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— Combien ? fais-je.

— Quatre-vingts pesetas.

Mentalement je traduis ça en francs et je constate que c’est la moitié moins cher qu’en France. Bien que ne prisant pas tellement les ricaines, je me laisse tenter par le bon marché des pipes.

— O.K., annonce la couleur, mec !

Il m’enveloppe discrètement une cartouche dans une feuille de baveux.

Je lui balance les quatre-vingts pesetas et il disparaît instantanément, comme s’il était la bonne fée Marjolaine en mission à Barcelone pour distribuer des pipes à l’humanité souffrante.

Alors un soubresaut me fait vibrer. Vite je déplie la cartouche, je l’éventre… J’ouvre un paquet… Il contient de la sciure.

Dix sur dix pour ma pomme ! Le roi de la police française se laisser repasser comme un petit rentier de Saint-Trou ! Non, je vous jure ! Je verdis. Autour de moi y a des Espanches qui zieutent mon acquisition et se fendent la bouille à tout va !

J’en verdis. Je file le paquet-bidon au pied d’un arbre et je fonce tête-boule à travers la populace. Mais retrouver un mec dans ce peuple, c’est pire que de trouver de la tendresse dans les yeux du gardien de la paix à qui vous venez de balanstiquer un coup de pompe dans les noix pendant qu’il relaçait ses lattes !

Je cours comme un perdu jusqu’à en avoir un point de côté. Partout des gens anonymes. La foule épaisse… La foule uniforme et mouvementée pareille à la mer.

Je me détranche partout avec la rapidité que vous devinez si vous n’êtes pas complètement abrutis par l’eau de javel.

J’avise des rues, à gauche, à droite…

J’hésite, je piaffe, je rue, j’invective, je bave, je scrute, j’opte…

Ma colère est trop vive pour que j’abandonne la chasse à l’homme. C’est pas la question des quatre-vingts pesetas, vous pensez bien ! Qu’est-ce que j’en ai à foutre ? Mais c’est le principe… Tout en cavalant comme un tordu je pense au Vieux. Si la télé individuelle existait, il m’appuierait pas pour le tableau d’avancement, le boss ! Il m’envoie en Espagne pour dégauchir un espion et je cavale après un resquilleur de dernière zone !

Mais de même qu’on n’arrête pas le progrès, on n’arrête pas San-Antonio lorsqu’il vient de se faire entuber par un plouk.

Courir ne rime pas à grand-chose, du moins ça me soulage… Je sais bien que je le retrouverai pas, ce vilain pas beau, mais l’action use le ressentiment.

Je m’arrête une seconde fois pour souffler et je constate que la géographie vient de changer. Fini les belles avenues ombreuses. Je me trouve dans un quartier plus sordide que je ne pourrais vous le décrire. Les rues sont étroites, noires, pestilentielles, avec des gosses au cul nu, des prostituées enceintes, des mecs dont le portrait pourrait enrichir la collection de Qui ? Détective.

Je réalise que ce doit être ce fameux Barrio Chino dont on m’a rebattu les oreilles depuis mon plus bas âge.

Des claques non fermés alternent avec d’horribles petits magasins dont le panonceau annonce « Voies urinaires » et dans les vitrines desquels se trouve étalé tout ce qu’il faut pour vous dégoûter à jamais de grimper une bergère.

Avec ça d’étonnants bistrots ressemblant à des antres d’alchimistes, décorés de crocodiles et de hiboux empaillés… Des couloirs louches sommés du mot : « Habitación »…

J’écarquille les lampions, surpris par ce panorama. Une goualante de la môme serait la bienvenue…

Et soudain… Soudain…

Franchement, il est tartignole le zouave qui a dit que les miracles n’avaient lieu qu’une fois ! Depuis que je marne dans la rousse, je ne fais qu’en réceptionner, des miracles. Ils ne portent pas tous le bon de garantie, mais ils sont agréables à enregistrer.

Là, à dix pas de moi, je vois mon voleur avec son petit couffin. Il va d’un pas d’honnête homme, heureux comme Baptiste.

Je respire un grand coup, histoire d’approvisionner mes éponges pour le rush final et je bondis. Parvenu derrière le grand gnard, je lui frappe l’épaule. Il se retourne, me reconnaît et devient d’un très gentil gris. Vot’bonne femme voudrait ce gris-là pour son tailleur de demi-saison.

D’une voix que je maintiens de mon mieux je dis :

— Aboule mon artiche !

Il ne comprend pas l’argot, mais même si je lui avais bonni ça en papou ancien, il aurait pigé.

Lentement il sort une pincée de billets sales de sa poche. Je lui arrache le tout et je recompte. Il y a juste quatre-vingts pesetas. Il ne doit pas faire des affaires d’or, le type au couffin.

Je le biche par la cramouille et je lui balance une paire de tartes maison de quoi lui décoller la soucoupe.

Il ne bronche pas. Fataliste, je vous l’affirme… L’Espagne n’a pas subi pendant huit cents ans l’occupation arabe.

Alors j’ai un geste bien français. Je lui remets les quatre-vingts pesetas dans la poche.

— Taille ! je murmure, taille vite avant que je t’emplâtre pour de bon…

Il ramasse son couffin qu’il avait laissé choir sous la violence du choc. Mon regard se pose par terre. Et j’aperçois un drôle d’objet… C’est en fer et en caoutchouc. On a marché là-dessus et c’est plutôt informe…

Mais j’identifie pourtant, il s’agit d’un appareil pour rouler les cigarettes. Et ça fait blague à tabac par la même occasion.

Bérurier a le même… Une vieille manie chez le Gros de se les rouler lui-même avec un Job gommé !

Probable qu’il a de la concurrence en Espagne.

Je ramasse la blague.

Dessous il y a un label : Made in France.

Je suis pensif comme le gars sculpté par Rodin. J’enfouis l’appareil dans ma poche et je regarde la rue. Des types gris me font grise mine. Je note le nom de la calle et je me fais la valise. Il serait temps de prendre sérieusement des nouvelles du gars Bérurier…

CHAPITRE XI

Je fais fissa pour revenir à l’hôtel. J’ai le trouillomètre qui gazouille. Pourquoi cette blague à tabac me ronge-t-elle d’inquiétude ? Il me semble que c’est celle du Bérurier des familles… Idiot, hein ? Barcelone est une cité de près de deux millions d’âmes (comme on dit dans les bouquins littéraires) et il doit y avoir des chiées de blagues à tabac made in France

L’employé de la réception me regarde déboucher avec des yeux tranquilles et charbonneux.

— Mon ami ? fais-je…

Il secoue la bougie.

— Je n’ai vu personne…

— Il n’a pas téléphoné ?

— Non plus…

Je réfléchis un petit bout de moment.

— Pourais-je parler aux employés qui se trouvaient dans le hall à trois heures et demie du matin ?

— Ils dorment, me révèle mon interlocuteur.

Au ton qu’il emploie on comprend le respect qu’il a pour cette chose sacrée entre toutes : le sommeil.

Je sors un billet de cent pesetas.

— Appelez m’en un, voilà pour le dédommager…

Du coup son optique se trouve modifiée. Il décroche le bigophone et donne des instructions à un gnace qui doit être le garçon d’étage…

— Momente, me fait-il…

J’attends en tournant en rond. Je me sens sur des braises. Ces mauvais démarrages me cassent les claouis. Si j’avais su j’aurais laissé le Gros à Paris. Au lieu d’attaquer, il faut que je m’occupe de cette gonfle, quel contretemps…

Je vois débarquer de la porte des communs un petit jeunot aux tifs en broussaille que le réceptionniste intercepte rapidement et entraîne dans un coin après m’avoir fait signe.

— Le petit était dans le hall ? je demande.

Le préposé me répond que oui et reste pour servir d’interprète.