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— Merci, monsieur, répondit mécaniquement Baley, mais si je me trouvais dans une fâcheuse situation…

Minnim haussa les épaules :

— Ce sont les risques du métier.

Et écartant l’objection d’un geste de la main, il ajouta :

— De toute façon, vous devez y aller. Le jour du départ est fixé. L’astronef qui doit vous transporter est prêt à partir.

— Déjà ! Quand ? dit Baley en se raidissant.

— Dans deux jours.

— Alors, il faut que je rentre aussitôt à New York, ma femme…

— Nous nous occuperons de votre femme. Elle n’a pas le droit de connaître la nature et l’objet de votre affectation spéciale. On l’informera qu’elle ne doit pas espérer de vos nouvelles avant votre retour.

— C’est inhumain. Il faut que je la voie, je ne la reverrai peut-être jamais plus.

— Au risque de vous paraître encore plus inhumain, dit Minnim, ne croyez-vous pas qu’il y ait un seul jour où, lorsque vous êtes en mission, vous n’êtes pas en droit de vous demander si elle vous reverra jamais, inspecteur Baley ? A chacun ses épreuves.

La pipe de Baley était éteinte depuis un quart d’heure. Il ne s’en était pas rendu compte.

Personne n’avait plus rien à lui dire. Personne ne savait rien de ce meurtre. Les employés se contentaient de le diriger hâtivement jusqu’au moment où il se trouva au pied de l’astronef, encore mi-incrédule, mi-abasourdi.

C’était une espèce de canon gigantesque, pointé sur le zénith, et Baley, par intervalles, frissonnait dans l’air frais des espaces libres. La nuit était tombée (et il en était bien heureux), formant une muraille d’un noir d’encre qui s’achevait au-dessus de sa tête en un plafond aussi obscur.

Le temps était couvert, mais une brillante étoile, profitant d’une éclaircie dans les nuages, vint le faire sursauter lorsqu’il l’aperçut. Et pourtant, il avait déjà visité des planétariums.

C’était une petite lueur, loin, bien loin. Il la regarda avec curiosité, sans presque éprouver de frayeur. Elle semblait toute proche et insignifiante. Et pourtant c’était autour de corps semblables qu’orbitaient des planètes, dont les habitants étaient les maîtres de la Galaxie. Le Soleil n’est qu’un corps semblable, pensa-t-il, mais il est plus près. Il est de l’autre côté de la Terre à cette heure-ci.

Il se mit soudain à concevoir la Terre comme une sphère de pierre, recouverte d’une pellicule d’humidité et d’atmosphère, entourée par le vide, encerclée par le néant ; et les villes à peine enfoncées dans la couche externe, faisant une transition précaire entre le roc et l’air. Il en eut la chair de poule.

L’astronef était évidemment un bâtiment des Spaciens : tout le commerce interstellaire passait par leurs mains. Il était tout seul maintenant, juste en dehors des remparts de la ville. On l’avait baigné, récuré, aseptisé, jusqu’à ce qu’on puisse le considérer comme suffisamment sain, d’après les normes spaciennes, pour pénétrer à bord. Même ainsi, c’est un robot qui était venu l’accueillir, car Baley était encore porteur de cent et un germes de maladies variées contractées dans la grouillante cité. Il était immunisé contre ces microbes, mais les Spaciens, nés et élevés en couveuse, y étaient sensibles.

La forme du robot se dessina vaguement dans la nuit, ses organes de vision luisant d’un rouge sombre.

— Inspecteur Elijah Baley ?

— C’est moi, dit Baley d’un ton sec, les cheveux se hérissant légèrement sur la nuque. Il était toujours aussi allergique aux robots remplissant des fonctions humaines, comme tous les Terriens d’ailleurs.

Bien sûr, il y avait eu R. Daneel Olivaw, avec qui il avait fait équipe dans l’enquête sur le meurtre du Spacien mais ce n’était pas la même chose. Daneel était, eh bien ! était…

— Suivez-moi, s’il vous plaît, dit le robot.

Un projecteur dessina un chemin de lumière jusqu’à l’astronef.

Baley suivit le robot. Il monta l’échelle de coupée, pénétra à l’intérieur, longea des couloirs et entra enfin dans une pièce.

— Voici votre chambre, inspecteur Baley, dit le robot. Vous êtes tenu d’y demeurer pendant toute la durée du voyage.

« Oh ! oui, pensait Baley. Enfermez-moi, que je sois bien à l’abri. Isolé de tout. »

Les couloirs qu’ils avaient longés étaient totalement vides. Des robots devaient les désinfecter maintenant et le robot qu’il avait en face de lui irait se plonger dans un bain désinfectant en s’en allant.

Le robot dit :

— Vous avez une réserve d’eau et tous instruments d’hygiène. On vous apportera vos repas. Il y a des bandes à visionner. Quant aux hublots, vous pouvez les manœuvrer sur ce tableau. Ils sont obturés pour le moment, mais si vous désirez avoir un aperçu de l’espace…

Avec une certaine agitation, Baley dit :

— Ca va très bien, mon garçon. Laisse les hublots obturés.

Il avait employé la dénomination péjorative que les Terriens utilisaient toujours pour s’adresser aux robots, mais l’autre n’avait pas eu de réaction. Il ne pouvait en avoir, bien sûr. Ses réponses étaient limitées et soumises aux Lois de la Robotique.

Le robot inclina son imposante carcasse métallique en guise de respectueuse déférence et sortit de la pièce.

Baley était maintenant seul dans sa chambre et pouvait l’étudier de fond en comble. Du moins, c’était mieux que l’avion : il pouvait voir ce dernier de bout en bout, prendre conscience de ses dimensions. Mais l’astronef était vaste, comportait des couloirs, des coursives, des chambres. C’était une véritable petite ville. Enfin, Baley pouvait presque respirer sans gêne.

Des lumières s’allumèrent et la voix métallique d’un robot résonna dans le haut-parleur, lui donnant des instructions détaillées pour éviter les malaises de l’accélération au décollage.

Il sentit l’inertie le repousser contre les sangles, l’amortisseur hydraulique s’enfoncer ; il entendit le grondement lointain des tuyères chauffées à blanc par la micropile protonique, puis le sifflement déchirant pendant la traversée de l’atmosphère qui s’amenuisait jusqu’aux ultra-sons, pour disparaître totalement au bout d’une heure.

Il voguait maintenant dans l’espace.

Il lui semblait ne plus éprouver la moindre sensation, que tout avait perdu sa réalité. Il avait beau se dire que chaque seconde l’éloignait de plusieurs milliers de kilomètres, le séparait plus encore des villes, de Jessie, son cerveau se refusait à l’admettre.

Le deuxième jour (ou le troisième – il n’y avait aucun moyen d’évaluer la course du temps, sinon par les périodes de repas et du sommeil), il éprouva la sensation fugitive et bizarre d’être retourné comme un gant. Ca ne dura qu’un instant et Baley savait bien que c’était le grand saut, ce passage invraisemblable, incompréhensible, presque mystique et si bref, dans l’hyperespace. Grâce à quoi l’astronef, et tout ce qu’il contenait, se trouvait transporté d’un point à l’autre de l’espace, à des années-lumière de distance.

Puis une période de temps s’écoulerait, puis un autre grand saut, une nouvelle période, puis un nouveau saut.

Baley se disait qu’il était à des années-lumière de la Terre, des dizaines d’années-lumière, des centaines, des milliers… Il ignorait les distances parcourues. Il n’y avait personne sur Terre capable de localiser Solaria dans l’Univers. Il était un ignorant, ils étaient des ignorants, tous les Terriens sans exception.

Il se sentit terriblement seul.

Il eut la sensation d’un ralentissement alors que le robot faisait de nouveau son apparition. Ses organes de vision, rouge sombre, détaillèrent l’arrimage de Baley ; il resserra, expertement, un écrou à oreilles et vérifia rapidement tous les éléments de l’amortisseur hydraulique.