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— Avez-vous une autre solution pour ce crime, Elijah ? demanda Daneel.

Au cours de son exposé, Baley s’était assis et il essayait maintenant de se relever. Mais la fatigue unie à la profondeur du fauteuil déjouèrent ses efforts. Aussi, tendit-il la main avec irritation.

— Donnez-moi la main, voulez-vous, Daneel ?

Daneel contempla sa propre main avec étonnement.

— Je vous demande pardon, Elijah ?

Baley pesta silencieusement après l’esprit littéral de l’autre et reprit :

— Aidez-moi donc à m’extraire de ce fauteuil !

Le bras puissant de Daneel le retira sans effort du fauteuil.

— Merci, reprit Baley. Non, je n’ai pas d’autre solution. Enfin, si, j’en ai une, mais tout repose sur l’emplacement de cette arme.

Il marcha d’un pas nerveux, vers les lourdes tentures qui recouvraient la plus grande partie d’un mur et en souleva un pan sans bien se rendre compte de ce qu’il faisait. Il regardait d’un œil vague la paroi obscure en verre, jusqu’au moment où il prit conscience que ce qu’il avait devant les yeux étaient les ténèbres du début de la nuit. Il laissa retomber la tenture alors que Daneel, qui s’était approché sans bruit, s’apprêtait à la lui enlever des mains.

Dans cette fraction de seconde où Baley vit la main du robot se porter sur le rideau pour le remettre en place, avec la sollicitude inquiète d’une mère protégeant sa progéniture du feu, une véritable révolution se déclencha en lui.

Il se saisit brusquement de la tenture, l’arrachant aux mains de Daneel et, de toute sa force appuyée par l’énergie nerveuse qu’il avait accumulée, il la déchira, laissant la fenêtre vierge de toute draperie, quelques lambeaux restant seuls accrochés.

— Elijah ! dit Daneel, avec douceur. Voyons ! vous savez bien maintenant quels effets nocifs les espaces libres ont sur vous.

— Oui, répondit Baley, mais je sais encore mieux quels effets positifs ils auront.

Et il reprit sa position devant la fenêtre. Il n’y avait rien à voir sinon l’obscurité. Mais cette obscurité à même l’air libre. C’était le noir absolu de l’espace sans entraves, sans lueur. Et Baley lui faisait face.

Et, pour la première fois, il faisait face à l’espace par son libre choix, non plus par bravade, ni par curiosité morbide ni pour y découvrir la solution d’un meurtre. Il lui faisait face parce qu’il savait maintenant que l’air libre était pour lui un besoin, une nécessité vitale. C’était dans cette prise de conscience que se trouvait toute la différence.

Les murs n’étaient que des béquilles. L’obscurité, les foules, des béquilles encore ! Dans son subconscient, il devait déjà avoir compris leur utilité réelle et les avait d’autant plus haïes en ces moments mêmes où il croyait le plus les aimer, où il estimait à tort en avoir le plus besoin.

Sinon, pourquoi avait-il autant souffert de voir Gladïa enclore son portrait dans ces murailles grisâtres ?

Il sentit monter en lui un sentiment de triomphe, et, comme si cette victoire sur lui-même était contagieuse, une idée, une idée nouvelle lui vint à l’esprit, avec la force brutale d’un cri de tout son être.

Baley tourna vers Daneel un regard brouillé d’exaltation :

— Je sais, murmura-t-il. Jehoshaphat, je sais enfin !

— Que savez-vous donc, Elijah ?

— Je sais enfin ce qu’il est advenu de l’arme. Je sais qui est responsable du meurtre. Brusquement, d’un seul coup, toutes les pièces de l’énigme se sont emboîtées.

17

Une réunion, une révélation

Daneel se refusa à toute action immédiate.

— Demain, répétait-il avec une respectueuse insistance, demain… Croyez-moi, Elijah. Il se fait tard et vous avez grand besoin de repos.

Baley dut reconnaître le bien-fondé de ces suggestions. De plus, il lui fallait également préparer son réquisitoire, et le préparer à fond. Il avait maintenant la solution du crime, il en était certain, mais tout l’échafaudage d’arguments ne tenait que par des déductions, tout comme la théorie de Daneel et, pour la même raison, avait aussi peu de valeur probante. Il faudrait que les Solariens y mettent du leur.

Et, puisqu’il devait leur faire face, lui, Terrien, et seul vis-à-vis d’une demi-douzaine de Spaciens, il lui fallait être en pleine possession de tous ses moyens. Donc, il était nécessaire qu’il prît du repos d’abord, et qu’ensuite son dossier fût bien préparé.

Pourtant, il ne voulait pas dormir. Il était certain de ne pouvoir dormir. Ni la douceur voluptueuse du lit que des robots efficaces avaient spécialement monté pour lui, ni les parfums prenants, ni la musique si douce qui se déversait dans cette chambre réservée de la demeure de Gladïa ne pourraient rien y faire, il en était sûr et certain.

Daneel s’installa discrètement dans un coin obscur de la chambre.

— Alors, vous avez toujours peur de Gladïa ? dit Baley.

— Je ne pense pas qu’il serait très sage, en les circonstances présentes, de vous laisser dormir tout seul, sans protection, répondit l’humanoïde.

— Bon, bon ! Faites comme vous l’entendez. Vous avez bien compris ce que, vous, vous aurez à faire demain.

— Oui, Elijah ! J’agirai comme vous me l’avez prescrit.

— Vous n’avez pas de réserves à faire en raison d’impératifs de la Première Loi, j’espère ?

— Quelques-unes pourtant, qui concernent cette réunion que vous voulez faire. Serez-vous armé et prendrez-vous bien soin de votre propre sécurité ?

— Soyez-en certain, je serai sur mes gardes.

Daneel poussa un soupir résigné qui était si humain que Baley, un instant, tenta de scruter l’obscurité pour étudier le visage parfait de cette machine humanoïde.

— J’ai eu plusieurs fois l’occasion de constater l’illogisme des humains dans leur comportement, dit Daneel.

— Oui, je crois que, nous aussi, nous aurions bien besoin de Trois Lois dans ce domaine, répondit Baley, mais je suis bien content que nous ne les ayons pas !

Baley se mit à contempler le plafond. Tout dépendait pour beaucoup de Daneel, et pourtant il ne pouvait lui laisser entrevoir que des bribes de la vérité tout entière. Dans cette histoire, il y avait des robots terriblement compromis. Le Gouvernement d’Aurore avait peut-être d’excellentes raisons de détacher un robot pour défendre ses intérêts, mais, dans le cas présent, c’était une erreur. Les robots ont des limites.

Néanmoins, si tout se passait bien, l’affaire pouvait être totalement réglée en douze heures. Et dans vingt-quatre heures, il serait en route pour la Terre, porteur de grands espoirs. De curieux espoirs certes ; il avait assez de mal à y croire lui-même, et pourtant c’était la seule solution pour la Terre, la solution qui s’imposerait à la Terre.

La Terre ! New York ! Jessie et Ben ! Le confort, l’intimité, la tendre quiétude du foyer.

Il se remémorait toutes ces images, dans un demi-sommeil ; pourtant l’idée de la Terre ne réussissait plus à lui apporter le réconfort qu’il en attendait. Ce lien entre les villes et lui s’était rompu, rompu…

Et, à un moment indéterminé, toutes ses pensées s’estompèrent dans le flou du sommeil.

Baley, rafraîchi par un bon sommeil, s’éveilla en excellente forme physique, prit sa douche et s’habilla. Pourtant, il ne se sentait pas sûr de lui. Ce n’était pas que ses déductions lui parussent moins logiques à la lueur froide du matin. Non, c’était plutôt cette obligation de s’adresser à des Solariens.