-bras sans lâcher sa prise. En même temps il envoyait son genou dans le bas-ventre du costaud, grimaçait car l’homme portait une coquille. Décidément il avait affaire avec un dur à cuire. Changeant de tactique il le lâcha, essaya de profiter du déséquilibre ainsi provoqué. Le gardien s’appuya contre le mur, lança son pied en avant et le frappa à hauteur de la hanche. D’un shoot Kowask envoya le revolver du malabar au loin. Au-dehors les moteurs du Twin-Bonanza ronronnaient sourdement. Il souhaita que Patrick Gates n’ait pas entendu la détonation.
— Je te crèverai, rugit le garde en se portant rapidement sur lui. Cette détente était si puissante que Kowask ne put la parer qu’à moitié. Il encaissa un « gnon » à la base du cou, qui lui coupa le souffle, mais le gardien partit sur le côté cherchant à récupérer son aplomb par un jeu de jambes encore assez rapide, mais que l’éloignement du ring avait quelque peu rouillé.
— Salaud ! haleta l’ancien boxeur. Je ne sais pas ce que tu as fait au colon, mais tu vas le payé cher.
Kowask fit mine de vouloir décamper par la porte ouverte et la ruse réussit pleinement. Il n’eut qu’à s’effacer suffisamment pour cueillir son adversaire de côté. Il le frappa du droit et du gauche, visant le menton et l’œil. Abasourdi par les coups le gardien perdit pied. Le marin lui envoya le sien au-dessus de la coquille qui se dessinait sous le blue-jeans. L’homme hurla et se plia en deux. Les coups irréguliers devaient certainement le surprendre et le démoraliser.
Pour en finir Kowask prit son arme, écrasa le crâne au-dessus du front avec une rage nouvelle. Il lui tardait d’en finir, craignant que le pilote ne vînt aux nouvelles. La brute tomba à genoux mais lui encercla les jambes dans un dernier effort. Entre ses bras puissants Kowask fut forcé de plier en arrière. Un dernier coup de crosse arracha un soupir épuisé au colosse qui relâcha son étreinte.
Kowask le tira par le col de son blouson jusqu’à la pièce du fond, le fourra sous le lit. Revenu dans la cuisine il porta à son oreille le combiné qui pendait, n’entendit que la tonalité et raccrocha. Il alla ensuite chercher les clés de la barrière dans la poche du gardien, ouvrit celle-ci et roula en direction du petit appareil. La serviette du colonel était toujours là sur le siège.
Le pilote fumait une cigarette, appuyé contre la carlingue. Kowask l’examina avec attention. Plutôt petit, un mètre soixante-cinq environ, mince, il avait un visage d’homme tranquille contredit par un menton volontaire, des yeux vifs et perçants et une bouche mince.
— Patrick Gates ? Serge Kowask. Le colonel vous a parlé de moi ?
L’autre jeta sa cigarette.
— En effet. Mais vous êtes seul ?
— Le colonel, reste avec le capitaine Charles. Celui-ci est grièvement blessé. Ils nous enverront des renseignements supplémentaires à Willis.
Ce nom parut rassurer le pilote. Il fit signe à Kowask de monter à bord et referma la portière derrière lui. Le marin pensa au coup de fil qu’il avait passé au commodore au sujet de son départ pour le Texas. À ce moment-là il ignorait le nom de sa destination. Son chef l’avait assuré que l’appareil serait suivi par radar, et identifié autant de fois que ce serait possible de le faire sans éveiller la méfiance du pilote.
Quand ils furent à deux mille pieds le pilote se tourna vers lui :
— Je regrette que Charles ne soit pas du voyage. C’est un bon copain à moi. Vous êtes également son ami ?
— Oui, dit Kowask en se raidissant imperceptiblement. Nous nous connaissons depuis un certain temps.
— Curieux mais il ne m’a jamais parlé de vous. Pourtant nous avons souvent bavardé ensemble.
Kowask haussa les épaules.
— Mieux vaut ne pas vous poser trop de questions. Si j’ai connu Charles c’est que j’étais son supérieur hiérarchique. C’est grâce à moi qu’il a fait ce que vous savez. Si j’ai décidé d’intervenir cette nuit c’est pour essayer de sauver ce qui pouvait l’être.
Ainsi il confirmait le rôle qu’il avait joué devant Burgeon, celui d’un des grands chefs occultes du complot. Le pilote hocha la tête et parut se contenter de cette réponse. Au bout d’une vingtaine de minutes il annonça qu’ils venaient de pénétrer dans le Mississippi.