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« Tandis qu’un astronef comportant uniquement un cerveau positronique incorporé attaquera gaillardement tout autre astronef qu’il a pour mission d’attaquer, à mon avis. Pour lui, naturellement, l’astronef adverse ne comporte pas d’équipage humain, il le considérera comme identique à lui-même. Il est facile de rendre un tel astronef incapable de recevoir des messages en provenance de bâtiments ennemis qui pourraient le détromper. Son armement, tant offensif que défensif, dépendant entièrement du cerveau positronique lui fournira une maniabilité bien supérieure à celle d’un astronef piloté. Il n’y aura pas à se préoccuper des quartiers de l’équipage, de l’approvisionnement alimentaire, de la régénération de l’air : aussi, pourra-t-il être mieux blindé, mieux armé, plus invincible qu’un autre bâtiment. Un seul astronef à cerveau positronique incorporé peut venir aisément à bout de flottes entières de bâtiments pilotés. Croyez-vous que je délire, maintenant ?

Il avait lancé cette dernière apostrophe au Dr Leebig, qui s’était dressé et restait debout, rigide, comme en catalepsie : sous l’effet de la colère ? ou de l’horreur ?

Baley n’obtint pas de réponse. Du reste, il n’aurait rien pu entendre. Quelque chose avait cédé et tous les Solariens hurlaient comme des déments. Klorissa avait le visage d’une furie et il n’était pas jusqu’à Gladïa qui, debout, ne brandît, elle aussi, un poing menaçant, mais si frêle.

Tous accusaient Leebig.

Baley relâcha son emprise sur lui-même. Il ferma les yeux. Il essaya, aussi, pendant quelques instants de détendre ses muscles, de calmer ses nerfs.

Enfin, le coup avait porté. Il avait finalement pressé le bon déclic. Quemot s’était livré à une analogie entre les robots solariens et les Ilotes de Sparte. Il avait dit que les robots étaient dans l’incapacité de se révolter, afin que les Solariens n’aient pas à s’en méfier.

Mais si quelque humain s’avisait à vouloir apprendre aux robots le moyen de malmener les humains, de vouloir, en d’autres termes, les rendre capables de se révolter ?

N’était-ce point là le crime par excellence ? Sur un monde tel que Solaria, est-ce que tous les habitants, jusqu’au dernier, ne se dresseraient pas comme un seul homme, avec la pire violence, contre celui qu’on soupçonnerait seulement de vouloir rendre les robots capables de malmener des humains ? Sur Solaria, où l’on comptait vingt mille robots pour un homme ?

Attlebish criait :

— Vous êtes en état d’arrestation. Il vous est formellement interdit de toucher à vos livres et à vos archives avant que le gouvernement ait eu le temps de les consulter.

Il continuait, s’étranglant presque, au milieu d’un infernal brouhaha.

Un robot s’approcha de Baley.

— Un message, Maître. Message du maître Daneel Olivaw.

Baley prit le message avec gravité, se retourna et cria :

— Un instant, je vous prie.

Sa voix eut un effet quasi magique. Ils se retournèrent tous vers lui, et tous ces visages graves et tendus (excepté le regard halluciné de Leebig) ne montraient rien d’autre que l’attention la plus soutenue pour les paroles du Terrien.

— Il serait vain de croire que le Dr Leebig va bien vouloir laisser intactes ses archives, dit Baley, et qu’il va gentiment attendre qu’un envoyé gouvernemental vienne s’en saisir. Aussi, dès le début de cette réunion, mon collègue, M. Daneel Olivaw, était-il parti pour le domaine du Dr Leebig. Je viens de recevoir de ses nouvelles. Il est actuellement à pied d’œuvre et va arriver chez le Dr Leebig d’un instant à l’autre, afin de s’assurer de sa personne et de l’incarcérer.

— M’incarcérer, moi, hurla Leebig, saisi d’une terreur quasi animale. (Ses yeux s’ouvrirent démesurément, la pupille dilatée :) Quelqu’un va venir ici ? En ma présence ? Oh ! non. Non !

Le second « non » fut crié d’une voix hystérique.

— Il ne vous sera fait aucun mal, répondit froidement Baley, si vous ne résistez pas.

— Mais je ne veux pas le voir. Je ne peux pas le voir. (Le roboticien tomba à genoux, sans même s’en rendre compte. Il joignait les mains en une poignante supplication désespérée :) Mais que voulez-vous donc ? C’est une confession que vous voulez ? J’avoue, oui, j’avoue, oui, le robot de Delmarre avait des membres détachables, oui, oui. C’est moi qui ai prémédité l’empoisonnement de Gruer. J’ai fait empoisonné la flèche qui vous était destinée, oui. J’ai même étudié les astronefs dont vous avez parlé, mais sans succès. Oui, j’avoue, j’avoue tout. Mais qu’il ne vienne pas. Ne le laissez pas venir. Faites qu’il s’en aille…

Il bredouillait.

Baley hocha la tête. Le bon déclic, là aussi. La menace de la présence effective d’un autre avait plus fait, pour obtenir l’aveu, que ne l’aurait fait toute torture physique.

Mais, brusquement, à quelque bruit ou mouvement en dehors du champ de vision et d’audition des autres, Leebig tourna la tête. Sa bouche s’ouvrit, béante d’effroi. Il leva les mains, comme pour tenir quelque chose à distance.

— Allez-vous-en, supplia-t-il. Partez. Non, ne venez pas. Pitié, n’approchez pas. Pitié…

Il essayait de s’enfuir à quatre pattes, mais semblait pétrifié. Alors, il plongea brusquement la main dans sa poche de veste. Elle en ressortit tenant quelque chose qu’il porta rapidement à la bouche. Il vacilla d’un côté, puis de l’autre, et s’abattit face contre terre.

Baley aurait voulu crier :

« Espèce d’idiot ! Ce n’est pas un être humain qui vient. C’est un de ces robots que vous aimez tant. »

Daneel Olivaw entra, tout soudain, dans le champ de vision. Un instant, il resta à contempler la silhouette crispée à terre.

Baley retint son souffle. Si Daneel arrivait à se rendre compte que c’était son apparence humaine qui avait forcé Leebig au suicide, les effets en seraient catastrophiques sur son cerveau asservi à la Première Loi.

Mais Daneel s’agenouilla seulement et ses doigts effleurèrent délicatement le corps de Leebig, ici et là. Puis, soulevant doucement la tête de Leebig, comme si elle lui était infiniment précieuse, il la prit contre lui et la caressa.

Son visage, aux traits merveilleusement sculptés, faisait face aux regards de tous. Il murmura :

— Un être humain est mort.

Baley attendait Gladïa. Elle lui avait demandé une ultime entrevue. Mais il ouvrit de grands yeux lorsqu’elle fit son apparition.

— Mais, je vous vois là, devant moi, en chair et en os ! s’exclama-t-il.

— Oui, répondit Gladïa. Comment l’avez-vous deviné ?

— Vous avez mis des gants.

— Oh ! (Toute confuse, elle regarda ses mains. Puis doucement :) Cela vous gêne-t-il ?

— Non, bien sûr. Mais qu’est-ce qui a pu vous décider à venir plutôt qu’à me parler par stéréovision.

— Eh bien ! (Elle eut un faible sourire.) Il faut bien que je m’y habitue, n’est-ce pas, Elijah ? Je veux dire, si je pars pour Aurore.

— Bon, alors tout s’arrange bien ?

— M. Olivaw semble avoir beaucoup d’influence. Tout s’est très bien arrangé. Je ne reviendrai jamais plus ici.

— Parfait. Vous n’en serez que plus heureuse, Gladïa. Vous pouvez me croire.