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— Demandez-lui s’il a vu sortir mon ami : un gros monsieur au nez rouge avec un chapeau de feutre tout gondolé…

Imperturbable, le zigoto en queue de pie traduit ma question.

Je vois le gamin faire un geste affirmatif…

— Était-il accompagné ? poursuis-je.

Hochement de tronche qui exprime manifestement la négation.

Je ne perds pas courage.

— Écoutez, fais-je, il faut absolument qu’il réfléchisse, s’il pionce encore faites-lui boire une tasse de caoua, je veux une réponse positive : lorsque mon ami est sorti, quelqu’un a dû quitter l’hôtel presque immédiatement avant lui, d’accord ?

Vous me croirez si vous voulez, mais tandis que l’employé transmet mes paroles à son petit collègue, je ne puis réprimer une sorte de tremblement. J’ai comme l’impression que la réponse va éclater dans ma vie comme le faisceau d’un projecteur dans une nuit sans lune. C’est inouï ce que j’ai le don de la comparaison, reconnaissez-le…

Ça baragouine mochement de part et d’autre… Le gominé en habit jacte à tout berzingue, l’autre ahuri qui sort des limbes, répond… Enfin notre interprète se tourne vers moi.

— Une dame précédait votre ami, dit-il. Le jeune homme, là, dit que votre ami semblait la suivre… Elle s’est arrêtée à la réception afin de demander un renseignement et, précipitamment il s’est tourné vers les vitrines d’exposition…

Je balance un coup de saveur auxdites vitranches. Elles exposent des pompes de dame, ça m’étonnerait que Bérurier soit captivé par la vue de mignons escarpins…

Pas le genre du Gros ; lui, ce qui aurait tendance à le captiver ce serait les étalages des charcutiers. La terrine truffée et le pâté de tête sont comme qui dirait la projection matérielle de son intellect…

— Une femme ! m’exclamé-je… Comment était-elle ?

Le gosse aux tifs emmêlés fronce les sourcils. Il jacte par monosyllabes.

— Belle, fait le gominé… Rousse… Assez grande…

Illico une image se dresse dans ma tête.

— Momente ! fais-je.

Ce qui vous indique à quel point je suis doué pour les langues vivantes et même pour les langues fourrées !

Je fouille mes vagues et j’en extrais avec élégance un morceau de carton écorné représentant la môme qui assistait au meeting du Bourget en compagnie de Luebig.

— Ne serait-ce point cette personne ?

— Si, fait le gosse…

J’en ai le palpitant qui se détraque. Parole, faudra que je cavale chez un horloger pour faire huiler les rouages de ma petite horloge !

Je pige pourquoi le Gros m’a laissé ce bref message : « Ça se corse, chef-lieu Ajaccio ! » Je reconnais bien là l’une des tournures de son esprit éveillé, de son langage mutin… À peine débarqué à Barcelone, il aperçoit la môme qui nous intéresse… Aussi sec il me carillonne, je ne réponds pas étant occupé à une séance sur grand écran avec une fille… Alors le Gros emboîte le pas à sa proie…

Bravo…

J’aligne les cent pesetas au petit qui du coup se réveille. Le préposé en queue de pie fait une grimace atroce car il espérait bien sucrer le gros bif et donner seulement un peu de poussière au groom.

— Merci, lui dis-je…

Je cueille un autre billet de format intéressant pour lui et je le lui brandis sous le tarin.

— Je vais encore vous demander un autre renseignement.

Il congédie le petit gars qui va achever son dodo en le meublant de rêves somptueux.

— À votre service, monsieur…

— La dame en question, vous la connaissez ?

— C’est une cliente…

— Depuis longtemps ?

— Trois jours…

— Puis-je savoir son nom ?

Il me regarde d’un drôle d’air. Il commence à trouver tout ça excessivement louche… Mon pote qui file le train à une cliente en pleine noye… Je comprends que cent pesetas sont un peu jeunettes. Il va falloir l’éclairer au néon, le gars, pour qu’il m’assiste dans cette étrange conjoncture et qu’il la boucle hermétiquement.

Aux grands maux les grands remèdes.

Je remise le billet de cent pesetas et j’extrais un beau billet vert : mille pions !

Du coup, il se fait briller les lampions, le gominé. Ses châsses font du morse, je vous le dis. Il te lui lance un drôle de message langoureux au bifton.

— J’espère que vous serez discret, je murmure…

— Oh, monsieur ! s’exclame-t-il.

Ses paluches tremblent. Il est obligé de les carrer sous son comptoir…

— Alors écoutez… Il me faut l’identité de la dame et le numéro de sa chambre…

Il ouvre un grand bouquin et les pages craquent entre ses doigts frémissants.

— Mme Léonora Werth, de Paris… En voyage touristique… Chambre 706…

Deux piaules après celle du Gros. Je comprends qu’il l’ait repérée…

Léonora Werth… Voilà un sérieux point d’acquis.

— Est-elle chez elle en ce moment ?

Il va au rembour. Puis il secoue la tête.

— Madame n’est pas rentrée depuis cette nuit…

— Elle est descendue seule à l’hôtel ?

— Oui…

— Des visites ?

— Non… Enfin, personnellement je n’ai rien remarqué… Je pourrai me renseigner à ce sujet, si vous le désirez ?

Pour un raide, le gars est prêt à déboucher le lavabo de votre concierge ou à se faire hara-kiri avec une pelle à gâteaux…

— D’accord, lui dis-je, et renseignez-vous aussi pour savoir si juste avant de sortir la dame n’a pas reçu une visite… ou un coup de fil…

Je lui abandonne enfin le billet vert. Il le cramponne comme un caméléon happe une mouche.

Je demande ma clé et je grimpe au septième…

Lorsque le liftier m’a débarqué je tourne à gauche… Au fond du couloir se trouve le 706.

Personne à l’horizon… Ces couloirs sont déserts comme l’estomac d’un fakir…

Je biche mon petit Cézame, cet inséparable compagnon qui ne quitte ma poche que pour plonger dans les serrures et je trifouille celle-ci…

Un minuscule claquement et elle fait camarade. J’entre dans la strass, je referme la lourde et je donne la lumière.

Un tendre parfum de Paris flotte dans la carrée, émouvant parce qu’il évoque une cohorte de pépées toutes plus charnelles les unes que les autres…

La pièce est en ordre…

Je regarde les valises entreposées sur une table basse à claire voie… Ce sont de bath valoches en croco… La gonzesse a l’air rupinos tout plein !

J’ouvre lesdites valises, elles sont vides… Alors je vais à la penderie et je découvre toute une séquelle de robes et de manteaux accrochés… Elle a une garde-robe estimable, la rouquine…

Sous les robes il y a des pompes… Chouettos, les escarpins, et qui ne sortent pas de Prisunic, je vous l’annonce… Faits par bottier… Je fronce les sourcils car, au milieu d’eux, se trouvent des pompes d’homme. Je me baisse pour les saisir et voici qu’il m’est impossible de les décoller de parterre. Ils sont pleins de pieds… Au-dessus des pieds y a des chevilles qui ne font que précéder des genoux, lesquelles devancent des cuisses supportant un buste d’homme.

J’écarte les robes et le détenteur du buste s’écroule sur la moquette.

Il n’a plus besoin de souliers car il ne marchera plus. Maintenant il ne peut que jouer à la libellule avec de jolies ailes dorées s’il a été bien sage pendant sa vie. Seulement je doute qu’il l’ait été. Les bonnes gens finissent rarement avec une olive de 7,65 dans le plafonard…

Étalé à terre, il me paraît extrêmement grand. Il est maigre et roux… Mais d’un roux pas catholique. Ce gars-là, je vous parie une place de conseiller à la Cour des comptes contre une place assise dans l’autobus qu’il s’est fait appeler Lefranc à une certaine période de sa vie…