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Je le palpe ; froid comme un nez de chien… Et avec ça la raideur-béton ! Il est mort depuis un bon moment… Au moins une douzaine d’heures, d’après mes estimations personnelles.

Je m’agenouille pour le fouiller. Je trouve sur lui des fafs au nom de Pierre Werth… Il y a sa photo…

Alors je commence à me dire que comme cocktail à la c… on ne fait pas mieux…

Il avait raison, le gros Béru, en m’annonçant que ça se corsait…

Pour un tour de piste d’honneur, je vous le recommande !

Bon. S’agit de comprendre…

Et pour entraver des trucs aussi compliqués, il vaut mieux s’installer dans un fauteuil avec un tube d’aspirine à portée de la main…

Je ressors après avoir recloqué le mort dans sa guitoune. Toujours le désert de Gobi dans l’hôtel… C’est une chance.

J’essuie la serrure pour ôter les empreintes du mec San-A. (l’homme qui remplace le beurre et les maris en voyage)… Inutile de m’enfoncer dans un patacaisse à la noix en territoire étranger.

Ils auraient vite fait de me balancer au trou, les carabiniers… La valse dans l’ombre, très peu pour moi…

J’entre dans ma carrée, je referme… Il est midi passé, l’heure du pâtre…

Je décroche pour demander un double whisky avec de la glace, des olives, et un plan de Barcelone.

CHAPITRE XII

Le whisky qu’on m’apporte est tout petit, mais il ne grandira pas bien qu’étant espagnol.

Le serviteur me l’apporte triomphalement sur un plateau d’argent qui servirait de terrain d’atterrissage à un bombardier lourd.

— Momente ! fais-je, puisque c’est la locution qui se répercute le plus souvent dans les tympans des mecs d’ici.

Je chope le glass et je le siffle. Le serveur me regarde engloutir l’alcool avec un œil dans lequel on lit de la réprobation, de l’incrédulité et un commencement de maladie de foie.

— Enlevez, c’est pesé, hombre !

Il fait demi-tour. Lorsqu’il a franchi ma porte, j’appuie sur le bouton rouge placé à la tête de mon lit et qui commande le verrouillage. Puis je m’allonge, les mains croisées sur le bide et je songe scientifiquement. C’est-à-dire que, comme chaque fois que mes enquêtes deviennent lourdes d’éléments nouveaux, je les récapitule afin d’y voir clair.

Un type qui se faisait appeler Lefranc vient dire à la maison Pébroque qu’il a reconnu un fameux espion allemand sur une bande d’actualité.

Des vérifications sont faites et on admet le bien-fondé de la déposition.

L’image permet de constater que Luebig n’était pas seul au meeting. Une femme l’accompagnait. Cette femme, je le sais maintenant, s’appelle Werth (Léonora pour les intimes). Il y avait en outre aux côtés de Luebig un petit vieux mort quelques jours plus tard dans des circonstances que les journaleux, avec le manque de style absolu qui les caractérise, ont certainement qualifiées de tragiques.

Quelqu’un habitait chez le vieux et ce quelqu’un n’était autre que Lefranc, celui-là même qui déclencha tout le bidule.

Lefranc avait choisi comme faux nom le patronyme qui le caractérise le moins : en effet, rien n’est moins franc que lui. Tiens, j’ai l’astuce abondante ce matin !

Plusieurs indices nous amènent en Espagne. Nous descendons dans un palace où séjourne précisément Léonora Werth… Mon pote Bérurier lui file le train et ne donne plus signe de vie.

Je découvre fortuitement dans le Barrio Chino une blague à tabac rouleuse de cigarettes qui pourrait bien être à lui…

Je fouille la carrée de la môme Léonora et je découvre dans un placard un très beau macchab qui s’est fait appeler Lefranc antérieurement et dont les papiers sont au nom de Werth…

Le gars a été buté d’une bastos dans le chignon… Il est vraisemblable que c’est la découverte du défunt qui a mis en fuite Léonora. Voilà… C’est un peu confus, un peu embrouillé, mais j’ai posé sur le tapis les faits saillants de l’enquête…

Maintenant reste à savoir quels liens unissaient Léonora Werth et Pierre Werth…

Et surtout, il s’agit de remettre la main sur le gros Béru. Ou je me gourre, ou cette enflure s’est embarqué dans le plus bath coup fourré de sa p… de carrière. Qui sait s’il ne s’est pas fait dessouder comme un naveton de première classe ? Je commence à être sérieusement inquiet. Mort pour la France, Béru, c’est pas le genre de sa maison… Il ne travaille pas pour les plaques de marbre, lui…

Je saute du lit, je me file un coup de râteau dans les crins et je repars sur le sentier de la guerre. Je pense, en longeant le couloir où, maintenant, une soubrette opulente promène un aspirateur, qu’ils vont avoir une belle surprise, les gars de l’Arycasa, en faisant le ménage… Comme prime du jour ça se pose là. Sûr et certain que je vais être emmouscaillé par cette affaire après toutes les questions que j’ai posées aux employés. Ça m’étonnerait qu’il tienne sa menteuse, le gominé de la réception.

Il a une bouille à se foutre à table pour pas chérot. Une tarte dans le pif et il raconte sa vie avec celle de sa concierge en supplément au programme.

Le monde est plein de gens impressionnables, tous prêts à filer leurs contemporains dans la mouscaille, pour trente deniers ou une mandale bien appliquée… Pas seulement des faibles, mais des salauds…

Surtout croyez pas que je sois sceptique. Au contraire, je suis comme qui dirait un anti-sceptique… Mais j’ai le sens du positif, comme tous les poulets. Si vous croyez que je vous bourre le mou avec un appareil à cacheter les bouteilles d’eau minérale, comptez sur vos dix malheureux doigts le nombre d’amis sûrs que vous possédez… Des amis vrais, de ceux qui sont capables de vous emprunter dix sacs sans changer de trottoir après et sans clamer partout qu’il n’y a aucune différence entre vous et une poubelle de quartier pauvre ! Vous verrez que vous aurez du rab sur vos dix doigts. Il vous en restera de disponibles que vous pourrez vous introduire dans le nez, ou ailleurs, suivant vos préférences !

Ayant remué ces noires pensées, je débouche dans le hall. Le gominé fait des gestes de moulin à vent. Je m’approche.

— Je me suis renseigné, dit-il. Mme Werth n’a reçu aucun message téléphonique avant de sortir, cette nuit…

— Merci du renseignement…

Je sors d’une allure extrêmement touristique. Il ne me manque qu’un appareil photo en bandoulière. Mais j’ai autre chose dans un étui de cuir… Autre chose que j’estime nécessaire pour partir en expédition dans le Barrio Chino dont j’ai potassé les méandres sur le plan de Barcelona !

Maintenant faudrait passer aux choses sérieuses, et vite. Si le Gros est en mauvaise posture il doit commencer à se cailler le raisin, vilain !

* * *

Je n’ai aucun mal à retrouver l’endroit ou gisait naguère (ce que je m’exprime bien tout de même !) la blague qu’impulsivement j’attribue à Bérurier… Mon sens de l’orientation est proverbial et je n’ai qu’un regret, c’est que Christophe Colomb ait déjà découvert l’Amérique. En voilà un qui m’a coupé l’herbe sous les pieds, y a pas ! Je n’y pense pas trop, car ça me déprimerait. C’est vrai, vous ne trouvez pas affligeant, vous, l’idée qu’on a tout découvert avant vous ? Nous autres, les mecs du vingtième siècle, nous n’avons plus qu’à nous amener à Orly et à grimper dans un Constellation… Quelques heures et n’importe quel point du globe est à nous ! Moyennant du papier monnaie, vous avez droit à la mer de Corail ou au Spitzberg. On est obligé de se tourner vers les astres pour se dégourdir un peu les guiboles… Je veux bien que depuis toujours les hommes se sont intéressés à la lune, mais tout de même !